Deux anciens élèves de l’établissement où enseignait Samuel Paty, condamnés fin 2023 pour avoir permis à Abdoullakh Anzorov d’identifier sa victime, ont témoigné lundi dans une ambiance tendue.
“Je suis désolé, je ne vais pas vous mentir, j’ai fait une erreur.” Désormais majeur, Karim*, ancien élève du collège du Bois d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), a présenté ses excuses, lundi 18 novembre, à la famille de Samuel Paty. Ce n’est pas la première fois que le jeune homme se retrouve devant un tribunal : il a été condamné il y a près d’un an par un tribunal pour enfants pour association de malfaiteurs en vue de commettre des violences aggravées. A l’issue du procès de six mineurs, qui s’est déroulé entièrement à huis clos, il a été condamné à deux ans de prison, dont six mois sous bracelet électronique, assortis d’un suivi socio-judiciaire.
Cette fois, Karim, cheveux bouclés jusqu’aux épaules, moustache fine et barbe clairsemée, vêtu d’un sweat-shirt noir à capuche, s’exprime comme témoin devant le tribunal correctionnel spécial de Paris, devant lequel sont déférés huit accusés pour leur implication, à divers degrés, dans le plan du terroriste qui a poignardé puis décapité le professeur d’histoire-géographie à sa sortie de l’établissement. « Il ne s’agit pas de répéter le procès mais le tribunal a besoin de vous entendre sur un certain nombre de points »précise le président. Une manière de faire baisser d’un cran la tension qui règne avant que l’ex-collégien, désormais au chômage, ne raconte sa version des faits.
« J’ai fini l’école, un homme est venu me voir. Il m’a proposé de l’argent en échange de lui montrer le professeur. J’ai accepté”» concède d’une voix égale Karim, âgé de 14 ans et en quatrième année au moment des faits, à l’automne 2020. Une motivation financière sur laquelle il insiste tout au long de son témoignage : “C’était juste pour l’argent.” “Honnêtement, je n’y ai pas du tout pensé.”assure le jeune homme, qui précise un peu plus tard qu’Abdoullakh Anzorov proposé “350 euros en deux temps”. “On lui a dit que le professeur était là et puis ce drame s’est produit”ajoute-t-il en roulant légèrement les yeux vers le ciel.
Le “Monsieur” dont il parle, c’est Abdoullakh Anzorov, un réfugié de 18 ans originaire de la République russe de Tchétchénie, qui sera abattu par la police après avoir assassiné Samuel Paty. Un jeune homme en apparence “normale” aux yeux de Karim.
“Il m’a dit : ‘C’est pas bien ce qu’il a fait, montrer une caricature’.”
Karimdevant la cour d’assises spéciale de Paris
« Il vous explique pourquoi il le cherche ? » demande le président du tribunal, Franck Zientara. Le jeune témoin acquiesce. “Est-ce qu’il vous dit ce qu’il veut faire?” poursuit le magistrat. « Filmez Monsieur Paty et demandez à Monsieur Paty de s’excuser pour ce qu’il a fait. » Franck Zientara insiste : “Pensiez-vous que ça allait mal finir ?” “Nous pensions tous qu’il allait le frapper.”admet Karim, qui avoue avoir pensé “à un combat, mais jamais à ça”sans jamais prononcer le mot d’assassinat ou de décapitation.
A la demande d’Abdoullakh Anzorov, Karim n’hésite pas à appeler et mettre sur haut-parleur Zohra* Chnina, la collégienne qui avait accusé Samuel Paty d’avoir montré des caricatures de Mahomet jugées obscènes. La jeune fille de 13 ans, qui était effectivement absente de l’école le jour du cours, a été condamnée en même temps que Karim à dix-huit mois de prison avec sursis pour dénonciation calomnieuse. Son père, Brahim Chnina, fait aujourd’hui partie des prévenus jugés devant la cour d’assises spéciale de Paris pour association de malfaiteurs terroriste.
Lors de cette conversation téléphonique, Zohra évoque des caricatures de Mahomet, comme le confirme Sami*, un autre écolier entendu dans la matinée. “Karim lui a dit de lui raconter ce qui s’est passé en classe, qu’elle s’est fait virer de la classe à cause du professeur”explique le jeune homme, aujourd’hui âgé de 19 ans et en dernière année d’école. Il a été condamné à vingt mois de prison avec sursis le 8 décembre 2023.
“Il nous a dit qu’il voulait voir le professeur pour se venger.”
Samidevant la cour d’assises spéciale de Paris
L’ancien collégien tente tant bien que mal de rassembler ses souvenirs : « On parlait d’injustice, tout le monde en était bouleversé. Comme il y avait une vidéo, cela a rendu le tout réel.
“Une caricature n’est pour moi qu’un dessin”le lâche Karim, qui affirme ne pas avoir compris l’ampleur de la situation. Il se tord les mains, les met devant son visage, cache ses yeux, retient quelques larmes puis se ressaisit. “Pourquoi est-ce que ça me tombe dessus ?” demande-t-il d’une voix tremblante. Face aux questions pressantes de l’avocate Hiba Rizkallah, qui défend Naïm Boudaoud, l’un des proches de l’agresseur accusé de complicité d’assassinat terroriste, le jeune homme peine à répondre. En quittant la pièce, l’avocat s’indigne et prétend qu’il vient de la menacer. Un moment de tension qui finit par s’apaiser après une courte pause d’audience.
* Les prénoms ont été modifiés.