« Boualem Sansal est toujours prêt à remettre en question ses propres convictions »

« Boualem Sansal est toujours prêt à remettre en question ses propres convictions »
« Boualem Sansal est toujours prêt à remettre en question ses propres convictions »

EEn 2017 et 2020, l’écrivain Boualem Sansal et le neuropsychiatre Boris Cyrulnik dialoguent pour deux ouvrages dont l’un concerne la géopolitique de la Méditerranée (L’impossible paix en Méditerranéeéditions de L’Aube), pour l’autre centrée sur les relations franco-algériennes (-Algérie, résilience et réconciliation en Méditerranéeéditions Odile Jacob). Admirable exemple d’un échange approfondi entre deux esprits.

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Dans ce dernier ouvrage, Boualem Sansal s’est livré à une remarquable analyse de l’enseignement de l’Histoire en Algérie. « Il faut rappeler que l’histoire officielle du pays, écrite par une commission d’apparatchiks du FLN, figure toujours au programme scolaire ; il commence avec la conquête arabe (647-709) et réserve la plupart de ses pages à la colonisation française (1830-1962) et à la Guerre de Libération (1954-1962). »

A LIRE AUSSI Boualem Sansal arrêté en Algérie, portrait d’un écrivain libreSansal, qui dénonçait le mythe du 1,5 million de martyrs de guerre instauré par Ben Bella en 1963, faisait appel à une histoire longue et complexe. Il a souligné la multiplicité des colonisations et la permanence de la structure tribale de l’Algérie, qui persiste avec sa division économique entre familles. Boris Cyrulnik a bien voulu évoquer son ami Boualem Sansal, emprisonné en Algérie.

Le point : Dans quelles circonstances avez-vous rencontré Boualem Sansal pour ces deux œuvres de dialogue ?

Boris Cyrulnik: Des amis algériens le connaissaient. L’Institut Montaigne nous a réunis pour un premier débat public, on s’est bien entendu. J’ai tout de suite aimé le gars, le scientifique remarquable qui parlait un français impeccable, on s’entendait tellement bien que j’avais le sentiment qu’on avait autre chose à se dire. J’ai aussi ressenti le sentiment désagréable de la radicalisation du monde entier, cette radicalisation qui nous empêche de penser, et que nous deux, moi un juif français, lui un scientifique et écrivain algérien, nous pouvions échanger des correspondances, essayer de penser ensemble. .

Aujourd’hui, il faut choisir son camp. Cependant, choisir un camp signifie entrer dans un monde de guerre. Nous subissons une pression terrible. On ne peut plus ressentir d’empathie pour quelqu’un qui n’est pas du même avis, on ne se sent bien qu’avec les gens du même côté, on commence à détester quiconque est de l’autre côté…

A LIRE AUSSI Tahar Ben Jelloun: “Free Boualem Sansal” Que pensez-vous des risques qu’il prenait ?

Il était courageux, il prenait des risques incalculables. Plusieurs fois, je me suis dit qu’il allait être arrêté, car il se trouvait face à des gens qui avaient choisi leur camp depuis longtemps. Cela ne donnait pas l’impression d’un combat, mais incarnait le parcours d’un scientifique décidé à se remettre en question et à remettre en question le monde qui l’entourait. Il est évidemment aux antipodes de ces sauveurs qui prennent progressivement le pouvoir en faisant semblant de dire la vérité, alors qu’ils ne sont que des escrocs qui proposent des tranquillisants, des slogans qui arrêtent la pensée. Je me sentais proche de lui, car comme lui, je suis un scientifique, il est toujours prêt à remettre en question ses propres convictions. Or notre monde meurt de ces croyances, de ces guerres qui ne sont que des guerres de croyance, Poutine, Hamas, Hezbollah, Netanyahou.


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Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ?

Nous étions ensemble au début du mois à la Foire du livre de Valence dédiée à l’essai. Nous avons discuté, en privé, de ce monde où l’on nous dit « choisissez votre clan ». J’ai évoqué mes récentes visites en Algérie, j’y suis bien reçu, ils savent qui ils invitent. Souvent, j’ai croisé des gens dans la rue qui me disaient : « On ne va plus à la mosquée parce que l’imam ne fait que des discours hostiles aux juifs. » Avec Boualem, nous avons partagé notre souci du monde. Et je me suis dit : « En rentrant en Algérie, il prend des risques énormes. » Tous ceux qui commencent à réfléchir prennent des risques, comme Kamel Daoud, devenu porte-parole des femmes égorgées.

 
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