La responsabilité du fait des produits est une responsabilité automatique (art. 1245 et suivants Civ.). Dans un tel régime, fondé sur la causalité indépendamment de toute faute, la question des causes d’exonération est majeure, puisqu’elle est la seule manière d’échapper à l’automatisme de la responsabilité. Le « risque de développement » constitue la cause d’exonération la plus notable. L’article 1245-10, 4° du Code civil, reprenant les termes de la directive européenne de 1985, prévoit que le producteur dégagera sa responsabilité du fait des défauts de sécurité s’il prouve que «l’état des connaissances scientifiques et techniques, au moment de la mise en circulation du produit, ne permettait pas de détecter l’existence du défaut« . L’objectif affiché n’est pas de décourager l’innovation.
Une jurisprudence trop routinière ?
Dans un arrêt du 6 décembre 2023 (n° 22-23.383), qui constitue un nouvel épisode de l’affaire du médicament Médiator, la Cour de cassation a récemment précisé que la connaissance personnelle par le producteur du défaut de son produit exclut le bénéfice de l’exonération. pour le risque de développement. Le patient qui demandait réparation avait fait valoir que le retrait du marché par les autorités sanitaires de ce médicament en Suisse en 1998, puis en Espagne et en Italie en 2003, révélait que le producteur connaissait à l’époque l’existence du défaut de sécurité. où son produit avait été prescrit en France, entre 2006 et 2009. La décision de la Cour n’est pas une surprise, si l’on considère notamment son précédent de 2017 (n° 16-19.643) sur une question similaire concernant le même produit.
La nouvelle directive sur la responsabilité du fait des produits devrait être l’occasion de donner à cette cause d’exonération la considération qu’elle mérite
La solution semble logique, puisque la notion de risque de développement suppose une connaissance imparfaite des effets exacts qu’auront les caractéristiques du produit et ce n’est plus le cas lorsqu’on était déjà conscient des problèmes de sécurité. Par ailleurs, il faut considérer, comme l’a dit la Cour fédérale de justice allemande dans son arrêt de 1968 qui fut le premier à reconnaître les effets exonératoires du risque de développement, que le constructeur ne peut bénéficier de l’exonération que s’il respecte son obligation de surveillance. Au-delà de l’affaire, il convient de faire le point sur cette cause d’exonération qui, aussi digne d’intérêt soit-elle, n’a jamais eu le vent en poupe. Il n’est pratiquement jamais utilisé en France (une exception : Civ. 1re, 5 mai 2021 n° 19-25.102), et la Cour de Justice européenne a recommandé une conception assez restrictive en 1997 (n° C-300/95, § 29). ).
On ne trouve guère, dans la jurisprudence, l’appréciation in concreto qui devrait séparer les choses en intégrant pleinement, dans la recherche de responsabilité, la complexité des données correspondant à l’état actuel de la science et de ses applications. On retrouve un peu trop facilement la pente d’une protection systématique des victimes (malgré l’existence d’une protection sociale généralisée pour les atteintes à la personne), indépendamment des précautions qu’a pu prendre le promoteur d’un produit innovant.
L’opportunité créée par la nouvelle directive européenne
Une nouvelle directive européenne sur la responsabilité du fait des produits sera adoptée, le Parlement ayant approuvé le 12 mars la dernière version du texte. Les États membres auront 24 mois pour le transposer. L’objectif principal était de comprendre, parmi les produits concernés, les logiciels et leurs mises à jour, ainsi que les services numériques issus de l’intelligence artificielle. Il suffit d’imaginer comment les applications de l’IA dans le domaine de la santé ou des systèmes de maison intelligente vont se généraliser pour comprendre l’intérêt, pour les utilisateurs finaux, de voir les règles de responsabilité de plein droit étendues à ces applications innovantes. Avec une telle expansion, il ne fait aucun doute que le sujet du risque de développement gagnera en importance.
Sa définition a été révisée, et l’article 11, 1 (e) précise que le fabricant ne sera pas responsable des dommages causés par un produit défectueux s’il prouve «comme état objectif des connaissances scientifiques et techniques au moment de la mise sur le marché ou de la mise en service du produit ou pendant la période pendant laquelle le produit était sous le contrôle du fabricant [cf. art. 4, 5, a] n’a pas détecté le défaut« . Ce texte plus détaillé, mais aussi la nature des nouveaux produits issus des technologies de l’information, soulèveront davantage de questions d’interprétation. Espérons que cela favorisera le développement d’une casuistique capable d’arbitrer entre la protection raisonnable des victimes et la préservation de l’innovation en Europe, alors qu’elle prend de plus en plus de retard sur les États-Unis et la Chine. L’effet pratique plus ou moins favorable à l’innovation dépendra aussi de la manière dont elle sera mise en œuvre. appliqué la présomption de l’article 10, destiné à faciliter la tâche des victimes lorsqu’elles sont confrontées à «à des difficultés excessives« prouver le défaut de sécurité ou le lien de causalité avec le dommage subi »,notamment en raison de la complexité technique ou scientifique« .
Rappelons enfin qu’en droit positif français, l’exonération pour risque de développement est exclue pour les produits pour le corps humain (Code civil, art. 1245-11). Cette solution illogique, adoptée pour réagir au scandale politique du sang contaminé, devrait être abandonnée (argu. art. 3 de la nouvelle directive). Ce n’était pas l’avis des autorités françaises, comme le montre le projet de la Chancellerie de 2017 sur la responsabilité civile (voir art. 1298-1 du projet), sans oublier une décision contestable du Conseil constitutionnel (n° 2023-1036 QPC). . On se débarrassera donc d’une solution irrationnelle et décourageante pour une partie désormais majeure de l’activité, puisque les concepteurs de médicaments biologiques (ceux issus des biotechnologies), devenus notamment les fers de lance de la lutte contre le cancer, ne bénéficient pas de l’exonération pour risque de développement, alors même que le sujet du sang contaminé n’a rien à voir avec de telles demandes. Au total, l’apparition des nouveaux textes pourrait être l’occasion de donner à l’exonération pour risque de développement la considération qu’elle mérite.
À PROPOS DE L’AUTEUR
François Xavier Testu, professeur agrégé de droit, est avocat associé à la Cour (cabinet STH2, Paris).