A l’appel de la FNSEA et des Jeunes Agriculteurs, plus de 80 tracteurs ont convergé vers Périgueux lundi. Mais pas question de bloquer la circulation. « Nous voulons avoir l’opinion publique avec nous », assume un dirigeant syndical.
Les saucisses sur “le feu de la colère”. Alors que la nuit et le froid viennent de tomber sur la place centrale de Périgueux, en Dordogne, plus d’une centaine de personnes se réchauffent autour des barbecues en tôle installés par la Fédération nationale des syndicats agricoles (FNSEA) et les Jeunes Agriculteurs (JA), Lundi 18 novembre. Comme dans plusieurs dizaines de préfectures de France au même moment, les deux syndicats ont mené de telles actions pour exprimer leur opposition au projet d’accord de libre-échange avec les pays du Mercosur.
Mais au cœur du Périgord, les agriculteurs ont souhaité apporter leur petite touche, avec de la viande locale proposée à tous. «Nous changeons notre mode de fonctionnement»explique Guillaume Testut, président du syndicat des Jeunes Agriculteurs du département.
Il n’est pas question de bloquer les routes ni d’endommager les bâtiments administratifs, comme ce fut le cas lors des manifestations du début de l’année. « Nous ne voulions pas jeter davantage de déchets devant la préfecture »assure le jeune éleveur de blondes aquitaines, emmitouflé dans sa doudoune rouge sans manches. Le bâtiment qui abrite le préfet n’est qu’à quelques mètres, mais personne ne tente de s’en approcher. « Nous voulons avoir l’opinion publique avec nous »glisse-t-il en souriant.
Dès le milieu de l’après-midi, des dizaines d’agriculteurs de tout le département ont convergé, sur des tracteurs, vers cinq points de ralliement situés aux portes de Périgueux. « L’objectif aujourd’hui est de faire prendre conscience au grand public qu’il y a un risque dans les produits qui seront importés avec le Mercosur »explique Nicolas Lagarde, responsable de la filière viande bovine de la section départementale de la FNSEA. Le message est également martelé depuis plusieurs semaines sur les panneaux communaux des communes environnantes, recouverts et tagués du slogan « Non au Mercosur ».
Cette fois, les agriculteurs et les éleveurs souhaitent contacter directement les habitants. “C’est pour cela que nous menons une action en centre-ville, avec un barbecue et des tracts”assure l’éleveur de viande bovine Label Rouge. “Nous ne sommes pas là pour embêter la population, mais je ne suis pas sûr que le consommateur se rende compte du danger”s’inquiète-t-il, en attendant sur le parking du centre aquatique de Champcevinel.
Lorsque le feu vert est enfin donné, l’ensemble des agriculteurs mobilisés reprennent la route pour rejoindre les petites rues du centre historique de Périgueux. La vitesse des tracteurs est modérée, mais la circulation n’est pas interrompue alors que les travailleurs et les étudiants rentrent chez eux. Encadrés par des policiers à moto, les dizaines de véhicules agricoles stationnent en file pour ne pas paralyser le rond-point, où les syndicats ont appelé à se rassembler.
« On met les choses au clair ce soir ! » dit un délégué syndical, juché sur un tracteur. Le slogan fait l’unanimité parmi les agriculteurs : “Nous sommes de retour parce que la population a besoin de nous.” Venu avec sa femme et ses enfants, tous coiffés du bonnet vert de la FNSEA, Vincent Durand est ravi « de ce moment de convivialité »trop rare chez les agriculteurs. “Je ne connais pas la moitié des gens ici.”assure le céréalier de 44 ans, tout sourire. En petits groupes, les discussions sur les difficultés rencontrées dans les fermes vont bon train.
Le même appel à la population résonne dans toutes les conversations : « Achetez français ! » Une évidence pour Anthony Fanet, éleveur de veaux. « Ils applaudissent, ils klaxonnent, mais il faut aussi jouer le jeu en achetant local »» demande le trentenaire. Si certains sont agacés par ceux “qui a mis 1 500 euros dans un smartphone”, mais refuse d’ajouter « quelques euros pour acheter de la viande de qualité »la plupart veulent croire qu’une poussée est encore possible.
« Chacun peut faire quelque chose à son niveau ! Mangez moins de viande, mais mangez mieux !
Anthony Fanet, éleveur de veauxsur franceinfo
Mais le dialogue entre agriculteurs et habitants est loin d’être rétabli. Si toute la population était conviée à ce grand banquet, rares étaient ceux qui ne venaient pas du monde agricole ce soir-là. Les hautes flammes ont rassemblé quelques groupes de jeunes citadins qui filment l’incendie et le diffusent sur les réseaux sociaux, mais restent à l’écart des autres adolescents venus en bottes de la ferme familiale.
Quelques badauds finissent tout de même par s’approcher, en silence. “Je soutiens leur mouvement, ce sont eux qui nourrissent la France”glisse Chantal discrètement. Cet éducateur à la retraite tente de suivre au mieux les demandes des agriculteurs de consommer local. « Il faut acheter directement aux petits producteurs »admet-elle, avant d’ajouter : « Mais quand on a une famille et du chauffage à payer, je comprends que certains doivent faire des sacrifices… »