« Ô« On ne peut pas brûler les femmes faites de feu », telle est la devise des femmes iraniennes et de Mona Jafarian, infatigable militante franco-iranienne devenue l’une des voix en France du peuple iranien. Aujourd’hui, elle sort le livre je suis iranien published by Éditions de l’Observatoire. Suivie par plus de 150 000 personnes sur ses réseaux sociaux où elle relaie la parole des Iraniens à travers les vidéos et témoignages qu’elle reçoit, elle est la fondatrice de l’association Femme Azadi. Elle s’est entretenue pendant un an avec une quinzaine de femmes iraniennes qui survivent et luttent sans relâche contre le régime de la République islamique.
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A travers ces témoignages venus de tous les milieux sociaux qui composent la jeunesse iranienne, les différentes intervenantes abordent des thématiques devenues électriques en France : le port du voile, le soutien des hommes dans les luttes féministes, Israël, l’islamisme et surtout la laïcité. . Un ouvrage essentiel pour entendre et comprendre le peuple iranien et sa diaspora, et qui sonne pour son auteur comme un avertissement sur l’avenir de la France.
Le point : Comment est né cet ouvrage composé uniquement de témoignages de femmes iraniennes ?
Mona Jafarian : Ma maison d’édition, L’Observatoire, avait publié précédemment un ouvrage dans lequel de nombreuses personnalités écrivaient à la place des femmes afghanes qui ne pouvaient plus le faire elles-mêmes. Mon éditeur m’a suggéré de réaliser un projet similaire pour les femmes iraniennes. J’ai alors proposé de leur donner directement la parole afin qu’ils puissent exprimer leur point de vue sur la situation actuelle, sur les manifestations suite à la mort de Mahsa Amini. [Kurde iranienne de 22 ans arrêtée pour port non conforme du voile, et morte trois jours plus tard, NDLR] ou même à l’Ouest. J’ai reçu un feu vert immédiat et le projet s’est construit ainsi. Je ne m’attendais pas à recueillir des témoignages aussi forts… C’était très difficile à prendre psychologiquement. Je voulais que ceux qui lisent ce livre comprennent vraiment le peuple iranien et ne le réduisent pas à une esthétique romantique d’Amazones brûlant leurs voiles sur fond de chansons !
Pensez-vous que l’Occident ne comprend pas la violence subie par les femmes iraniennes ?
Non, bien au contraire. Je reçois souvent des messages me demandant pourquoi les Iraniens ne « manifestent pas », pourquoi ils ne « descendent pas à nouveau dans la rue » alors qu’ils sont 85 millions. Les Français ne comprennent pas ce que signifie manifester simplement en marchant dans la rue en Iran. L’une des femmes qui ont témoigné l’explique, racontant l’horreur qu’elle a subie pour avoir osé marcher main dans la main dans la rue avec son petit ami. Sortir en Iran, c’est s’exposer à des agressions physiques et sexuelles. Viols de femmes, d’enfants et aussi d’hommes, comme le révèle mon livre, parfois jusqu’à la mort. En lisant leurs histoires, ce qu’ils ont souffert, ce que leurs frères ont souffert, nous pouvons enfin comprendre pleinement ce que signifie protester contre le régime iranien. Au-delà de cette difficulté à se rendre compte du degré de répression, l’hypocrisie des chefs d’État, voire de l’ONU, est réelle : ils savent ce qui se passe. Une commission indépendante des Nations Unies a même produit un rapport de 580 pages listant tous les crimes contre l’humanité commis par la République islamique ! Mais rien ne se passe…
Dans ce livre, les femmes témoignent, mais elles parlent aussi beaucoup des hommes iraniens, qui sont de véritables alliés dans leurs luttes…
Bien sûr. Même si le livre s’intitule je suis iranienil suffit de le lire pour se rendre compte de l’importance des hommes dans les luttes pour la liberté. Un grand frère qui s’oppose à son père, membre des Gardiens de la révolution islamique, pour protéger sa mère et sa sœur… Encore un autre qui manifestera dans les rues, jusqu’à finir en prison, où il subira les pires exactions ! C’est tout un peuple qui se bat, pas seulement les femmes ! Aujourd’hui, si l’on voit que les femmes iraniennes résistent sans voile dans les rues, c’est aussi grâce aux hommes qui marchent à leurs côtés et se battent pour elles ! Il y a une vraie différence avec la situation des femmes en Afghanistan, où la majorité des hommes sont « talibanisés ». En Iran, on scande « Femme, vie, liberté », mais aussi « Homme, patrie, prospérité », les slogans se complètent, à l’image de nos engagements communs en faveur de l’humanité et de la liberté du peuple iranien.
Les femmes iraniennes vous parlent de leur aversion pour le voile et ce que cela signifie pour eux. L’une d’elles parle de son incompréhension face à la lutte pour le port du hijab ou encore de l’abaya en France…
J’avais honte d’en parler avec eux lors de nos discussions. Pour beaucoup de jeunes Iraniennes, le fait que des femmes puissent se battre en France pour porter le hijab ou l’abaya est un non-sens. D’ailleurs, l’un d’entre eux à qui j’ai fini par en parler a même éclaté de rire lors de notre échange ! Elle m’a d’ailleurs dit en persan : « Ça ne va pas, qu’ils viennent embêter la police des mœurs et j’irai me promener. rue des Champs-Élysées ! » La jeunesse iranienne, bien que très progressiste, ne comprend pas ces accusations « d’islamophobie » lorsque la symbolique du hijab est dénoncée, ici en France ! Pour elle, c’est incroyable, et il y a des raisons de le penser…
En France, les voix féministes engagées en Iran semblent divisées sur la question du port du voile et, plus largement, de l’universalisme.
En effet, et c’est précisément tout l’intérêt de mon livre. Nous parlons avec beaucoup d’Iraniens, le contact est direct et nous relayons les vidéos et témoignages qu’ils nous envoient. Là-bas, il n’y a pas de chichi : le voile est un outil d’oppression qu’ils brûlent ! Ils ne le plient pas avec respect, ils ne se battent pas au péril de leur vie pour le « droit de se voiler ou pas », sinon ils ne le détruiraient pas dans les flammes. Ils combattent tout ce que représente ce voile, qui n’est pas qu’un simple morceau de tissu. En France, nous sommes réduites au silence et stigmatisées pour de telles prises de parole, alors que 40 millions d’Iraniennes veulent retrouver leur liberté ! Je ne m’attaque bien sûr pas aux femmes qui portent le voile en France, mais à l’idéologie qui leur fait penser qu’elles doivent porter le voile et accepter ce que cela implique d’être « respectable ». Je combat ce qui s’établit dans la société française… Et ce n’est pas un point de vue de « bourgeoisie diaspora » ! Dans mon livre, il y a des témoignages de femmes issues de milieux défavorisés, voire extrêmement religieux. Le mouvement LFI dans les milieux militants féministes est complètement déconnecté de ce qui se passe en Iran et ne comprend pas à quel point c’est un pays universaliste et laïc !
L’une des femmes interrogées évoque également le soutien du peuple iranien à Israël. Qu’en avez-vous pensé ?
J’ai hésité à quitter ce passage du livre, car, comme la question de la symbolique du voile, Israël est un sujet électrique en Occident mais pas du tout en Iran. Mais je voulais les laisser dire ce qu’ils voulaient, et la réalité est que les Iraniens en ont assez de voir leur argent servir à financer le terrorisme, alors qu’ils vivent dans une grande précarité. Le peuple iranien n’a aucune animosité envers Israël, ni envers l’Occident ou les Etats-Unis, mais au contraire une réelle lucidité sur le terrorisme. Une Iranienne interrogée exprime sa crainte que la République islamique ne déclenche une guerre et que ce soit le peuple qui boive. Un autre parle des milices arabes qui viennent en Iran pour prêter main forte au régime et commettre les pires exactions pour faire respecter la charia et faire taire les manifestations… C’est très loin de ce qu’on entend aujourd’hui au sein de la jeunesse française !
Vous semblez, dans cet ouvrage, aussi optimiste pour l’avenir de l’Iran que pessimiste pour celui de la France… Pourquoi ?
C’est établi, la République islamique est morte et enterrée pour les Iraniens. Le régime est rejeté par la quasi-totalité du peuple. Il a tout essayé mais a perdu la bataille idéologique. En collectant et en traduisant ces témoignages, j’ai ressenti une grande déception à l’égard des dirigeants occidentaux, mais j’ai aussi compris à quel point on se sent censuré en France. Sans le vouloir, nous avons laissé gagner du terrain à l’islamisme et nous avons bien plus de pudeur que les femmes qui vivent sous le joug de cet islamisme. C’est une véritable gifle face à notre société française que des femmes risquent leur vie pour défendre des valeurs universalistes, laïques et républicaines alors qu’en France on tremble à l’idée de les évoquer !
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Kangourou du jour
Répondre
Mais j’ai encore de l’espoir pour mes deux pays : l’Iran a 45 ans d’avance sur la France, et tout ce qui s’y est passé, cette convergence des luttes entre l’extrême gauche et l’islamisme, je le vois apparaître ici… Espérons que nous n’ayons pas à le faire vivez ce que les Iraniens ont subi pour que la France redevienne laïque !
je suis iranienby Mona Jafarian, Éditions de l’Observatoire, 192 p., 18 euros, published November 6, 2024.