« Le Chemin de fer » de Manet, la modernité à vitesse vertigineuse ! – .

Comme un long silence, au bord des voies. En voici deux crinolines complémentaire qui pose dehors. L’un est plus âgé, bleu foncé, parfaitement indifférent au spectacle de la locomotive. Assise à gauche du cadre, elle nous fait face, coiffée d’un chapeau noir et de fleurs. Ses cheveux roux sont détachés. Sur ses cuisses : un chiot endormi, un fan, un livre. De Zola ? La bête humaine ?

Vapeur qui traverse la table indique le sens de lecture. Les pages sont épaisses, s’ouvrant comme la dentelle des manches de la robe. Elle arrête de lire en ce moment. Nous ne sommes pas sûrs une liseuse fantomatique de Camille Corot [voir plus bas], celui-ci nous regarde avec une ferme assurance et les joues rougies. Qui est-elle ? La mère, la grande sœur, la cousine, la plus jeune fille au pair ?

Un air de Degas

Son petit voisin est accroché aux portes, comme au cirque Fernando. Les bras en l’air, elle rêve, absorbée par les vapeurs d’un train. LE ccho-choo manège et tourbillons de fumée fascinent autant que les acrobaties à cheval de Miss Lala. Le spectateur doit disposer entre cinq et dix bougies. Pour sa promenade de l’après-midi, elle portait une robe en taffetas de soie. Elle se tient de dos, debout, élégamment vêtue. On pense aux filles du clan Bellelli peintes par Edgar Degas. Ses cheveux sont attachés par un bandeau, sa nuque est claire, claire comme un bonbon. Un petit innocent, derrière les barreaux. Évasion en cours. Pas besoin d’ailes pour voler comme un ange, boucles d’un ruban bleu ciel suffisent à le faire flotter au-dessus des nuages.

Le train est déjà passé, seuls ses paquebots sont à la traîne. Le sifflement des machines doit également se dissiper. Il n’aura pas réveillé le petit chien. Où sont-ils exactement ? Dans la rue, dans un jardin ? Le portail en fer n’est pas si clair. Une grappe de raisin est posée sur le parapet frontalier. A droite, un balcon prolonge son garde-corps avec des traverses en fer. Le feuillage recouvre cette partie du tableau. Une boîte de signalisation crie en bas, la gare ne doit pas être très loin. A gauche ou à droite ? A l’arrivée ou au départ ? Qui sait. De l’autre côté de la piste et des fumerolles, au dos du tableau, on aperçoit éléments du centre ville : linteaux massifs, frontons sculptés, balustres aux fenêtres. La décoration est confortable, certains citadins reconnaîtront aujourd’hui leur immeuble. Mais que liront-ils dans le regard de cette dame qui nous regarde ?

« Une tâche assez singulière »

Édouard Manet peint Le chemin de fer en 1873, en partie dans le jardin de son ami Alphonse Hirsch qui se trouve à l’intersection des rues de Rome et de Constantinople, face aux quais. Il peaufine la toile dans son atelier, situé au 4 rue de Saint-Pétersbourg, à deux pas de Saint-Lazare. La gare est un « temple du progrès », selon Théophile Gautier, et un sujet de la peinture moderne.

En trois ans, Claude Monet peindra douze fois Saint-Lazare. Les locomotives à vapeur ressemblent à des vergers fleuris, avec des jeux de lumière d’heure en heure. En attendant, c’est Manet qui s’y tient et présente son tableau au Salon de 1874. Cette année-là, les pas encore impressionnistes contestation chez Nadar. Manet ne veut pas être associé aux refusés. Celui qui valorise la reconnaissance officielle ne sera pas déçu.

« Manet accomplit une tâche assez singulière pour que des yeux ignorants, gâtés par toutes les bontés de notre art, n’y voient que du comique. Si on accrochait un Goya au Salon, on se tordrait. »

Émile Zola

Son train sera sifflé, plutôt deux fois qu’une. LE Tintamare du 10 mai 1874 renomme la toile en Chemin de fer jusqu’à Charenton. Une extension moqueuse qui mentionne la ville hébergeuse un asile de fous. Le tableau est critiqué pour ses plans compressés, sa composition incohérente, son exécution sommaire. Déjà, en 1863, Le Déjeuner sur l’herbe Et L’Olympia a secoué les foules. Manet a quand même rejoué les icônes du grand maître Titien : LE Concert country (1500-1525) et le Vénus d’Urbino (1538). Il s’étonne de voir les républicains bourgeois de sa classe si conservateurs. Dans le 19ème sièclee siècle, la seule nudité autorisée doit citer la mythologie. Les hauts-de-forme un peu faux sont choqués par Victorine Meurentce modèle-véhicule qui avance, insolent, indifférent. Le chemin de fer sera d’ailleurs sa dernière apparition, pour un dernier cri. Même habillé.

Claude Monet, Gare Saint-Lazare1877

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Huile sur toile • 75 × 105 cm • Coll. Musée d’Orsay, Paris

Après sa visite au Salon de 1874, Émile Zola réagit aux critiques faites à l’égard du tableau : « Manet accomplit une tâche assez singulière pour yeux ignorants, gâtés par toutes les bontés de notre art, voient la chose comme une pure comédie. Si on accrochait un Goya au Salon, on se tordrait. » Goya, cette autre Source d’inspiration pour Manet. L’exécution de Maximilien (1868) répond notamment au célèbre Beaucoup de mayonnaise (1814). UN interprétation silencieuse ce qui n’est plus franchement dans le signifiant. « Manet tord le cou à l’éloquence », disait André Malraux. “Cette peinture rappelle l’engourdissement d’une dent anesthésiée.” À quoi penser Chemin de fer ? Qu’ont-ils à nous dire les voies silencieuses par Manet ? Sont-ils si impénétrables ?

Le charme discret du 19ème sièclee siècle

Au bord de Chemin de fer, on est à Saint-Lazare, vraiment ? Il pourrait être n’importe où, chaque fois que. A Waterlitz ou Austerloo. Pourquoi ce raisin, posé là à droite sur le muret, sans raison ? Le couronnement Cela ne s’explique pas, cela se ressent. On peut aussi le deviner, à travers quelques inspirations divines. Le chien endormi pourrait bien faire un clin d’œil au Vénus d’Urbino par TitienEncore.

A gauche, détail de « l'Olympia » d'Édouard Manet, 1863. À droite, la « Vénus d'Urbino » de Titien, 1538A gauche, détail de « l'Olympia » d'Édouard Manet, 1863. À droite, la « Vénus d'Urbino » de Titien, 1538

A gauche, détail de « l’Olympia » d’Édouard Manet, 1863. À droite, la « Vénus d’Urbino » de Titien, 1538

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Huiles sur toile • Coll. Musée d’Orsay, Paris. © Galerie des Offices, Florence / Bridgeman Images

Les deux crinolines sans gentillesse pourraient évoquer d’autres grands classiques. LE Portrait d’une dame de qualité et de sa fille (1628) de Van Dyck Par exemple ? Pourquoi pas ? Une dame est fièrement assise, détachée en satin noir à côté de son petit. Au bord de la voie ferrée, le silence est encore plus froid. La petite fille se détourna, sous hypnose, perdue dans un conte à rebours. D’autre part, Victorine nous regarde. Indifférent au manège industriel, elle nous appelle, nous regarde : « Comment puis-je vous aider ? »

“Un train peut en cacher un autre”, nous dit le panneau, Le chemin de fer nous le répète. Dans ce plan, l’évasion est grillée, la perspective partie en fumée.

Pas vraiment invité, a l’air de se manifester malgré tout. Si le garde-corps de Balcon (1868) [ill. ci-dessous] nous laisse hors du cadre – à la fois spectateur et spectacle –, barres de Chemin de fer encouragez-nous à rejoindre la petite toupie. Comme elle, nous parcourons les détails au bord de la piste, avant de remonter de l’autre côté. Là-bas se trouve la porte de L’atelier de Manet.

Cette anecdote (documentée) permet d’imaginer l’artiste se cachant derrière les volutes comme Velázquez scrutant sa Menina bleu ciel. Et nous qui sommes à ses côtés, nous sommes surprispendant que les spectateurs regardaient… Dans Le charme discret de la bourgeoisie (1972), Luis Buñuel va aussi piéger le sien, dans un autre style. En déplaçant sa caméra lors d’un des nombreux dîners d’une troupe excentrique, il fait faire apparaître ses acteurs sur une scène de théâtre. Le spectateur du film est dupliqué, dédoublé. Il se voit, et s’étonne, parmi les rangs des voyeuristes.

“Un train peut en cacher un autre”, nous dit le panneau, Le chemin de fer nous le répète. Dans ce plan, l’évasion est grillée, le perspective partie en fumée. La gare – ce temple du progrès – est hors cadre. Chez Manet, les fumées de Saint-Lazare ne sont pas un prétexte pour capter des impressions lumineuses, il s’agirait plutôt de Sonder nos illusions intérieures.

A gauche, « Le Balcon » d'Édouard Manet, entre 1868-1869. A droite, détail du « Chemin de Fer » d'Édouard Manet, 1873A gauche, « Le Balcon » d'Édouard Manet, entre 1868-1869. A droite, détail du « Chemin de Fer » d'Édouard Manet, 1873

A gauche, « Le Balcon » d’Édouard Manet, entre 1868-1869. A droite, détail du « Chemin de Fer » d’Édouard Manet, 1873

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Huiles sur toile • Coll. Musée d’Orsay, Paris / Coll. Galerie nationale des arts, Washington

Relisons Zola : « Si nous accrochions un Goya au Salon, on se tordait. » Le peintre espagnol rejetait, complètement dégoûté, les Lumières de son temps, ce mouvement rationaliste et empiriste qui n’empêchait pas l’homme civilisé de commettre les pires massacres. Dans son silence, Manet pourrait bien dépeindre un impasse équivalenteavec le visions anesthésiées de sa classe bourgeoise tordu par un rire embarrassé. 2024-1874 ; 150 ans d’un voyage intérieur, avec un parfum de terminus persistant, comme une note de fond pour mieux interroger notre époque. Après Manet, qui pour signaler un nouveau départ ?

 
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