Rodin – Berlinde De Bruyckere, toute l’émotion du corps

Rodin – Berlinde De Bruyckere, toute l’émotion du corps
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Le Musée des Beaux-Arts de Mons (BAM) rouvre après travaux de rénovation, avec une très riche exposition de 200 sculptures et dessins, consacrée à toute l’œuvre d’Auguste Rodin (1840-1917). Mais il faudrait plutôt parler d’une exposition Rodin-Berlinde De Bruyckere. Invitée à dialoguer avec Rodin qu’elle admire, elle montre un grand nombre de ses sculptures et dessins qui répondent avec pertinence à ceux de Rodin.

Rodin est décédé il y a 106 ans, le 17 novembre 1917 à Meudon où il résidait. Il avait 77 ans. Sa gloire était progressive. Il ne s’affirme qu’à 40 ans, faisant sensation vers 50 ans avec Les portes de l’enfer mais ne connut une véritable renommée mondiale qu’à l’âge de 60 ans avec son exposition au Pavillon de l’Alma, à l’Exposition universelle de Paris en 1900.

L’exposition à Paris pour le centenaire de la mort de Rodin

Cette exposition débute judicieusement par un rappel des années belges de Rodin, auxquelles il n’a jamais renoncé, répétant en 1906 : « La Belgique, un pays que j’aime comme mon atelier à ciel ouvert. »

Rodin : L’âge d’airain ©Photo : Be Culture

En 1871, Rodin a 31 ans et peine à vivre dans une France sortant d’une guerre franco-allemande et d’une guerre civile. Il fut invité à travailler à Bruxelles par le sculpteur Albert-Ernest Carrier-Belleuse sur le décor de la Bourse de Commerce et montra sa virtuosité notamment dans le motif de la mettrele chérubin.

L’ère du laiton

Il resta en Belgique jusqu’en 1878, aimant, dit-on, se promener dans la forêt de Soignes. C’est en Belgique qu’il réalise sa première sculpture importante et célèbre : laL’âge du laiton qui est l’affiche de cette exposition. Il l’a sculpté à partir du corps d’Auguste Neyt, un jeune soldat gantois de 22 ans, et l’a si bien fait qu’il a été accusé à tort d’avoir coulé la sculpture sur le corps du modèle. Mais ce faux « scandale » assura sa renommée. Le souhait de Rodin avait été de représenter “la vérité”. Meurtri par la polémique, Rodin décide de ne plus sculpter grandeur nature, préférant agrandir ou réduire ses figures.

Il revient à Paris en 1877 et présente son Saint-Jean Baptiste, un autre de ses chefs-d’œuvre exposé à Mons, une sculpture plus vraie que nature pour démontrer que les accusations de moulage sur le corps des modèles étaient farfelues.

Rodin : Les Bourgeois de Calais dans le jardin Mayeur à Mons ©Photo : DR

Ses liens avec la Belgique perdurent cependant. Il était membre à part entière du Groupe des XX à Bruxelles tandis que Monet, comme Seurat, Pissarro et Gauguin n’étaient présents qu’en tant qu’invités. L’État belge achetait ses sculptures comme les grands collectionneurs. Au cimetière de Laeken, on découvre une version du Penseur de Rodin acheté par le collectionneur Joseph Dillen pour être exposé sur sa tombe.

Les Bourgeois de Calais

En 1905, Raoul Waroqué acquiert une version du Bourgeois de Calais, œuvre de 1895, qui sera exposée dans son domaine de Mariemont. Il décide de placer le groupe sur un socle haut pour faire pendant à une œuvre du sculpteur belge Victor Rousseau. Tandis que Rodin était opposé à l’existence d’une base. Il souhaitait que la sculpture soit posée au sol pour renforcer le dialogue avec le spectateur. Rodin disait de ces Bourgeois : « Chacun d’eux est comme isolé face à sa conscience. Ils se demandent encore s’ils auront la force d’accomplir le sacrifice suprême. Leur âme les pousse en avant et leurs pieds refusent de marcher. »

Ces Bourgeois de Calais prêtés par Mariemont pour l’exposition ont été placés cette fois sans socle, à hauteur des yeux, dans le Jardin du Mayeur.

Rodin : tête de Camille Claudel ©Photo : DR

L’exposition n’aborde pas la passion de Rodin pour Camille Claudel mais on peut admirer un magnifique moulage en plâtre avec la tête très émouvante de son amant.

Tout au long de l’exposition, des gravures ou des dessins anciens ou modernes (jusqu’à Rops) sont présentés pour témoigner de la passion de Rodin pour l’art de la Renaissance et pour l’Antiquité qu’il voulait échapper à sa situation qu’il appelait “farci”.

Rodin se montre alors résolument moderne, abandonnant toute idée de «représentation équitable» pour évoluer vers une forme d’expressionnisme, qui parvient à exprimer les passions humaines, la sensualité et le drame dans le corps. Il a dit : « Le corps est un moulage où s’impriment les passions. » Et Rodin était un grand passionné, tant pour l’art que pour les femmes. Ce qui lui tenait à cœur, c’était de travailler la matière, de faire ressortir la force des émotions. C’est dans son projet pour les Portes de l’Enfer qu’il le montre le mieux.

Rodin, dessinateur

Le deuxième moment clé de la modernité de Rodin est celui du sculpteur inlassablement expérimental présenté dans l’exposition du deuxième étage du BAM. C’est alors qu’il brise tous les codes de la sculpture classique et la réinvente : le corps fragmenté par exemple lorsqu’il déclare des figures « complètes » auxquelles manquent pourtant des têtes ou des bras comme Iris ou la Méditation. Il isole volontairement des parties du corps qu’il prend comme sculptures : un pied, un torse, un bras, ou il les agrandit ou mélange les écailles. Il réassemble souvent des parties de sculptures anciennes, crée des « séries », mélange des figures tirées des Portes de l’Enfer avec des vases antiques, créant des « collages » à la manière de Picasso.

Dans la seconde partie de sa vie, à partir de 1900, il se revendique autant designer que sculpteur. Il en a gagné 9 000. L’une des plus belles salles de l’exposition expose ses dessins mêlés à ceux de Berlinde De Bruyckere. Auparavant, nous montrons notre «dessins noirs » rarement exposé.

Le pouvoir des dessins

Rodin, dessin (vers 1910) ©Photo : DR

On ne se lasse pas de voir ces merveilleux dessins que Rodin réalisait chaque jour, de manière compulsive, croquant les attitudes des femmes, souvent nues, qui vivaient et posaient dans son atelier, loin des poses académiques. Il a essayé de capturer d’un geste rapide, sans même regarder son papier, l’attitude spontanée, tantôt acrobatique, tantôt érotique qu’il observait. Comme si un nerf reliait directement ses yeux à sa main, sans passer par le cerveau. En quelques coups, tout était là. Il dessine presque uniquement des femmes, au point que les critiques de l’époque le décrivent parfois comme «faune en rut ». Mais il recherchait aussi dans ces corps l’énergie génératrice de création et de transformations de la matière. “Le corps, il a dit, exprime toujours l’esprit dont il est l’enveloppe. » «Mes dessins sont la clé de mon travail. Ma sculpture est juste un dessin dans toutes les dimensions. J’ai dessiné toute ma vie. J’ai commencé ma vie en dessinant. »

La magnifique exposition de Berlinde De Bruyckere à Maastricht en 2021

Berlinde De Bruyckere

Invitée à dialoguer avec Rodin qu’elle admire, elle se situe comme lui dans une lignée inscrite dans la Renaissance (en 2011, Berlinde De Bruyckere dialoguait déjà dans une exposition à Bozar avec Bellini et Titien). Elle expose une dizaine de ses superbes sculptures et dessins anciens à Mons. Placés à côté de ceux de Rodin, on hésite à savoir si le dessin est de Rodin ou de Berlinde !

Berlinde De Bruyckere : Arcangelo, dans l’exposition Rodin ©Photo : DR

Berlinde De Bruyckere exprime à sa manière, comme Rodin, Eros et Thanatos, le désir et la mort, la vulnérabilité, la fragilité, le corps fragmenté. Un simple bras en cire peint ou un dossier sont posés sur des coussins à proximité des Rodin. Les corps de Berlinde n’ont jamais de tête de la même manière que Rodin n’en a pas mis. Iris ou à son formidable homme qui marche.

Rodin et Berlinde aimaient également Rilke et Baudelaire qui écrivirent dans Les fleurs maléfiques, comme pour l’artiste gantois : « Sur le lit, la malle nue déploie sans scrupule dans l’abandon le plus complet une splendeur secrète et la beauté fatale que la nature lui a donnée. »

Ne manquez pas les trois archanges (Arcangelo) qu’elle a également placés dans la collégiale Sainte Waudru. Fabriqués en bronze et en plomb, ils se dressent sur la plante des pieds, la tête et le haut du corps recouverts de couvertures grises imitant des peaux. Ils semblent décoller ou atterrir.

Un autre de ses archanges, cette fois-ci en cire et poils d’animaux, est magnifiquement présenté dans l’exposition au BAM.

Berlinde De Bruyckere a repris l’idée de ses premières œuvres des années 1990 – des femmes sous des couvertures – mais qui, ici, prennent un nouveau sens, devenant de très grands archanges (2,2 m), perchés sur des socles, recouverts de gris et de noir. peau, les pieds à peine plantés. Ils s’intègrent à merveille dans l’église.

Chez Rodin comme chez Berlinde, la sculpture semble animée par sa propre énergie vitale : l’épiderme est le lieu où surgit avec plus ou moins d’impétuosité l’effervescence intérieure. Les émotions cherchent à s’exprimer et leur houle vient mourir à la surface des œuvres.

Rodin a dit : “Dans l’art, seul ce qui a du caractère est beau, et ce qui a du caractère est l’intense vérité de tout spectacle naturel, beau ou laid.”

Berlinde De Bruyckere ouvrira la semaine prochaine une grande exposition en parallèle de la Biennale de Venise auAbbaye de San Giorgio Maggiore.

Cette exposition majeure de Rodin a été organisée par deux spécialistes de son œuvre sculptée et dessinée : Antoinette Le Normand-Romain et Christina Buley-Uribe.

Rodin, BAM, Mons, jusqu’au 18 août

 
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