« Ne comptez pas sur moi pour me désolidariser des hommes et des femmes avec qui j’ai travaillé pendant sept ans. » L’ancien ministre des Finances, Bruno Le Maire, a joué sur la corde raide ce jeudi matin, lors de son audition par la mission d’information du Sénat sur la dégradation des finances publiques depuis 2023. Tout au long des deux heures et demie de ses échanges avec les parlementaires, il s’est bien gardé d’incriminer directement ses anciens patrons, Emmanuel Macron en tête.
Il a en revanche réglé ses comptes avec l’actuel Premier ministre Michel Barnier, bien qu’il soit issu de son ancienne famille politique. « Je persiste et signe : si toutes les décisions que nous avions laissées sur la table avec Thomas Cazenave avaient été prises, nous aurions un déficit de 5,5 % en 2024 et non de 6,1 %. Je conteste ce chiffre, qui est sans cesse ressassé pour expliquer que le gouvernement précédent a tout fait de travers et que le nouveau fait tout bien. » Nul doute que Bruno Le Maire est arrivé bien préparé à cette audience aux allures de procès pour laxisme budgétaire, ne se livrant que dans de très rares ma faute.
Erreurs d’administration
Tout d’abord, il s’est longuement justifié sur l’incapacité de Bercy à anticiper la chute brutale des recettes fiscales, intervenue fin 2023 et qui s’est poursuivie en 2024. S’il a en apparence assumé la responsabilité de l’action de ses services, il l’a clairement fait savoir. que les prévisions de recettes étaient la prérogative de son administration. « Les recettes sont responsables de 95 % du dérapage du déficit et à aucun moment le ministre n’intervient dans la définition de leur montant. » Le sujet serait purement technique et les failles devraient être trouvées dans les modèles statistiques utilisés par Bercy. « Il n’y a eu aucune faute, aucune dissimulation ou intention de tromper. Il s’agit essentiellement d’une grave erreur technique dont nous payons le prix. »
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Les sénateurs restent dubitatifs sur sa subtile distinction avec la prévision officielle de croissance du PIB, qui fait l’objet d’un arbitrage politique de la part du ministre, en lien avec l’Elysée et Matignon. « Connaissant vos talents, je ne peux pas imaginer que le fonctionnement de Bercy soit à ce point compliqué qu’il ne soit pas possible pour un ministre de mettre en commun les prévisions de chacun »» a interrogé Jean-François Husson, rapporteur général LR du budget. Mais Bruno Le Maire a assuré qu’il y avait un « imperméabilisation totale » sur ce sujet afin d’éviter toute manipulation politique. Il a même osé une comparaison audacieuse avec les dossiers fiscaux des particuliers ou les informations des services de renseignement des douanes sur le trafic de drogue.
Arbitrages perdus
BLM s’est alors défendu d’avoir voulu balayer la poussière sous le tapis, en ne révisant pas immédiatement à la baisse les objectifs de déficit alors que la mauvaise nouvelle tombait début 2024. « Mon rôle est de maintenir la plus grande ambition en matière de déficit pour que chacun se sente libre de dépenser comme il l’entend. Le jour où vous commencez à baisser votre objectif, vous diminuez l’effort. Cela doit être fait à temps, ce que je crois avoir fait. » Il a ensuite tenté de montrer qu’il faisait de son mieux pour prendre des mesures afin d’éviter que les comptes ne dérapent.
Il a reconnu avoir perdu certains arbitrages tout en assumant une forme de solidarité avec Emmanuel Macron. « Si vous êtes fondamentalement en désaccord avec vos autorités, vous pouvez toujours démissionner. Or, nous n’en avions pas avec le président de la République, nous avions les mêmes objectifs. On ne démissionne pas pour un arbitrage perdu, un ministre des Finances ne tiendrait pas trois semaines. » Il a notamment proposé, à l’été 2023, une moindre augmentation des retraites et des prestations sociales. Mais cela n’a pas été suivi. Même chose au printemps 2024. Alors que Bercy proposait de faire 15 milliards d’euros d’économies, l’Elysée tranchera pour 10 milliards.
Surtout, le chef de l’Etat refusera de faire adopter un projet de loi de finances rectificative, qui aurait nécessité un débat au Parlement sur le mauvais état de nos finances publiques. « J’ai toujours pensé qu’il ne fallait pas éluder le sujet. » Les sénateurs ont alors poussé l’ex-ministre dans ses retranchements, lui demandant avec insistance si le choix de l’Elysée était lié à la tenue imminente des élections européennes. « La réponse est à demander à ceux qui ont saisi l’arbitrage »il s’est éludé à plusieurs reprises, ne citant ni le président ni l’ancien Premier ministre Gabriel Attal, qui sera entendu demain par les sénateurs.
Les mauvais choix de Michel Barnier
Il s’est en revanche montré beaucoup plus tranchant avec son successeur, Michel Barnier, qui l’a accusé sans enthousiasme de lui avoir laissé une situation budgétaire désastreuse. Après avoir rappelé qu’il ne disposait plus de la légitimité politique et des leviers administratifs pour prendre les mesures nécessaires après la dissolution, il a critiqué le gouvernement actuel pour ne pas avoir exécuté le budget qu’il avait préparé. « Cela nécessitait d’être plus ferme avec les ministres que j’ai vu menacer de démissionner si jamais on baissait leur budget. » Une allusion notamment à l’augmentation des crédits Justice, obtenue par Didier Migaud.
Il s’en est également pris à la politique fiscale de son successeur. « Nous n’avons jamais cédé à la facilité d’augmenter les impôts, c’est un point qui me tient à cœur, ni à une augmentation de l’impôt sur les sociétés pendant le Covid ni aux nouvelles taxes sur l’épargne des Français. Je sais trop bien qu’en France, on commence par taxer les riches et on finit toujours par taxer les classes moyennes, on cible les entreprises du CAC 40 et on termine par les PME. » Malgré le dérapage sans précédent des finances publiques, Bruno Le Maire s’accroche plus que jamais à son obsession de la stabilité budgétaire.