Épisode 1/5 – Le 7 janvier 1993, les gendarmes découvrent les corps sans vie de Michèle Marinescu, 42 ans, et de sa fille Christine, 13 ans, dans leur maison de Sassenage (Isère). La scène de crime défie toute logique et marque le début d’une énigme qui rebondira trente ans plus tard.
C’est une impasse dans un petit quartier résidentiel, dominé par le massif du Vercors. A six kilomètres au nord-ouest de Grenoble, cette rangée de maisons mitoyennes, sans chic ni charme, ne donne guère de travail à la brigade de gendarmerie de Sassenage. A peine une dizaine de plaintes pour vols ont été déposées ces dernières années dans l’ensemble du quartier. Mais ce jeudi 7 janvier 1993, à 18h50, le hameau se révèle être le théâtre d’un double meurtre d’une sauvagerie incompréhensible.
Au 28, rue de la Cerisaie, les gendarmes découvrent le portail en bois grand ouvert. Ils longent la petite allée gravillonnée, bordée de haies, inspectent le garage dont la lumière reste allumée, puis poussent la porte d’entrée. Au sol, sur le carrelage, des gouttes de sang les incitent à appeler leurs collègues de l’équipe scientifique en renfort.
La scène de crime défie toute logique : tout au fond de la maison, dans une chambre, la mère, Michèle Marinescu, 42 ans, est allongée sur le dos, entre le lit et le placard. Une ficelle de chanvre entoure ses mains, ses pieds et son cou. Une liaison particulièrement sadique : un seul mouvement de sa part pourrait entraîner son étranglement. Ce n’est cependant pas la cause de sa mort : une blessure béante lui déforme le cou. Sa gorge était tranchée. Elle porte une jupe noire, une veste, un pull, des chaussures mais n’a ni collants ni culottes. Jambes écartées, « sexe offert »les enquêteurs le noteront.
Couteau sanglant, téléphone déconnecté
La ficelle qui le gêne a été déroulée jusqu’à la pièce voisine. Une boîte stéréo dissimule aux yeux des policiers la dépouille de la deuxième victime, face contre terre : Christine, 13 ans, la jeune fille. Cependant, elle n’y était pas attachée. Une seule blessure, au cou, a été mortelle. La braguette de son pantalon est ouverte mais sa culotte est toujours en place. L’arme du crime, un couteau de cuisine encore couvert de sang, était laissée juste à côté du corps. La chaîne stéréo contient encore un CD de Véronique Sanson et, sur le lit, le livret de paroles est ouvert sur la chanson « Louise » qui dit, en anglais : «J’avais un ami
Il avait un nom
Je l’ai revu hier soir
Il m’a regardé
Il se sentait coupable »
Le tueur a-t-il caché le corps de l’adolescent parce qu’il se sentait coupable ?
La fenêtre de la chambre de Christine est ouverte. Comme si l’agresseur s’était enfui par l’arrière du bâtiment. Aucune trace de passage n’est toutefois relevée dans le jardin.
Le mobile du crime ne semble pas crapuleux : rien n’a été volé, le sac à main de Michèle Marinescu est bien visible sur la table du salon. Il contient encore de l’argent, une carte de crédit et un chéquier.
L’agresseur a pris soin de débrancher le téléphone du salon. Un deuxième appareil dans la chambre principale est toujours branché sur la prise, comme s’il avait été oublié. Malgré la proximité des habitations immédiates, aucun voisin n’a rien entendu.
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Les riverains, interrogés le soir même, ont cependant permis d’estimer la date du drame. Mercredi matin, c’est-à-dire la veille, la voisine qui se lève habituellement en même - que Michèle Marinescu a vu la lumière s’allumer à la fenêtre de la cuisine. Mais pas le soir ni ce jeudi matin. Le crime a donc probablement été commis la veille. Un autre indice va dans ce sens : la police a retrouvé les vêtements encore trempés dans la machine à laver. C’est pourtant mercredi que l’hôtesse a fait sa lessive.
C’est son employeur qui a alerté les militaires, inquiet de ne pas la voir prendre son poste ce jeudi matin. Michèle Marinescu travaillait comme comptable dans la société informatique Digigram à Montbonnot, vingt kilomètres plus loin, qui emploie également son mari comme directeur technique. C’est donc le patron de l’entreprise qui prévient également le mari, Marian Marinescu, absent au moment du massacre : il a en effet quitté la France le 24 décembre pour passer les vacances de Noël en famille dans son pays natal, la Roumanie. Il a emmené son fils, 7 ans, laissant sa femme et sa fille en Isère qui ne voulaient pas rater la rentrée scolaire. Le père et le fils devaient rentrer en France le 11 janvier.
Vie décousue et lâcher prise
Les premiers témoignages recueillis par les gendarmes apportent néanmoins un autre éclairage sur cette scission au sein de la famille : depuis plusieurs années, les Marinescu vivaient dans des chambres séparées. Ils s’étaient rencontrés lors de leurs études à Grenoble – il avait réussi un concours pour échapper au régime de Ceaucescu – et ne s’étaient jamais quittés, apparemment, puisqu’ils étaient aussi collègues de travail. Cependant, en tant que directeur associé de l’entreprise, Marian avait des horaires irréguliers, rentrant rarement à la maison avant 22 heures, voire minuit lorsqu’il ne dormait pas sur le tapis de son bureau. Il pourrait même partir en voyage d’affaires sans en parler à sa femme. Une vie décousue la semaine, déséquilibrée le week-end, où elle s’occupe des tâches ménagères, le laissant gérer le ménage. A tel point qu’en découvrant la scène du crime, les soldats trouvèrent également une maison en désordre où régnait une atmosphère d’insouciance.
La crise conjugale était si grave que les habitants de l’impasse ont entendu à plusieurs reprises des cris et des insultes, “au moins une fois par semaine”indicates a resident of rue de la Cerisaie.
La sœur de Michèle assure également que Marian avait frappé sa femme : « deux ou trois ans » plus tôt. Cependant, elle “Je n’ai jamais eu l’idée de divorcer car elle pensait avant tout à ses enfants. Elle avait peur que son mari parte à l’étranger avec Christine et Julien ». S’il y avait un dernier signe de ce désamour, ce serait à chercher dans la banque : Michèle Marinescu avait préféré désigner sa sœur plutôt que son mari comme bénéficiaire de ses deux contrats d’assurance-vie.
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Un riverain a cependant confié aux gendarmes que ces disputes avaient tendance à s’espacer sur plusieurs semaines, la dernière datant du samedi 12 décembre. Depuis la Roumanie, Marian Marinescu s’entretenait au téléphone tous les deux jours avec sa femme et sa fille. Selon lui, leur dernier échange date du 6 janvier dans l’après-midi – ce qui a été confirmé par sa sœur et son beau-frère qui séjournaient avec lui à Buzău.
L’affaire a immédiatement fait la une de la presse régionale. Les enquêteurs tentent d’établir le profil du tueur. Un motif sexuel ? Possible : la jeune Christine avait un bleu au vagin. La théorie du viol n’est ni exclue ni réellement confirmée. Sa mère, en revanche, ne semble pas avoir subi d’abus sexuels.
Son attachement à une procédure aussi particulière en dit nécessairement long sur celui qui l’a réalisée. Il “ressemble aux techniques de commando mais présente de nombreux défauts”souligneront les enquêteurs. Un peu comme un ancien militaire qui « aurait pu recevoir une instruction ponctuelle mais aurait perdu la pratique »notent-ils. Pour réussir à attacher ainsi Michèle Marinescu, il fallait qu’il y ait deux assaillants. Ou la victime est assommée ou morte. Ce qui viendrait alors appuyer une autre thèse, renforcée par la position dégradante de son corps : celle d’une mise en scène. Avons-nous affaire à un pervers ? Ou à quelqu’un qui voulait se faire passer pour tel ?
Un témoin se présente
Le 9 février 1993, le procureur de la République de Grenoble ouvre une information judiciaire pour homicide volontaire. Interviewé, Marian Marinescu ne parvient pas à esquisser une hypothèse, assurant que la famille n’avait pas d’ennemi. Il fait simplement référence à un accrochage entre sa compagne et une de leurs femmes de ménage, Corinne, qui s’était plainte d’un salaire de 80 francs qui ne lui aurait jamais été versé.
Malgré les indices laissés par l’assassin, les enquêtes s’enlisent pendant plusieurs mois. Il a fallu attendre l’année suivante pour qu’un témoin se présente, un proche voisin. S’il a mis autant de - à parler, c’est parce que “l’ambiance générale autour de cette affaire”, note des enquêteurs : la sauvagerie des crimes et le profil de Marian Marinescu. Depuis son installation dans le quartier, il souffre des stéréotypes sur la Roumanie, qui associent les pays de l’Est au KGB, quatre ans seulement après la chute du mur de Berlin. Et puis, le couple recevait peu et échangeait peu avec les riverains, renforçant encore davantage les idées toutes faites.
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Après avoir tenté d’appeler anonymement la gendarmerie, ce voisin a fini par parler ouvertement. Et décrit ce qu’il pense avoir vu le mercredi 6 janvier 1993 : « Alors que la nuit tombait peut-être vers 17h-17h30, j’ai accompagné un ami jusqu’à son véhicule dans la rue. Alors que je rentrais à ma villa, j’ai vu deux individus sortir de la maison des Marinescu. L’un avait environ 30-40 ans, mesurait entre 1,70 m et 1,80 m, visage sec, peu aimable, mal rasé, cheveux bruns, mal coiffé. Il était vêtu d’une veste en cuir trois-quarts. Il passa devant mon portail et me dit bonsoir d’un ton sec. L’autre était plus petit, environ 1,60 m, de corpulence assez lourde, paraissant plus âgé que l’autre, 40-50 ans. Il avait une démarche lourde. Il portait une veste en peau de mouton canadienne.
Ce détail vestimentaire – la veste en peau de bête – occupera beaucoup les enquêteurs. Et bientôt les entraîner sur la trace de deux hommes, deux frères, aussi violents que dissimulateurs.
Épisode 2 à lire lundi 23 décembre sur Marianne.net