Sansal est né dans les montagnes couvertes de cèdres d’Al-Wanshris, où les rochers semblent gratter le ciel. On ne s’attendait pas à ce qu’il entre dans le monde de la littérature, mais écrire était sa dernière destinée, comme s’il s’agissait d’une vocation céleste. A cinquante ans, il publie son premier roman, prouvant que les grandes voix ne sont pas pressées de se faire entendre.
En 1962, au lendemain de l’indépendance de l’Algérie, il avait treize ans. Il a grandi dans une atmosphère d’enthousiasme démocratique, mais celle-ci a été rapidement éclipsée par des traits de despotisme rampant. Il a été témoin des promesses d’avenir brisées par les conflits internes du FLN et la domination de l’armée. Lorsque Boumediene prend le pouvoir en 1965, tout change radicalement.
Un haut responsable de la lutte contre la corruption
À Alger, Sansal s’est lancé dans une carrière illustre mais stimulante. En tant qu’ingénieur et docteur en économie industrielle, il a parcouru un système mêlant technocrates et militaires dans un paysage ambigu. Son travail au ministère de l’Industrie, où il a occupé un poste de direction jusqu’en 2003, lui a révélé l’ampleur de la corruption, du népotisme et des mensonges institutionnels.
Il a dit un jour : « Le régime militaire algérien est une machine qui brise les rêves, une hydre à mille têtes qui vit du sang de son peuple. ». Ces mots résument sa frustration face à la réalité qu’il a vécue.
Dans ce monde kafkaïen, Sansal a été témoin de projets d’infrastructures fictifs et de pressions cachées et parfois violentes pour servir les intérêts d’une élite enracinée dans les cercles du pouvoir. Au cours des années 1990, ces scènes sont devenues le moteur de sa conscience politique croissante. Grâce aux encouragements de son ami l’écrivain Rachid Mimouni, il se tourne vers l’écriture.
Un roman d’un départ audacieux
Sansal a publié son premier roman « Le droit des barbares » en 1999, qui a été largement salué. Le roman combinait politique et introspection, révélant la douleur d’un peuple dont la mémoire a été brisée après l’indépendance. Par lequel il a attaqué les soldats qui “Ils font l’histoire et la profanent.”adage: «L’histoire n’est pas l’histoire lorsque les criminels l’écrivent avec de l’encre et se passent la plume. “C’est juste un enregistrement de leurs excuses.”.
Le roman aborde pour la première fois le cas du Polisario, appelant à son expulsion d’Algérie. Ce travail lui vaut plusieurs récompenses, qui renforcent sa position sur la scène littéraire.
Entre censure et mémoire : une bataille littéraire pour l’identité algérienne
Ses prises de position courageuses, jugées « inacceptables » par les autorités, ont provoqué la fin de sa carrière de haut fonctionnaire. Il en est brutalement et sévèrement expulsé, ce qui le pousse à adopter l’écriture comme moyen de résistance.
Au fil des années, Sansal est devenu un critique impitoyable des déviations autoritaires de son pays. en écrivant « Courrier envoyé, Algérie » (2006) était un message de colère adressé à ses compatriotes, mais s’est heurté à la censure en Algérie. Par une prose puissante, il appelle son peuple à briser les chaînes de l’oubli collectif qui lui sont imposées.
Miroir des idéologies
Dans un roman village allemand (Éditions Gallimard, 2008), l’auteur présente une comparaison audacieuse entre le nazisme, symbole de l’autorité militaire algérienne, et l’islamisme extrémiste.
Le « village allemand » est ici représenté comme l’Algérie. Le roman raconte l’histoire de deux frères, enfants d’un ancien nazi et d’une Algérienne, qui découvrent l’horrible passé de leur père. Dans son sens précis, l’écrivain reconsidère le mythe fondateur de l’Algérie, en présentant un récit familial dans lequel le père est dépeint comme « humble ». La littérature sansali présente une vision patriarcale qui pose question aux nouvelles générations algériennes. C’est également dans cette perspective que Sansal dénonce les crimes de l’armée pendant la décennie noire, comme il le dit : « Les idéologies totalitaires se nourrissent du même sol : l’aveuglement des masses et le silence des consciences (…) Je n’ai pas réduit la responsabilité de mon père. , qui n’était qu’un petit rouage dans une immense machine. Je ne pensais pas que cette machine aveugle aurait fonctionné ne serait-ce qu’une seule seconde sans la ferme volonté de tous ceux qui la servaient.
Cette alliance illégitime entre l’armée et l’islam pendant la guerre civile algérienne (1992-2002) sera largement condamnée dix ans plus tard par Kamal Daoud dans ses articles, puis en 2024 dans son roman. Nymphes.
Dystopie pour dénoncer la dictature militaire
Avec un roman « 2084 : Fin du monde » (Éditions Gallimard, 2015), l’écrivain Boualem Sansal se plonge dans la littérature dystopique. Ce roman est un véritable chef-d’œuvre littéraire, car il décrit une société dans laquelle la religion se transforme en dictature militaire absolue. Le monde du roman est sombre et oppressant, mais terriblement familier. Le roman dresse le portrait d’un peuple réduit à l’état de simples marionnettes, privé de toute liberté de pensée. Sansal explore comment la gouvernance exploite la religion pour museler la liberté, comme une métaphore poignante de l’Algérie contemporaine, qui « propose à l’humanité la soumission à la sainte ignorance comme réponse à la violence essentielle du vide, pousse l’esclavage au renoncement, voire à l’autodestruction pure et simple, et rejette la rébellion comme moyen d’inventer un monde qui lui convient, un monde qui assure sa sécurité. “Moins que la folie ambiante.”
Les habitants de cette communauté (les Algériens) sont décrits comme « des pèlerins autorisés à se déplacer, non pas librement, mais selon des horaires précis, le long d’itinéraires désignés qu’ils ne peuvent quitter, entrecoupés de haltes placées au milieu de nulle part (…) et des soldats apathiques se relaient pour garder les routes à certains endroits. Une stratégie pour surveiller le passage des pèlerins, dans l’idée de les encadrer.
un roman « 2084 : Fin du monde » C’est aussi un appel à la rébellion en Algérie. Le roman a remporté le Grand Prix du roman de l’Académie française.
Sa position sur la question du Sahara
Boualem Sansal n’a jamais caché sa sympathie pour le Maroc. Il est connu pour ses profondes convictions intellectuelles sur le Sahara oriental et les villes de Tlemcen, Oran et Mascara, qu’il a qualifiées de « marocaines avant la colonisation de l’Algérie par la France ». L’écrivain a également exprimé sa position sur la question du Sahara occidental et du Polisario. Il a récemment déclaré que le soutien du régime militaire algérien au Polisario est « une tragédie fabriquée visant à détourner l’attention de l’injustice interne ».
Il considère l’armée algérienne comme « une mafia qui s’empare des richesses du pays » et décrit le Sahara comme un « terrain de jeu pour les généraux » qui manipulent l’histoire pour consolider leur pouvoir, affirmant : « Le régime militaire a inventé le Polisario pour déstabiliser le Maroc ». L’Algérie voulait un régime communiste dans la région et surtout elle ne voulait pas que les Algériens se comparent aux Marocains et disent qu’ils y vivent mieux et plus librement.
Ces prises de position courageuses valent à Boualem Sansal une vive hostilité de la part des autorités algériennes. Il a été arrêté à Alger le 16 novembre pour de graves accusations liées à « trahison » et « atteinte à la sécurité nationale ». Cela souligne le prix élevé de sa franchise dans un contexte où critiquer le régime équivaut à un acte de rébellion.
Pourtant, le silence n’a jamais été une option pour cet écrivain engagé. Boualem Sansal est plus qu’un simple écrivain : il est devenu, contre son gré, un rempart de la résistance et un symbole de la lutte contre l’oppression d’un régime irrationnel.
Edité par Karim Siraj
Le 23/11/2024 à 13h12