La COP29, lancée lundi, est prévue jusqu’au 22 novembre, à Bakou, en Azerbaïdjan, au moment où l’ONU annonce enfer et inondations dans son rapport du 7 novembre. Le point sur la situation avec le climatologue mondialement connu Jean Jouzel, Nobel de la Paix. Lauréat du GIEC lorsqu’il en était l’un des dirigeants.
Qu’attendez-vous de la COP29 prévue jusqu’au 22 novembre à Bakou, en Azerbaïdjan ?
Le premier enjeu essentiel est la solidarité Nord-Sud : les pays développés doivent faire davantage pour aider les pays les plus vulnérables à s’adapter au réchauffement climatique. A Copenhague (COP15, en 2009), une somme de 100 milliards de dollars par an a été fixée à partir de 2020. Les deux premières années, elle n’a pas été atteinte, en 2022 et 2023, elle l’a été.
Mais bon nombre d’entre eux sont des prêts plutôt que des dons. Et pour développer par exemple les énergies renouvelables, pour aller vers une société sans carbone, il faudrait au moins 1 000 milliards de dollars. Il y a un écart entre ce que nous proposons et les besoins. Mais c’est la seule manière d’orienter les pays en développement vers une société plus vertueuse, ce qui est absolument indispensable.
La deuxième question essentielle est celle des efforts à faire pour limiter le réchauffement climatique, nous nous dirigeons vers une augmentation de 3,1°C (par rapport à l’ère préindustrielle) dans la deuxième partie de ce siècle, pour avoir des chances de revenir à 2°C, des engagements plus ambitieux que ceux actuellement sur la table sont nécessaires.
Il y a souvent un décalage entre les annonces lors des COP et la réalité des efforts déployés. Que valent ces promesses ?
Il est nécessaire de relever les ambitions, mais il est tout aussi important, en effet, de vérifier si les pays tiennent leurs promesses : en 2023, le premier bilan mondial, sur les cinq dernières années, a montré que nous étions en retard par rapport au engagements pris.
Ces COP sont-elles encore utiles ?
Oui, on ne peut pas dire que rien n’est fait. Sans les COP et sans les diagnostics du GIEC sur lesquels elles se fondent, la situation serait encore pire. Dans les années 1990 et au début des années 2000, on s’attendait à un réchauffement moyen de 5°C. Depuis, par exemple, les investissements dans les énergies renouvelables ont décollé.
Cette COP est organisée en Azerbaïdjan, pays qui tire ses ressources des énergies fossiles. Pensez-vous que cela pose problème ?
C’est encore trois fois de suite, après Dubaï l’année dernière, ce sera également le cas l’année prochaine au Brésil, producteur d’énergies fossiles. Mais il est difficile de discuter de la fin du pétrole si l’on n’accepte pas de discuter avec les pays producteurs de pétrole.
En Azerbaïdjan, il y a aussi le problème des droits de l’homme qui a conduit certains pays à proposer un boycott.
Agnès Pannier-Runacher cancels her visit
Rarement la COP n’a été confrontée à des vents aussi défavorables. A l’heure où les dirigeants internationaux se concentrent sur le changement climatique à Bakou, le climato-sceptique Donald Trump s’apprête à revenir à la Maison Blanche et le Parlement européen a validé, jeudi, un nouveau revers environnemental : le report d’un an de la loi contre la déforestation. encore plus détendu. La ministre française de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, a également annoncé mercredi qu’elle n’irait pas à la COP29 sur fond de tensions avec l’Azerbaïdjan, même si Paris participera aux négociations.
La victoire de Trump assombrit les perspectives. Peut-elle changer la situation ?
Donald Trump n’est pas enclin à faire preuve d’une grande solidarité avec les pays du Sud, ni à accroître les engagements des États-Unis. S’il est déjà le premier producteur d’énergies fossiles, il souhaite les accroître encore.
En revanche, les États-Unis sont clairement engagés dans la transition avec l’Inflation Reduction Act ; il n’est peut-être pas si facile de la remettre complètement en question, d’autant plus que l’année dernière, ce sont les États républicains qui en ont le plus profité et qu’un dynamisme économique se crée autour de la neutralité carbone, à l’image des véhicules électriques d’Elon Musk.
2024 devrait être la première année à franchir la barre des 1,5°C de réchauffement. Les objectifs ambitieux à long terme de l’Accord de Paris peuvent-ils encore être atteints ?
L’espoir d’atteindre ses objectifs s’amenuise encore davantage avec l’élection de Donald Trump, ce qui va mettre à mal la dynamique. Le risque est le moteur : si des pays comme l’Argentine suivaient la décision de Trump de se retirer de l’accord de Paris, ce serait catastrophique.
Le monde s’oriente plutôt vers un réchauffement compris entre 2,6 et 3,1 d’ici la fin du siècle. Quels en seront les effets ?
Le GIEC prévoit des événements extrêmes plus fréquents et plus intenses (sécheresses, canicules, cyclones, etc.), comme ce fut le cas avec les incendies de forêt incontrôlables de l’année dernière au Canada, où l’équivalent d’un quart de notre territoire national a brûlé. sur place. Avec des canicules à répétition. Les pics de température augmentent également beaucoup plus rapidement que les températures moyennes ; on pourrait ponctuellement atteindre des températures avoisinant les 50°C en France.
Malheureusement, ce qui était envisagé depuis cinquante ans se réalise. A + 3°C degrés, en moyenne mondiale, c’est un autre monde, plusieurs milliards d’habitants, tous ceux situés sur la ceinture tropicale-équatoriale, seraient dans des conditions que l’on qualifie d’invivables. Au-dessus de 35 degrés et 80 % d’humidité, vous ne pouvez plus dégager votre chaleur, vous ne pouvez plus avoir une vie normale à l’extérieur (sport, travail…).
Il y aura inévitablement des conséquences sur la stabilité de la planète. Les gens devront probablement quitter ces régions invivables.
L’élévation du niveau de la mer pourrait atteindre 50 centimètres supplémentaires, voire davantage, d’ici la fin du siècle.
Concernant les pluies torrentielles que nous avons connu, nous n’en sommes qu’au début. La Méditerranée est très chaude, il y a plus de vapeur d’eau dans les masses d’air qui sortent de la mer et se heurtent à des masses d’air froid (gouttes froides), ou bien contre les premières masses, les précipitations stagnent sur une région et cela conduit à ce qui a été vécu en Valence, ou aux épisodes cévenols.
Le réchauffement climatique, si nous n’agissons pas, est une menace pour l’humanité et pour la nature qui nous entoure, la biodiversité, les animaux domestiques qui nous entourent, les troupeaux. L’agriculture sera perturbée.
Les inondations meurtrières à Valence ont été accentuées par le changement climatique. Quelles leçons en tirez-vous ?
Il faut réfléchir aux conséquences que cela aurait sur le pourtour méditerranéen en France et prendre des mesures en termes d’évacuation des eaux, il faut désartificialiser les sols au maximum. Il y a aussi tout le problème de la prévention, de l’éducation à la culture du risque.
La prévision et l’alerte doivent être données au bon moment, mais elles doivent aussi être suivies, quand il y a une alerte rouge, on ne sort pas on est assez loin du but.
La France a dévoilé le 25 octobre son troisième plan d’adaptation au changement climatique, pour se préparer à affronter +4°C d’ici la fin du siècle. Est-il à la hauteur du défi ?
Il est logique d’anticiper un réchauffement de l’ordre de 4°C en France, même si c’est un peu désespérant car cela revient à s’avouer vaincu. Il faut tout faire pour que ces 4°C ne soient jamais atteints en France, mais encore faut-il s’y préparer. Il n’y a peut-être pas assez d’ambition dans le plan, on verra les détails et surtout si le financement sera au rendez-vous.
La planification écologique doit également rester ambitieuse. Le nouveau gouvernement n’a pas remis en cause les objectifs de notre pays, mais j’espère qu’ils seront atteints. Il faudrait réduire nos émissions de 5 % chaque année jusqu’en 2030 et même après, ce n’est pas acquis.
Mais les agriculteurs soulignent souvent aussi les contraintes environnementales.
Je suis issu d’un milieu agricole et je connais ses difficultés, mais il y a eu des déboires, au niveau français comme au niveau européen, qui sont dommageables pour le climat, on charge la mule pour nos enfants et leurs petits-enfants. Le modèle agricole doit s’adapter.
Les agriculteurs ont intérêt à prendre cette transition à bras-le-corps car ils sont en première ligne face au changement climatique, avec sécheresses et canicules. Les premières canicules ne sont pas bonnes pour le blé ni pour la vigne.
Il n’existe aucun secteur d’activité qui puisse dire « je ne suis pas concerné par le réchauffement climatique », c’est le cas de l’industrie et des transports. Mais la transition a des aspects bénéfiques ; les énergies renouvelables peuvent être par exemple un moteur de développement territorial.
Que vous inspire l’action du gouvernement Barnier ?
Michel Barnier avait été un bon ministre de l’Environnement. J’ai rencontré Antoine Pellion (secrétaire général à l’aménagement écologique), j’ai compris que l’aménagement écologique sera maintenu. Reste maintenant à voir le soutien financier qui sera apporté, mais il n’y a pas de remise en cause fondamentale des objectifs de la France.
Mais il y a eu des revers, notamment au niveau européen.
Oui, le « green deal » était très ambitieux au départ, le Covid lui a un peu coupé les ailes et il y a moins de dynamisme sur le sujet dans le second mandat de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen (le Parlement européen a validé (Jeudi, le report d’un an de la loi contre la déforestation et un nouvel assouplissement du texte, NDLR).
La fin des moteurs thermiques en 2035 est vraiment indispensable. Revenir toujours aux objectifs, c’est une erreur, y compris du point de vue du développement économique, les véhicules électriques prévaudront de toute façon, l’Europe a une carte à jouer.