Les rues de Paris reconquises par la végétation, les musées désertés, la Tour Eiffel en ruines… Les photographes Yves Marchand et Romain Meffre ont imaginé comment la capitale française évoluerait si elle se retrouvait livrée à elle-même. Ils ont utilisé l’intelligence artificielle pour créer des dizaines de vues fictives de la ville. L’édition du soir vous propose une sélection.
« Si Paris était en ruines, où irions-nous et que prendrions-nous en photo ? » C’est la question que se sont posés Yves Marchand et Romain Meffre lorsqu’ils ont commencé à travailler sur leur projet début 2024. Ces deux photographes se sont longtemps spécialisés dans les ruines contemporaines et l’urbex (contraction de l’expression anglo-saxonne « urban exploration »), discipline qui consiste à explorer des lieux abandonnés. Habituellement, ils représentent des lieux réels, abandonnés par les humains depuis des décennies. Ils se sont notamment fait connaître en immortalisant les paysages post-apocalyptiques de la ville américaine de Détroit en 2010, à partir desquels ils ont écrit un livre.
Cette fois, ils ont voulu imaginer à quoi ressemblerait la capitale française si elle se retrouvait soudainement livrée à elle-même. Et pour donner vie à cette dystopie, ils ont décidé d’utiliser l’intelligence artificielle (IA). Un outil qui, depuis son développement à grande échelle en 2023, préfigure des changements radicaux pour le monde de la photographie professionnelle. « Nous sommes face à un changement de paradigme, un peu à la manière des peintres du XIXèmee face à l’apparition de la photographie, même si en réalité la comparaison semble bien faible par rapport à l’ampleur du phénomène »commentent les deux artistes.
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Pour ce projet, Yves Marchand et Romain Meffre ont utilisé une IA sophistiquée telle que Midjourney, couplée au logiciel de retouche Photoshop. Même si la majeure partie du travail est effectuée par ordinateur, générer les images n’a pas été une tâche facile. Les deux artistes ont dû « prompter » – c’est-à-dire donner des instructions textuelles précises au logiciel – avec soin pour obtenir les images attendues. « Les IA, par exemple, ont tendance à mettre l’accent sur ce qui doit être tempéré.ils continuent. Parfois, les architectures générées étaient spectaculaires, car baroques et grandiloquentes, mais il ne faut pas « tomber » dans cette exagération. Bref, la frontière entre ce qui nous paraissait acceptable et ce qui ne l’était pas était parfois subtile. »
Au total, les photographes ont travaillé sur plus de 52 000 images, ce qui a nécessité plus de 1 000 heures de travail. Ils en ont finalement sélectionné 80. Le résultat est d’autant plus glaçant qu’il est particulièrement réaliste, traduisant une vision post-apocalyptique très réaliste de la capitale, semblant tout droit sortie d’une série comme Les morts-vivants… moins les zombies. On découvre des lieux célèbres comme le Champ de Mars, le Moulin Rouge, la pyramide du Louvre ou l’hôtel de ville, dans un état de délabrement qui nous fait réfléchir sur le monde qui nous succédera, quand les humains auront disparu.
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Yves Marchand et Romain Meffre ont également travaillé sur des lieux fictifs, tout en restant fidèles à la réalité, comme cette place abandonnée, avec ses tables de bistrot et ses façades livrées à la végétation, ou ce café désert, comme si les clients avaient subitement abandonné le comptoir. Une vision à la fois poétique et saisissante de la « ville lumière » tombant dans l’obscurité. Ces images surprenantes ont alimenté un livre, Les ruines de Paris (co-signé avec l’écrivain Nathan Devers), ainsi qu’une exposition, visible à la galerie Polka (12 rue Saint-Gilles, à Paris) jusqu’au 18 janvier, après une visite au Grand Palais début novembre. L’édition du soir vous propose une sélection de ces images, commentées par leurs auteurs…
Terrasses abandonnées
« Pour générer les images de cafés abandonnés, nous avons mélangé des photos d’établissements actifs et divers lieux abandonnés que nous avions immortalisés. Nous avons ensuite donné des conseils textuels à l’intelligence artificielle. Midjourney nous a proposé à chaque fois quatre visuels différents. Petit à petit, grâce aux indications textuelles et aux suggestions de nouvelles images que nous avons référencées, nous avons pu affiner les résultats. »
La Tour Eiffel entre rouille et ruines
« Pour les monuments les plus emblématiques de Paris, Midjourney est suffisamment entraîné (le logiciel dispose déjà d’une base de données solide) et parvient donc à reproduire assez fidèlement des bâtiments comme la Tour Eiffel, l’Arc de Triomphe ou Notre Dame. -Dame. En revanche, si vous demandez une représentation du centre Pompidou ou de la tour Montparnasse, le résultat sera bien plus approximatif, et la tâche devient plus laborieuse. Il a fallu mélanger un certain nombre d’images de monuments réels et d’indications textuelles (les fameuses invites) pour se rapprocher progressivement d’un résultat plausible. […] Chaque image a nécessité une séquence d’étapes différentes et de nombreux allers-retours entre Midjourney, Photoshop et les outils d’extrapolation d’IA. »
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Le combat de la mairie contre le temps
« Pour certaines images, le point de départ était une référence historique. C’est le cas de l’hôtel de ville, qui fut l’une des ruines les plus emblématiques laissées suite aux combats de la Commune de 1871, avec sa façade monumentale et sa salle des fêtes incendiée. Il était donc important pour nous de faire une image du bâtiment. Pour ce faire, nous avons mélangé des photographies vintage que nous avons colorisées grâce à l’IA, puis retouchées, et les avons mélangées avec des images de l’état actuel. »
Les fantômes du Muséum d’Histoire Naturelle
« Nous avons également réimaginé des lieux qui avaient connu des périodes d’abandon dans les années 1970 et 1980, comme ce fut le cas de la Grande Galerie du Muséum d’Histoire Naturelle ou de la gare d’Orsay. »
Le Moulin Rouge entouré de verdure
« On a eu quelques problèmes avec cette image du Moulin Rouge. Il semblait impossible de générer un état d’abandon, un état de patine sur le bâtiment. Un soir, nous avons produit près d’une centaine de demandes, pendant plusieurs heures, insistant pour avoir « de la peinture écaillée », « pourrir les ailes ». Fatigués, nous avons décidé de reporter cela au lendemain. La nuit suivante, les ailes du moulin sont bel et bien tombées (dans la nuit du 24 au 25 avril 2023), sans raison apparente… Heureusement, l’état des autres monuments que nous avons générés tend à prouver qu’il ne s’agissait que de cela. une bien étrange coïncidence ! »