L’exposition Travail de repos de Jin Heewoong pose un regard critique sur le concept de résidence d’artistes. Lors d’une résidence expérimentale de huit jours en 2015 en Corée du Sud financée par les institutions artistiques du pays, l’artiste sud-coréen a réalisé un projet qui examinait les critères de sélection des résidences et leurs mécanismes de soutien. Celles-ci offrent des financements et des espaces de création pour que les artistes puissent se consacrer entièrement à leur production artistique.
Mais après avoir immigré à Montréal en 2017, M. Jin a eu du mal à trouver du financement, dans un système qu’il ne connaissait pas, pour exposer le travail qu’il avait réalisé en 2015. « Je ne comprenais pas encore tout le sens de mon projet à l’époque, » explique-t-il. « Entre 2015 et aujourd’hui, j’ai vécu des expériences de vie, j’ai eu deux enfants. Et c’était difficile de maintenir mon rythme de travail. »
Après avoir étudié les beaux-arts à l’Université Concordia et bâti un réseau professionnel ici, il a enfin eu l’occasion d’exposer son projet au Dazibao Current Art Center cette année. L’œuvre reflète la complexité de trouver un équilibre entre production artistique et repos ainsi que les failles du système de résidence.
Le concept de son projet était de déléguer sa production artistique à une autre personne, de documenter ce processus et les obstacles rencontrés afin qu’il puisse se reposer et examiner les complexités des résidences d’artistes. Dans l’exposition, on peut voir des traces qui témoignent des démarches qu’il a effectuées lors de sa résidence, comme des contrats de travail, une vidéo des appels que l’artiste a passés au cours de son processus créatif et des photos prises lors de l’expérimentation.
L’artiste a lancé un appel ouvert en Corée du Sud pour trouver quelqu’un qui pourrait s’occuper de sa production artistique lors d’un séjour de cinq jours à Manille ou au Japon.
Même si M. Jin connaissait déjà certains des candidats, il ne leur a pas accordé la priorité. Il a décidé de faire sa sélection uniquement en fonction du contenu des dossiers soumis. Il ne voulait pas répéter la pratique courante des résidences d’artistes ; sélectionner uniquement des artistes avec lesquels ils avaient déjà une connexion. La candidate retenue était une jeune étudiante en art qui a choisi de passer son séjour à Manille. Elle a été choisie parce que l’esthétique de sa pratique correspond à celle de M. Jin.
« Elle a dû suivre mes instructions pendant ses cinq jours de voyage. Je lui ai fourni des billets pour Manille et un hébergement, et chaque jour je lui ai demandé de se rendre dans des endroits particuliers de la ville et de prendre des photos de scènes spécifiques. »
Avec un artiste sous-traitant qui serait responsable de sa production artistique, M. Jin prévoyait alors de se reposer huit jours et de socialiser avec les autres artistes qui participaient également à la résidence. Mais il a vite constaté que le travail de coordination avec son participant était plus laborieux que prévu.
« Chaque jour, elle devait m’appeler pendant dix minutes. Mais nous n’avons pas réussi à communiquer pendant deux des cinq jours de son voyage ! « Une fois, c’est arrivé parce qu’elle n’avait pas de signal wifi », se souvient-il. « J’étais très inquiet de ne pas pouvoir la rejoindre, car à l’époque il y avait une instabilité politique qui rendait dangereuse les sorties nocturnes. Alors, j’ai essayé de la contacter, ça n’a pas marché et j’ai paniqué en demandant aux autres artistes de ma résidence : « Que dois-je faire maintenant ? »
Critique
Après cette expérience, M. Jin a conclu qu’il n’était pas possible pour un artiste de se reposer. « J’étais censée être une artiste au repos et la participante était censée profiter de son voyage. Mais en fin de compte, nous n’avons pas tous deux atteint ces objectifs », dit-il. La participante a également conclu que, pour son travail, elle méritait une rémunération supérieure au billet d’avion et au logement qu’elle avait reçus.
« Je critiquais indirectement le système de résidence d’artistes, où il faut produire quelque chose, comme une exposition ou des discussions d’artistes. Et je me suis demandé : sommes-nous assez bien payés pour ce travail ? » explique-t-il, déplorant vivement le manque de financement de la part du milieu artistique. « Et lorsque vous postulez pour une résidence et que vous êtes accepté, vous devez demander une bourse, mais vous n’êtes pas financé à 100 %. Dans le même ordre d’idées, le participant s’est senti exploité. Parfois nous travaillons, mais tous les artistes ne vendent pas leur travail, qui sont exposés dans des galeries, qui sont représentés par une agence commerciale. »
Il estime qu’il serait plus pertinent que les résidences soient conçues en fonction des besoins spécifiques des artistes. M. Jin cite notamment une résidence à New York pour mères célibataires qui propose une garderie sur place et un financement pour leur production artistique. “Il faut se demander si le système de résidences d’artistes est vraiment là pour soutenir les artistes ou si ces structures sont là pour utiliser les artistes et profiter de leur production”, conclut-il.