Benjamin Lavernhe et Pierre Lottin : “Entre nous, c’était instinctif”

L’un incarnait l’indescriptible Wilfried, un rappeur niais aux explosions poétiques et au débit de mitrailleuse dans Les Tuches. L’autre a écumé les rôles du répertoire classique sur les scènes de la Comédie-Française, se réjouissant d’incarner, entre autres, l’emblématique Scapin sous la direction de Denis Podalydès. Au cinéma, tout aurait pu opposer Pierre Lottin et Benjamin Lavernhe : le style comme les rôles. Mais cela reviendrait à réduire ces deux acteurs à leurs premières amours professionnelles. Aujourd’hui, la sensibilité, la force de proposition et la sensibilité de Benjamin Lavernhe, 40 ans, s’accordent parfaitement avec l’instinct de jeu, l’aisance naturelle et la finesse de Pierre Lottin, 35 ans.

Les réalisateurs l’ont remarqué et leur ont proposé des rôles de plus en plus marquants : Pierre Lottin incarne également le fils mal-aimé de la série. S’il te plaît qu’un suspect dans La nuit du 12 ou le fils impulsif de Josiane Balasko dans Quand l’automne arrivede François Ozon ; Benjamin Lavernhe a su être ce jeune homme marié insupportable dans Le sens de la fête du duo Toledano-Nakache, tout comme un mari volage dans Antoinette in the Cévennesoù il incarne à l’écran une légende désormais controversée, l’abbé Pierre.

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Les deux acteurs se retrouvent aujourd’hui dans une comédie populaire passionnante où ils incarnent les rôles-titres : deux frères très différents qui partagent l’amour de la musique. L’un joue un chef d’orchestre ; l’autre, tromboniste… Un talent musical également partagé par les deux prodiges du cinéma, qui se sont immédiatement trouvé beaucoup de points communs… Entretien dans des studios d’enregistrement allemands avec deux fans de comédie, l’un muet, l’autre moins.

LA TRIBUNE DIMANCHE – Vous êtes tous les deux assez musicaux… Ce studio de musique vous donne-t-il envie de jammer ?

PIERRE LOTTIN – Oui, c’est assez « feng shui » ! C’est vrai que je joue du piano et que je compose, même… Je me suis toujours dit : “Au pire, si le cinéma ne marche pas, je deviendrai concertiste !” » C’est simple, non ?

BENJAMIN LAVERNHE – Il y a un piano à queue avec un son et un toucher incroyables… Moi, si je devais faire autre chose que du cinéma, je serais plus musicien qu’inspecteur des impôts, c’est sûr ! Car il y a ce côté « live performance », le vertige de la scène et du public : ce sont des émotions irremplaçables.

Cette spontanéité de la scène au cinéma vous manque ?

PL Au contraire, je m’en sers pour jouer ! Au cinéma, on retrouve les bases de la musique, c’est-à-dire sa mélodie et ses pauses, à travers le placement de la voix, le jeu avec le corps, et aussi avec ce sens du rythme qui s’installe lorsqu’on joue avec des partenaires… Le jeu devient alors une sorte de confiture [improvisation musicale].

BL Et on ressent aussi le frisson du live : même sans public, ce sont les 30 personnes de l’équipe technique qui sacralisent le moment. Quand la caméra se met à tourner, un instant suspendu arrête le temps, il y a une vibration magique dans l’air, même si l’on peut reprendre le plan vingt fois. Entre ” action ” et “couper”, le vertige se rapproche donc plus de celui d’un spectacle live. Et puis on ne sait jamais quelle prise va être retenue, il faut tout donner à chacun.

PL Ce que nous faisons est marqué : la scène qui sera gardée sera vue par des centaines de milliers de personnes… C’est la grande spécificité du cinéma : nous avons un filet de sécurité qui n’existe pas au théâtre, mais en revanche, quand c’est fait, c’est fait, et si c’est mauvais, c’est mauvais, tout le monde le verra et ce sera gravé dans le marbre.

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Le film rapproche deux milieux sociaux différents, dans la veine des comédies britanniques drôles et sociales, sans sombrer dans la sentimentalité…

BL C’est ce choc qui crée la comédie. J’apprécie beaucoup ce genre mais j’en refuse beaucoup… En lisant un scénario, on voit dans quels pièges peut tomber une histoire et comment l’auteur les évite : ce qu’il fait dire à ses personnages, à quel moment on retient le émotion si bien que c’est le spectateur – et non l’acteur – qui est en larmes. C’est la modestie, et c’est ça l’intelligence de l’écriture… Emmanuel [Courcol, le réalisateur] veillant à ne pas tomber dans le pathos, il évitait les pièges et le formatage d’histoires déjà ressassées et préconçues.

PL C’est rare de lire des comédies bien écrites… Souvent le problème, c’est le dialogue. En , on laisse trop de place aux comédies très « prime ». Alors que derrière ce terme, il y a tout un monde : par exemple, dans P’tit Quinquin [minisérie de Bruno Dumont]il y a à la fois de la comédie et de la poésie magnifique. Quand on sait que cet OVNI existe, on aimerait découvrir d’autres joyaux de ce style ! Quoi qu’il en soit, il y a deux clichés : le premier est que le cinéma français est ennuyeux, et le deuxième est que les comédies françaises ne sont pas drôles. C’est faux, on ne donne tout simplement pas assez de chance aux comédies « d’auteur » ; nous disons que nous les voulons, mais nous avons peur de les financer…

Qu’est-ce qui vous fait rire dans un scénario ?

PL Il existe des moyens de faire rire les gens qui sont si bons qu’ils sont universels. Par exemple, le dessin animé Parc du Sud…Pourquoi ça marche autant alors que c’est fou et farfelu ?

BL Justement parce que c’est radical et « trash ». Mais le rire universel est un rire très humain, ce n’est pas forcément un humour très original : on rit de bon cœur parce qu’on se reconnaît dans une situation ou au contraire on éclate de rire parce qu’on est choqué, surpris.

Pierre Lottin et Benjamin Lavernhe dans « En fanfare » (Crédits : © Thibault Grabherr/Agat /France 2 Cinéma)

PL Pour moi, le rire universel n’est pas du tout banal. Au contraire, c’est un humour tentaculaire et hyper subtil : le fait d’avoir le même rire que quelqu’un qui parle une autre langue et vient d’un autre milieu social que soi, juste d’un regard, ça fait qu’on a compris en un demi-jour. ensuite tout ce qui est sérieux et tout ce qui se passe dans la scène.

Comme vos personnages, vous avez vos propres mondes d’acteur. Qu’est-ce qui vous rassemble malgré vos parcours différents ?

BL En fait, nous avons les mêmes références comiques : les frères Farrelly [Mary à tout prix, Dumb and Dumber] et l’acteur Jim Carrey ! En France, on ose moins aller dans le burlesque, pousser la comédie de situation loin, on « pousse » rarement une scène pour voir jusqu’où on peut aller. Mais avec Pierre, nous aimons la comédie, nous avons cette gourmandise, cette impatience commune, même si dans les faits nous sommes très différents : nous nous sommes « reniflés » et nous nous sommes retrouvés à une place essentielle : l’humour. Ensemble, nous avons vu le texte comme une partition musicale, nous nous sommes dit “vas-y, essaie de le dire plus vite” ou “là, essaye cette intonation”, comme avec des notes… Ça ne s’explique pas, c’était instinctif : on s’est très vite compris !

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PL Tout est dit ! Le travail du corps et l’esprit de groupe me tiennent aussi à cœur… Je voulais être militaire et, quand je fais un film sur l’armée avec une préparation physique et que je m’entraîne, il y a des choses qui reviennent… Mais je ne regrette pas ayant choisi le cinéma !

Vous faites ce métier depuis longtemps et vous réussissez de plus en plus. Vous avez donc réussi à ne pas vous laisser enfermer dans vos premiers rôles, que ce soit en Les Tuches or at the Comédie-Française?

PL C’est vrai qu’à partir du moment où un acteur sait bien jouer un rôle on va l’enfermer… Il faut créer des contrastes dans les rôles qu’on choisit, réussir à faire des choses opposées. Après, grâce au « succès », on a peut-être plus d’influence sur le déroulement d’une scène : si on fait bien son travail et qu’on apporte une manière différente de le jouer, on arrive à aller loin. rien d’autre, et c’est très intéressant.

BL A nous d’orienter nos choix en créant un peu d’imagination, en ne nous laissant pas confiner. Après, on sort naturellement quelque chose contre lequel on ne peut pas lutter… Mais on a plutôt de la chance que les réalisateurs nous imaginent dans des rôles différents. Parfois on se demande si on en est capable, le chemin vers le rôle est vertigineux… J’aime quand le réalisateur nous y emmène : on a l’impression de découvrir une partie de nous-mêmes, on descend dans la grotte et on comprend qu’on a mille vies en nous et qu’on peut jouer aux grands salauds même si on est gentil dans la vie ! Et puis le succès entretient le rêve : on nous fait de plus en plus confiance pour des rôles de plus en plus importants… En fait, nous avons mis le pied dans la porte et c’est tant mieux !

Trouvez le théâtre ou Les Tuches (en 2025) vous plaît toujours ?

PL Je suis content, oui. je dois beaucoup à Tuche et cette chronologie un peu burlesque, parce que j’ai réussi à bien l’utiliser. Je ne cracherai jamais dessus Les Tuches. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’on catégorise moins les acteurs, qu’on peut utiliser les médias pour casser notre « image »… Et jouer des choses différentes, grâce aux séries aussi. Bon, je remarque que je commence à être un peu trop dans le même type de rôle, celui du type un peu bourru… Mais je m’en fiche : il faut juste faire bouger le fantasme qu’il y a dans ta tête. surprenez-les avec des rôles dans lesquels ils ne vous imaginent pas.

BL C’est un luxe d’être fier de sa carrière et d’aimer toute sa filmographie. Mais parfois… il faut manger ! Michel Galabru disait qu’il avait fait 250 films, dont 200 films, mais il fallait qu’il mange ! Dans les pays anglo-saxons, la transformation des acteurs fait partie intégrante de ce métier. En France, on vous prend souvent pour ce que vous jouez, c’est à la fois normal et… un peu inquiétant.

Comédie musicale et sociale (3/4)

Thibaut, chef d’orchestre de renommée mondiale, doit recevoir une greffe de moelle osseuse et apprend à cette occasion qu’il a été adopté et qu’il a un frère, Jimmy, employé de cantine scolaire du Nord et tromboniste dans une fanfare locale. Cette rencontre tardive va changer leur vie. Entre grande musique et fanfare, le choc de ces deux mondes est le contexte idéal pour inventer une délicieuse comédie populaire qui a la bonne idée de faire rire et émouvoir sans tomber dans le piège de la guimauve. Quatre ans plus tard Un triomphequi mêlait le milieu carcéral à celui du théâtre, le réalisateur Emmanuel Courcol signe un film qui s’inspire joyeusement des meilleures comédies britanniques à fibre sociale, comme Billy Elliot ou Le plein Monty. Un savant équilibre porté par un casting fin (mention spéciale à Sarah Suco), un esprit d’équipe communicatif et par les deux rôles principaux, Pierre Lottin et Benjamin Lavernhe, aussi touchants qu’hilarants dans les vêtements de ces frères contraires.

En fanfare, d’Emmanuel Courcol. Avec Benjamin Lavernhe, Pierre Lottin, Sarah Suco, Jacques Bonnaffé. 01h43 Sortie mercredi.

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