Il fut un temps avant, où Emmanuel Mouret lui-même jouait dans ses propres films, des sortes de comédies romantiques françaises, Laisse Lucie le faire (2000) jusqu’à Caprice (2015), rôle sur mesure d’une ingénue maladroite, déboulant avec de nombreuses bévues dans la ronde des sentiments. Et puis, avec Mademoiselle de Joncquières (2018), il se retire derrière la caméra, se consacrant entièrement aux autres acteurs, dont il réunit à chaque film de subtiles combinaisons. Retrouvez le cinéaste dans une rue du 13e arrondissement, à Paris, il est, le temps d’une courte hallucination, retomber sur son ancien caractère : cheveux enjoués, nez au vent, demi-sourire rêveur, veste et écharpe de post-étudiant, depuis passé maître, mais sans avoir l’air.
Trois amisson dernier long métrage, présenté à la Mostra de Venise en septembre, est une évasion romantique pour trois interprètes féminines – India Hair, Camille Cottin et Sara Forestier – sur une large palette allant du rire aux larmes. « Si l’intrigue de base était plutôt tragique, je ne voulais pas sombrer entièrement dans le mélodrame.confides Emmanuel Mouret. Mais entremêlez plutôt le sérieux avec le fantastique, avec la comédie. Comme Leo McCarey ou Billy Wilder, nous passons du sérieux au léger – et nous ne commençons que par les films que nous aimons. En peinture, on parlerait de contraste, en musique de contrepoint. »
L’idée initiale pourrait être trouvée chez le philosophe coréen Byung-Chul Han, dans La société de la transparence (PUF, 2017), un idéal moderne qu’il oppose à une véritable société de confiance. « Cela m’a fait penser qu’en amour, la confiance ne s’établit pas non plus sur une transparence totale. »
Dans un vase clos
D’un terme à l’autre s’ouvre en effet un espace propice à l’imaginaire mourétien, celui des incohérences amoureuses et des circulations du désir. Dans ses films, une relation en cache toujours une autre, chaque couple fait un domino et tire vers le triangulaire. « L’individu moderne est encore profondément diviséprécise le cinéaste. D’une part, il est tenu par la société de respecter ses engagements, d’autre part en tenant compte de ses propres envies. » Comment concilier les deux ? « Cette question intéresse toujours la fiction. C’est pareil dans un film de couple ou dans un film de gangsters : celui qui respecte les règles du clan, que se passe-t-il le jour où il est obligé de tirer sur son meilleur ami ? Là, il commence à y avoir du cinéma. »
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