L’écrivain franco-algérien Kamel Daoud, lauréat lundi du prix Goncourt, à 54 ans, est un chroniqueur critique de l’Algérie dont la liberté de ton a fini par le contraindre à quitter sa ville d’Oran pour Paris, à contre cœur.
« Houris » (éditions Gallimard), le roman lauréat du Goncourt, ne pouvait pas être exporté en Algérie, encore moins traduit en arabe.
Comme l’écrit l’auteur dans son roman, la loi algérienne interdit toute mention dans un livre des événements sanglants de la « décennie noire », la guerre civile entre le gouvernement et les islamistes entre 1992 et 2002.
En Algérie, « je suis attaqué parce que je ne suis ni communiste, ni décolonial, ni antifrançais », disait cet « exilé par la force des choses » au Point, le magazine français dont il est chroniqueur, en août.
– Etiquette de traître –
Il prend la nationalité française. Dire même, en référence au poète Guillaume Apollinaire, né polonais et naturalisé en pleine Première Guerre mondiale : « J’ai le syndrome Apollinaire, je suis plus Français que Français ».
Il ne peut se débarrasser, auprès d’une grande partie de l’opinion et de l’intelligentsia algériennes, de l’étiquette de traître à son pays.
De nombreux Algériens, au contraire, admirent ses écrits, sa connaissance de l’histoire du pays et son entêtement à poser des questions qui fâchent. A commencer par l’éditeur Sofiane Hadjadj, des éditions Barzakh, qui a publié « Meursault, contre-enquête » en 2013.
« Il a inventé sa propre façon d’écrire », commentait-il au moment du succès fulgurant de ce roman, repéré par Actes Sud.
Sortie en France à 3 000 exemplaires en mai 2014, cette relecture de l’intrigue de « L’Étranger » d’Albert Camus sera l’une des sensations littéraires de l’année, avec plus de 100 000 exemplaires vendus. Finaliste du prix Goncourt, l’œuvre a remporté, entre autres, le Goncourt des lycéens.
Des propos tenus à la télévision française valent alors à Kamel Daoud une diatribe de la part d’un imam salafiste, qui aurait été une fatwa si son auteur en avait eu la légitimité. Un tribunal condamnera cet imam en 2016 pour « menaces de mort », avant qu’une cour d’appel n’enterre l’affaire.
– Intégrité –
Fils de gendarme, Kamel Daoud est né à Mostaganem (nord-ouest) en juin 1970, aîné de six enfants. Il a été élevé par ses grands-parents dans un village dont il est devenu imam dès son adolescence, côtoyant les islamistes, avant de s’éloigner de la religion.
Seul de sa fratrie à étudier la littérature, il s’oriente vers le journalisme, d’abord chez Détective, la version algérienne du magazine d’information, puis dans un grand journal francophone, Le Quotidien d’Oran.
Comme il l’expliquait lors de la promotion d’« Houris », des postes de journalistes étaient devenus disponibles après des assassinats. Le métier était dangereux et très délicat : il fallait rendre compte de massacres que chacun voulait dissimuler, minimiser ou exagérer.
Sa réputation d’intégrité lui vient de cette période, puis d’articles et de tribunes où il dénonçait sans détour tout ce qui ronge la société algérienne : la corruption, l’hypocrisie religieuse, l’abandon du pouvoir, la violence, les archaïsmes, les inégalités.
Père de deux enfants, il a arrêté le journalisme en 2016, au profit de la littérature.
C’était après une vive polémique, en France et au-delà, autour de sa dénonciation dans Le Monde de « la misère sexuelle dans le monde arabo-musulman, le rapport malade à la femme, au corps et au désir ». Certains l’avaient accusé d’entretenir un cliché raciste.
“J’ai le droit de penser et de défendre mes idées”, avait-il répondu dans un entretien à l’AFP en 2017. “Tous les Algériens n’ont pas besoin d’être sur la même longueur d’onde.”