« Man Ray. Libérer la photographie » – .

« Man Ray. Libérer la photographie » – .
« Man Ray. Libérer la photographie » – .

Man Ray (1890-1976) est une figure incontournable du XXee siècle, indissociable de l’histoire de la photographie, surtout en cette année 2024 où le mouvement surréaliste fête son centenaire.

C’est dans ce contexte que Photo Elysée ouvre ses portes avec une exposition présentant une sélection d’œuvres issues de l’une des plus grandes collections privées, jamais dévoilées en Europe. Menée par Nathalie Herschdorfer, directrice du musée et commissaire de l’exposition, la perspective curatoriale se concentre sur les années vingt et trente, période charnière où la photographie s’est imposée comme un médium artistique à part entière. L’exposition « Man Ray. Liberating Photography » offre donc l’occasion de découvrir ou redécouvrir l’œuvre foisonnante, visionnaire et inaltérable d’un artiste qui se définissait comme un « fautographe ».

La scénographie, conçue par le designer suisse Adrien Rovero et la graphiste Camille Sauthier, plonge les visiteurs dans une atmosphère rubescente, avant de les inviter à explorer un espace ouvert, leur permettant de déambuler librement dans la profusion artistique de Man Ray. Cette liberté peut cependant prêter à une certaine confusion, les étiquettes explicatives étant quelque peu dispersées dans l’exposition. Une visite guidée serait recommandée pour bien comprendre l’angle curatorial. Le sol, habillé d’un damier, rappelle indéniablement le jeu d’échecs, l’un des Violons Ingres de l’artiste et de son acolyte, Marcel Duchamp.

Ainsi, l’exposition commence par souligner le rôle prépondérant de Duchamp et du dadaïsme dans l’éveil du surréalisme chez Man Ray. La complicité entre ces deux artistes, pionniers de l’art conceptuel, se révèle à travers une œuvre emblématique : Flacon Belle Haleine : Eau de Voilette de Marcel Duchamp (1921). Marcel Duchamp a créé un ready-made en intégrant l’un des premiers portraits de Rrose Sélavy, son alter ego, sur un flacon de parfum. Man Ray photographie ensuite cet objet, scellant leur collaboration. Par cet acte subversif, Man Ray se réapproprie la photographie comme forme d’art indépendante.

Quittant New York pour Paris, il s’impose rapidement comme le photographe de l’élite intellectuelle et artistique parisienne. L’exposition présente une multitude de portraits dont des figures majeures du mouvement surréaliste, comme Louis Aragon, André Breton, Antonin Artaud, Tristan Tzara, Salvador Dalí, Max Ernst, Dora Maar et bien d’autres. Certains tirages illustrent également ses collaborations pionnières avec de prestigieux magazines de mode, notamment Vogue, où Man Ray fut parmi les premiers photographes embauchés à une époque où ces publications passaient du dessin à la photographie pour présenter des collections de mode. Toutes ces commandes constituaient son principal moyen de subsistance.

La visite se poursuit en dévoilant une dimension plus personnelle, révélant les contours surréalistes de l’œuvre de Man Ray. Parallèlement à ses commandes, il était fasciné par les accidents photographiques et aimait se définir ironiquement comme un « fautographe ».[1]; ” […]quand j’étais dans la chambre noire, j’évitais volontairement toutes les règles, je mélangeais les produits les plus fous, j’utilisais des pellicules périmées, j’ai fait les pires choses contre la chimie et la photographie […] . »[2] Il excellait à renverser les conventions de la photographie en explorant librement le médium, ce qui a conduit à la découverte de la solarisation (anciennement appelée Effet Sabatier) et le photogramme qu’il rebaptisa « rayograph ». Ces procédés photographiques reconsidérés ont grandement contribué à sa notoriété, qui perdure encore aujourd’hui. Le corps féminin fut la première Source d’inspiration de Man Ray, qu’il mit au service d’une esthétique surréaliste. Cette exposition révèle les grandes muses de l’artiste telles que Kiki de Montparnasse, Meret Oppenheim, Adrienne Fidelin. Lee Miller, photographe à la fois amoureux et collaborateur de Man Ray, est évidemment présent, notamment à travers l’un de ses portraits « solarisés ». Il est crucial de souligner son rôle dans la (re)découverte de la solarisation ; un accident qu’elle a provoqué en laboratoire a d’abord mis au jour cette technique, qui a ensuite été perfectionnée par Man Ray. Dans une lettre à son frère, elle raconte : « Quelque chose m’a effleuré la jambe […]J’ai crié et j’ai soudainement rallumé la lumière. Je n’ai pas découvert ce que c’était, une souris peut-être. Mais j’ai réalisé que le film avait été exposé. Dans le bac de développement, il y avait une douzaine de négatifs développés représentant un nu sur fond noir. Man Ray les a attrapés, les a plongés dans le réservoir d’hyposulfite et a observé. La partie non exposée du négatif — le fond noir — avait, sous l’effet de la lumière de la lampe, été modifiée jusqu’au bord du corps nu et blanc.[…]. »[3]

Après la guerre, Man Ray continue de retravailler ses photographies des années vingt et trente. A partir de ses anciens négatifs, il développe de nouveaux tirages en ajustant le cadrage pour se concentrer sur un détail, comme l’œil aux larmes de verre dans sa célèbre œuvre, Les larmes (1932). Ces dernières expérimentations donnent lieu à des tirages « tardifs », une spécificité de Man Ray, que Nathalie Herschdorfer a souhaité mettre en avant.

De plus, les visiteurs pourront découvrir tous les films de Man Ray, dont EMAK BAKIA (1926). Ce film improvisé est décrit comme un « cinépoème », une constellation d’expérimentations techniques et iconographiques, témoignant du génie polymorphe de l’artiste.

Maeva Dubrez
Genève, mai 2024

Man Ray. Libérer la photographie
Photo Elysée – Musée cantonal de la photographie
Du 29 mars au 4 avril 2024
Place de la Gare 17
CH–1003Lausanne
www.elysee.ch
T +41 21 318 44 00

Remarques

[1] Chéroux, Clément, Fautographie : une brève histoire de l’erreur photographique, Crisnée : Éditions Yellow Now, 2003, p.113

[2] Man Ray, « Man Ray tout seul » (entretien inédit avec F.-Christian Toussaint), cité par Emmanuelle Rouxeau de l’Écorais, op. cit., p. 472

[3] Lee Miller, dans une lettre à son frère datant probablement de 1929, citée par Alain Sayag, « Abstractions and Photography », Vive la modernité ! (catalogue de 30sont Rencontres Internationales de la Photographie) Arles, Actes Sud, 1999, p. 56.

 
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