Qui était Lee Miller, le photographe de guerre incarné par Kate Winslet à l’écran ?

Qui était Lee Miller, le photographe de guerre incarné par Kate Winslet à l’écran ?
Qui était Lee Miller, le photographe de guerre incarné par Kate Winslet à l’écran ?

Outil préféré : le mixeur. Petits plats préférés : guacamole et rouleaux d’épinards. Dans un portrait qui lui est dédié Vogue en 1965, Lee Miller, 58 ans, partageait quelques recettes et posait dans un tablier blanc impeccable, brushing assorti, saladier à la main, une ménagère modèle qui n’aimait rien de plus que passer des heures en cuisine. Et de s’extasier sur ce mixeur, grâce auquel, « même en robe de soirée, en attendant le taxi » elle peut « faire de la mousse au chocolat pour dix personnes ».

Où est-elle passée, l’icône Lee Miller du surréalisme, chez vous et chez vous avec les trublions Man Ray ou Paul Éluard ? Le photographe de guerre casse-cou Lee Miller qui a documenté la chute de l’Allemagne nazie comme aucun autre ? La Lee Miller si bohème, si libérée, si aventureuse que Hollywood lui a concocté le biopic le plus attendu – Lee Milleravec Kate Winslet dans le rôle titre, qui sort enfin en Belgique ce mercredi 9 octobre 2024 ? A-t-elle cédé sa place au profit de cette ménagère chic et bonne à tous égards ? Pas si vite. «Quand elle cuisinait, c’était de l’art, de la performance», corrige son fils Antony Penrose. Je me souviens de ses spaghettis bleus, de son poulet vert ou de cette paire de poitrines de chou-fleur, garnies de mayonnaise rose, avec des tomates cerises en guise de tétons. »

Les mille vies de Lee Miller

Cordon-bleu, peut-être, mais toujours surréaliste ! Dans sa cuisine, les convives qui mettent la main à la pâte en sirotant du vin et du whisky à forte dose s’appellent Max Ernst, Elsa Triolet ou ce Pablo Picasso « qui sentait si bon : un mélange de fumée de Gauloises et d’eau de Cologne », se souvient Antony. Penrose. La Lee des années 50 et 60 ne dit cependant rien de sa vie antérieure : comment ces VIP sont devenus ses proches, comment elle s’est fait un nom, est un mystère. « Dans toute ma vie, j’ai dû l’entendre deux fois parler de la guerre », poursuit le fils. Et cela de manière très impersonnelle, comme si elle ne l’avait pas vécu. Sans aucun doute, elle souffrait de stress post-traumatique, même si à l’époque il n’existait pas de mot pour le désigner. »

La cuisine, la vie domestique, la sédentarité, l’alcool aussi, comme remparts contre les images indescriptibles du Débarquement ou de Dachau qui s’étaient gravées en elle. « Miller balaie tout le spectre du féminin », analyse Judith Perrignon, journaliste et romancière qui a consacré une passionnante série au photographe sur France Culture. Lee, c’est la beauté, le talent, la force, la liberté, mais aussi les blessures qu’elle porte et les drames de l’enfance : son exposition précoce au danger, à l’horreur, explique peut-être, plus tard, son tempérament impétueux. »

Pour moi, Lee Miller est une force vivante plus qu’un objet de désir qui retient l’attention d’hommes célèbres.

L’horreur vécue si tôt, c’est ce viol, à 7 ans, par un « ami de la famille », qui, en plus de la briser à vie, lui a transmis la gonorrhée, une MST qui, au début du XXe siècle, est mal soignée. L’horreur, c’est aussi ce premier petit ami qui se noie sous ses yeux alors qu’elle navigue en bateau avec lui. Il y a aussi ce père au regard trouble, Theodore Miller, ingénieur et photographe amateur, qui pose Lee nue alors qu’elle est encore adolescente, et prend des photos dérangeantes au possible. Cependant, c’est en prenant la pose qu’elle gagnera d’abord sa vie.

Lorsqu’elle quitte Poughkeepsie, sa petite ville natale de la vallée de l’Hudson, pour New York, un hasard romantique la place sur la route de l’homme d’affaires Condé Nast, fondateur du groupe de presse qui porte son nom : Lee manque de se retrouver renversée par un voiture, Condé, qui passait par là, l’arrête, la blondeur et l’apparence de cette jeune fille de 20 ans le captivent. La voici quelques mois plus tard en couverture de Vogue, dont il est propriétaire. Sa coupe courte, très boyish, va s’épanouir sous l’objectif des grands photographes du moment et faire d’elle un mannequin phare des années 1920, mais ce gagne-pain l’ennuie vite.

Passez derrière l’objectif

Elle, qui a malgré elle des notions de photographie, paternellement obligée, sent qu’elle a plus à dire derrière l’objectif que devant l’objectif. Elle s’envole donc pour Paris avec la ferme intention de faire de Man Ray, le pape du surréalisme en photographie, son professeur. Elle se présente ainsi à lui, d’emblée, avec une confiance qui fait mouche : « Lee Miller, je suis votre nouvel élève. » Étudiante, oui, puis vite assistante, amante, modèle qu’il photographiait sous toutes les coutures, aussi collaboratrice qui créa avec lui des œuvres à quatre mains même si l’histoire de l’art l’a longtemps cantonnée au rôle d’égérie.

“Ce mot m’irrite énormément, car il était trop souvent utilisé pour définir qui elle était en se basant uniquement sur son apparence”, écrit l’actrice vedette Kate Winslet dans l’avant-propos de Lee Miller, Photographs (Ed. Delpire & Co.), le travail sur Lee Miller qu’Antony Penrose publie ces jours-ci. Pour moi, Lee Miller est une force vivante (…) plus qu’un objet de désir retenant l’attention d’hommes célèbres. » Car dans ces années parisiennes, quand Man Ray mais aussi Jean Cocteau en faisaient une œuvre d’art, elle produisait déjà sous son propre nom des clichés singuliers qui ressemblaient à des farces macabres : un sein dans une assiette couché à la manière d’un steak. , une main de femme frêle qui semble briser une vitre…

« Je préfère prendre une photo que d’en être une », dit-elle à son maître-amant lorsqu’elle le quitte en 1932. Elle n’a alors que 25 ans, mais elle a un style bien distinct. avec elle et un carnet d’adresses bien rempli, qu’elle retourne à New York pour fonder un studio photo : Vogue, aussi charmé par son œil que jadis par sa blondeur, lui achète des portraits et des séries de mode.

Fatigué! Celle qui ne s’installe jamais nulle part, à mille lieues de la vie bien ordonnée qu’elle prétend mener après la guerre, y plante toutes ses activités new-yorkaises pour vivre au Caire chez Aziz Eloui Bey, un homme d’affaires égyptien dont elle est tombée amoureuse. Evidemment, dans le monde strict des expatriés, elle se démarque, cette Lee qui parcourt le désert pour en photographier la minéralité, cette Lee qui prône l’amour libre et qui fait des allers-retours du Caire à Paris pour jammer avec sa bande – le couple Nusch et Paul Éluard, Louis Aragon, la peintre Leonora Carrington…

Elle se lassera aussi de l’Egypte et d’Aziz. Car c’est désormais vers Roland Penrose, figure du surréalisme britannique, que son cœur balance et c’est avec lui qu’elle s’installe, à Londres, quand éclate la Seconde Guerre mondiale.

Vision acide de la guerre et provocation d’Adolf Hitler

Ce qui frappe, c’est le décalage constant, parfois à la limite du malaise, avec lequel elle aborde cette période sombre : dans les décombres de la capitale anglaise post-Blitz, elle tourne une charmante série de mode ; d’une rue bloquée à cause d’une bombe non explosée, elle a réalisé une drôle de photo intitulée « Vous ne déjeunerez pas dans Charlotte Street aujourd’hui ». D’un côté une distance presque comique, de l’autre une envie de voir la guerre de toujours plus près.

Accréditée comme reporter par l’armée américaine arrivée en France – correspondante de Vogue encore, elle réalise textes et photos –, elle dit au commandement : « Traitez-moi comme vos gars. » Elle voit donc tout, les hôpitaux de campagne, les batailles rangées, les survivants et les cadavres des camps de la mort, et en gros plan.

L’image la plus célèbre d’elle est cette salle de bain d’Hitler à Munich dans laquelle, nue, elle se représente, un moment immortalisé par son collègue et amant – l’amour libre, même là – David E. Scherman, correspondant de Life.

Au-delà de l’humour noir, l’historienne Sylvie Zaidman, directrice du Musée de la Libération de Paris, commissaire l’année dernière de l’exposition Women War Photographers, souligne la portée politique des photos de Miller : « Prenez cette image qu’elle a prise dans les ruines de Cologne, où deux jeunes femmes, comme si de rien n’était, fument des cigarettes. Cela rejoint les textes écrits par Lee Miller : elle pointait, avec toute sa colère, le déni dans lequel s’enfermaient les civils allemands. »

Lorsque Miller épousa Penrose puis donna naissance à Antony en 1947, elle était encore sous le choc de ces visions effrayantes. Elle impressionne en cuisine, brille à table avec sa bande d’amis ivres, mais en privé, c’est une mère dépassée, abasourdie par ses démons. « Mère, c’était un travail qu’elle ne pouvait pas assumer », se souvient Antony. Elle a donc recruté une merveilleuse nounou, Patsy, qui m’a donné tout son amour. Lee [il ne dit jamais Mum ni même my mother, ndlr] ne m’a pas donné. Dès lors, je considérais Lee comme un être hostile que je préférais éviter. »

Entre mère et fils, les relations ont toujours été houleuses et ce n’est qu’après la mort de Lee, grâce à une trouvaille fortuite, qu’Antony conçoit pour elle les prémices d’un amour filial : un jour, Suzanna, la femme d’Antony, découvre le grenier de Farleys Farm. , la maison de campagne des Penrose dans le Sussex. [aujourd’hui transformée en musée : Farleys House & Gallery, Home of the Surrealists, ndlr]un manuscrit relatant l’assaut américain sur Saint-Malo occupé par les Allemands : le brouillon d’un reportage de Lee pour Vogue.

Et puis, sous des couches de poussière, éparpillées dans des cartons, des négatifs et des tirages par dizaines de milliers. « Cette Lee qui surjouait la ménagère y avait caché tout son passé, organisant son propre oubli », admire Judith Perrignon. Antony Penrose, en examinant ces précieux documents, « réévalue complètement cette femme dont [il avait] une opinion si basse. Si seulement j’avais su tout cela de son vivant, peut-être que je l’aurais mieux comprise et mieux aidée… »

Il écrit une première biographie sur sa mère, 1985, The Lives of Lee Miller (Ed. Thames & Hudson), traduite en français en 2021 – « inondant mon clavier de larmes » –, inventorie son œuvre, va de musée en musée, de conservateur à conservateur, pour le réhabiliter. Depuis, il consacre sa vie à cette seule tâche : faire connaître une artiste et une femme qui, de son fils comme du monde, s’est toujours éloignée.

Lee d’Ellen Kuras, avec Kate Winslet, Alexander Skarsgård, Andrea Riseborough, Marion Cotillard, Noémie Merlant…

Source : Marie Claire France.

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Malvine Sevrin

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Des podiums parisiens aux derniers soins qui enflamment TikTok, je décrypte les tendances pour Marie Claire Belgique. Passionnée de voyages, de mode et de beauté, je partage mes coups de cœur chinés aux quatre coins du globe. En tant que rédactrice en chef digitale, j’ai également à cœur de mettre en avant les histoires inspirantes de femmes à travers notre site et sur nos réseaux sociaux.

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