C’est une heureuse coïncidence documentaire, à l’origine d’une métaphore cocasse : positionnée malgré elle à l’avant-garde d’une équipe de football féminin du Val de Nièvre, l’avocate et chroniqueuse de droite Sarah Saldmann manque de peu de marquer un but, en contrant involontairement un match raté. dégagement de la défense adverse. En filmant Saldmann immergé pendant une semaine dans différents milieux populaires, Gilles Perret et François Ruffin ne lui auraient-ils pas donné l’occasion de marquer des points ? La question se pose d’autant plus lors de ce match de football situé au milieu du film, qui se termine sur une liesse collective où l’amatrice de sacs de luxe fait ouvertement preuve de complicité et de tendresse envers ses coéquipières du jour. Malgré ses excès et le mépris des pauvres dont elle fait preuve avec aplomb sur les plateaux de C8 et BFM, Saldmann aurait un bon bagage. Elle serait même bon », si l’on en croit les réactions des ouvriers dont elle partage le quotidien, le temps de quelques heures, à Lyon, Boulogne-sur-Mer ou Amiens.
Depuis un certain temps, le piège tendu par Perret et Ruffin en Mettez-vous au travail ! semble se retourner contre eux. La chroniqueuse en est consciente et en joue avec autodérision : exploitant son rôle comique, elle raconte aussi à Ruffin que son regard a changé, qu’elle ne se plaindra plus, par exemple, d’un livreur qui refuse d’attendre son départ. . de son bain pour recevoir son colis. Troublée par les conditions de vie des personnes, elle interpelle, sur BFM, « balle “, de la ” assisté ” et ” paresseux », l’émotion la submerge même face au témoignage émouvant d’une aide-soignante à domicile, qui vante son travail d’assistance aux plus vulnérables, tout en rappelant les conditions éprouvantes de son métier. ” Tu ne filmes pas quand je pleure ! Nous le couperons au montage » demande-t-elle devant la caméra de Perret. La demande est stratégique et il s’agit évidemment de comprendre le contraire : me filmer quand je pleure car, après tout, j’ai aussi un cœur.
Ego à gogo
L’entreprise d’autodiabolisation fonctionne donc à merveille, malgré la faible résistance de Ruffin, qui répète à plusieurs reprises qu’il ne veut pas être l’instigateur d’une opération de « tourisme social « . C’est pourtant là la principale limite du film, qui suit la structure narrative d’un tour de France parmi les prolos (avec des cases cochées au détour de certains dialogues pour montrer un crédit clair sur le féminisme, le racisme, etc.), articulé autour de la chroniqueuse, qui s’affirme comme le moteur central du dispositif comique. Perpétuant l’égocentrisme cinématographique qui le caractérise depuis Merci patron!Ruffin apparaît souvent en concurrence avec Saldmann pour briller devant la caméra de Perret, qu’il redirige sur lui en commentant la situation ou en lui livrant quelques sales blagues – jamais drôles. Lors des conversations avec le chroniqueur, celui-ci continue d’insister abondamment sur ce qui les différencie, sans se rendre compte qu’il occupe parfois une position similaire. En témoigne une belle pensée : quelques minutes après que le député affirme, lors d’un échange avec un chef afghan, qu’il ne cuisine jamais, Saldmann avoue ne pas savoir cuire un œuf… Peut-on réinsérer Ruffin ? Lors d’une journée passée à Grigny avec des apprentis en formation, le député a appris à brancher quelques câbles à fibres optiques sur le trottoir, enfilant le même costume d’ouvrier que son compagnon pour confirmer que, décidément, le sujet de l’expérimentation était double.
Plus intelligent qu’il n’y paraît, Mettez-vous au travail ! se félicite d’un revirement salutaire dans son dernier tiers. Le montage, qui éclipse peu à peu Sadlmann au profit de Ruffin, a préparé le terrain : la chroniqueuse finira évincée du tournage avant la fin de la semaine d’immersion, ce qui explique la présence de plus en plus importante à l’écran de son partenaire de jeu. Après chaque journée de travail, Saldmann continue de proférer des injures à la télévision sur l’insécurité dans les quartiers populaires ou sur les massacres en cours à Gaza (légitimes et proportionnés, selon elle), au point que Perret et Ruffin jugent nécessaire d’interrompre le travail. expérience pour souligner l’objectif premier deMettez-vous au travail ! : mettre en valeur les plus précaires et ainsi leur redonner de la dignité. C’est le cas de cette femme de ménage qui dit avoir honte de ses dents mais espère en avoir de nouvelles avec l’argent gagné par son travail actuel, après des années passées au chômage. Dans la dernière scène du film, Perret et Ruffin la retrouvent : elle arbore alors un grand sourire, marchant fièrement sur le tapis rouge qu’ils ont déroulé pour célébrer, imitant une cérémonie cannoise, les personnes qu’ils ont rencontrées tout au long du tournage. Tandis que la chroniqueuse continue de propager son idéologie nauséabonde sur les plateaux télé, le film aura su tourner à son avantage le dispositif vaniteux de l’immersion : plutôt que de chercher à réintégrer Saldmann, il fallait simplement la licencier.