« Mon travail d’ébéniste m’a aidé à préparer des fossiles »

« Mon travail d’ébéniste m’a aidé à préparer des fossiles »
« Mon travail d’ébéniste m’a aidé à préparer des fossiles »

Dans la salle où il l’attend, au château de Dampierre-en-Yvelines, ce monstre vieux de 150 millions d’années touche presque le plafond. Haut de 4 mètres, le squelette de Vulcain, un apatosaure, sera mis aux enchères ce week-end. Long de plus de 20 mètres, ce cousin éloigné du Diplodocus est présenté comme le plus gros dinosaure jamais vendu aux enchères.

Surtout, il est rare, presque complet. Pour pouvoir l’exposer ainsi, Nicolas Tourment et son équipe se sont chargés de restaurer et de compléter les 306 ossements fossilisés dont ils disposaient. A 61 ans, lunettes rectangulaires sur le nez et barbe pas tout à fait blanche, ce Marseillais est l’un des deux professionnels en dont le métier consiste, sinon à donner la vie, du moins à redonner le plus possible l’apparence qu’avaient les dinosaures. “C’est un apatosaure exceptionnel, terminé à 80%” confirms Nicolas Tourment. « Nous avons fabriqué la structure métallique, elle a été créée sur mesure, os par os, pour créer ce squelette que vous voyez. Les 20 % restants sont des reconstructions et des restaurations.

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Au total, ce paléontologue « autodidacte », comme il se décrit lui-même, a mis plus de deux ans à assembler ce gigantesque apatosaure. « En un an, nous parvenons à fabriquer un tricératops ou un allosaure. Plus la masse est grande, plus le travail est important. Là, vous avez des dimensions qui pèsent 60 kilos, ce qui est énorme. Cela prend donc beaucoup plus de temps que pour un dinosaure classique, c’est à la fois minutieux et imposant.

Ébéniste, sculpteur… et paléontologue

Si Nicolas Tourment est aujourd’hui restaurateur de dinosaures, il fut longtemps ébéniste et sculpteur avant de se consacrer à sa vocation. Il collectionne les fossiles depuis qu’il est enfant, une passion dévorante qu’il a débutée à l’âge de 6 ans et qu’il a poursuivie tout au long de son adolescence. “Dans la région d’Aix-en-Provence, autour de Marseille, dans les Basses-Alpes, il y avait beaucoup de fossiles”se souvient-il avec un sourire. « Nous avons trouvé des ammonites, des poissons fossiles, des coquilles de dinosaures, des œufs de dinosaures aussi, entiers ! Parfois, il y avait des chantiers de construction d’autoroutes, etc., où l’on découvrait des couches de dinosaures et qui allaient être détruites en plus par les autres. Nous allions donc récupérer ça pendant le week-end en évitant les bulldozers.

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Pourtant, dès l’adolescence, Nicolas Tourment s’oriente finalement vers une carrière d’ébéniste et restaurateur d’antiquités. La faute, dit-il, ce sont ses parents et sa famille qui, «par bêtise, [l’]m’a dissuadé de faire ce métier en disant qu’il n’y avait pas de débouchés… J’adorais aussi le bois et la sculpture. Je faisais ça aussi par plaisir… mais la paléontologie était plus forte. En marge de ces études, le jeune homme continue ainsi « apprentissage de la paléontologie à la faculté des sciences Saint-Charles à Marseille » alors qu’il a deux heures à tuer.

Une collection qui s’agrandit…

Il poursuit également sa propre collection de fossiles régionaux, qui s’agrandit progressivement. « Mon travail manuel d’ébéniste et de sculpteur m’a énormément aidé dans la préparation des fossiles puisque je préparais aussi n’importe quel objet antique. Donc la restauration de sculptures ou la restauration d’objets, nous sommes très proches des techniques de restauration de la pierre »assure-t-il.

Actif dans les réseaux de collectionneurs depuis son adolescence, sa capacité à mettre en valeur les fossiles le fait peu à peu se faire connaître. « Ce changement s’est produit précisément parce qu’il y avait de plus en plus de demandes en matière de préparation de fossiles. Il y a très peu de gens en Europe qui font ça… et puis, il y a vingt ou trente ans, il y avait beaucoup moins d’engouement pour ça, donc il n’y avait pas encore de marché.

Une équipe de 10 personnes

En 2011, alors qu’il est de plus en plus sollicité, Nicolas Tourment décide de créer sa propre entreprise de restauration de fossiles et de dinosaures, Laboratoire Paléomoove. « Les commerçants de fossiles voulaient valoriser leurs pièces pour les revendre un peu mieux »il se souvient. « Ils me les ont confiés pour le basement, le perfectionnement et la préparation. Au début, il s’agissait de grosses ammonites ou de petits squelettes sur plaques, pièces plus inoffensives. Et puis, il y a eu ces bases de dinosaures et la préparation des pièces qui arrivaient des Etats-Unis.»

Tricératops, allosaure, apatosaure, diplodocus, mosasaure… le restaurateur compte désormais une dizaine de grands dinosaures à son actif. Et depuis ses débuts, Nicolas Tourment a recruté une équipe d’une dizaine de personnes pour l’accompagner et a fondé une deuxième entreprise, Steel Wood Stone, pour bénéficier de locaux plus grands. “En plus de moi qui suis sculpteur, il y a un géologue, un ferronnier, pour la structure, et puis des paléontologues pour le nettoyage, la restauration des manquants, etc.”, précise-t-il. Depuis près de quatre ans, ce métier est rejoint par une imprimante 3D, chargée de créer des modèles des parties manquantes d’un squelette. C’est le cas par exemple du bout de la queue de l’apatosaure Vulcain, pour lequel l’équipe ne disposait pas d’os fossilisés.

Reconnu comme expert par la Chambre Européenne des Experts Conseil en Œuvres d’Art, Nicolas Tourment ne se contente plus d’attendre d’être sollicité, il répond également aux grands appels d’offres : «Nous avions postulé pour restaurer l’hôtel particulier du musée de Paris, mais nous n’avons pas été retenus à cause, je pense, de l’éloignement. il regrette encore. « Nous avons dû travailler sur place et faire les travaux dans le musée. Alors on a abandonné… ».

Quel d’os, quel d’os…

Parmi les dinosaures déjà restaurés par ses équipes, Nicolas Tourment compte un tricératops, un allosaure, un diplodocus ou encore un mosasaure. « Le tricératops que nous avons créé pour le musée de Prague était exceptionnel » se souvient avec plaisir le paléontologue. « Nous avons eu une belle surprise lorsqu’il a été dégagé : il avait une énorme morsure de tyrannosaure au niveau du collier. On a même pensé, au début, qu’il s’agissait d’une autre espèce, tellement il était déformé ! En fait, c’était une bouchée, et il a survécu avec, puisque cela avait été fait quand il était adolescent et qu’il a grandi avec… ».

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A la liste des surprises qui ont marqué Nicolas Tourment, on ajoute désormais l’apatosaurus Vulcain. Non seulement c’est «le plus grand qu’il ait jamais réalisé »mais le squelette avait aussi une particularité : une queue blessée, marque d’un traumatisme passé, qui raconte un peu plus en profondeur la vie de ce diplocide : « C’est une pathologie qui est certainement due à une blessure ou à une attaque d’un carnivore. Il pourrait y avoir un cancer des os, cela reste à déterminer. Mais cet apatosaure était certainement handicapé au niveau de la queue. Les os étaient beaucoup plus lourds que la normale et, surtout, ils étaient informes, non linéaires. La queue ne pouvait pas fouetter comme celles des autres sauropodes, à cause de cette énorme arthrose.

Ventes pour collectionneurs privés : quel sort pour l’apatosaure ?

Reste une question : que deviendra l’apatosaurus Vulcan, une fois vendu, pour une somme estimée entre 3 et 5 millions d’euros. Sera-t-il exposé à la vue de tous ? Ou restera-t-il dans une collection privée ? Car ces dernières années, les ventes de dinosaures connaissent un grand succès. En 1997, Sue, un T-Rex, a décroché la somme de 8,4 millions de dollars. En 2020, un autre tyrannosaure, nommé Stan et mesurant 11 m de haut, a atteint la somme record de 31,8 millions de dollars… dépensés par le musée d’Abu Dhabi.

Face à cette perspective, Nicolas Tourment ne semble pas trop inquiet : « C’est vrai que ce sont souvent des collectionneurs privés qui achètent dans ces ventes aux enchères, mais bon, ça finit souvent dans les musées, soit par don, soit par prêt. Et d’une manière générale, il y a aussi une clause qui peut obliger à ce que le squelette reste à la disposition des scientifiques ».

Dans le cas de Vulcain, les vertèbres fusionnées à cause d’une pathologie ont également été reproduites à l’aide d’une imprimante 3D et la pièce fossilisée est exposée à côté.

“J’ai dû fabriquer une douzaine de dinosaures, et il y en a huit dans les musées” continue-t-il. « D’autres sont dans des parcs et sont accessibles aux visiteurs. Quand les journalistes disent ‘le collectionneur met ça dans son salon’, ce n’est pas vrai… Tout le monde y a accès.» Reste finalement à savoir qui achètera Vulcain… pour pouvoir continuer à l’admirer.

 
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