Ancienne aide-soignante dans les Deux-Sèvres, Cécile Constantin est biographe hospitalière. Son rôle est d’offrir à des personnes gravement malades et en fin de vie la possibilité de raconter leur histoire afin de laisser une trace.
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Être biographe hospitalier, c’est accompagner les personnes en fin de vie en les écoutant à leur chevet raconter une histoire, l’histoire de leur vie. Cécile Constantin en fait partie.
Écrire la biographie d’une personne souffrante qui sait que ses jours sont comptés n’est pas donné à tout le monde. “Les critères pour envoyer Cécile Constantin voir quelqu’un ne sont pas très définis. Il s’agit plutôt du sentiment que le patient pourrait en bénéficier. Nous menons des entretiens assez approfondis pour bien connaître le patient, pour lui apporter une prise en charge globale. Nous allons découvrir cette personne“, explains Corinne Bouchaud, palliative care doctor at Niort hospital.
Parler pour raconter sa vie est une approche qui permet aux patients d’oublier les soucis quotidiens. “Je parle toujours de la vie jusqu’à la fin et de la façon dont on peut vivre jusqu’à la mort : comment enrichir cette phase“, adds Corinne Bouchaud. “Souvent, lors des entretiens, les patients nous parlent des transmissions, des traces qu’ils vont laisser, pour qu’elles ne soient pas oubliées. Et c’est à ce moment-là qu’on pense à Cécile, qui recueille ses récits de vie et qui les transmet.»
Selon elle, le travail que fait Cécile Constantin est une démarche qui leur fait du bien. “Cette œuvre donne du sens au - qu’il reste à vivre. Habituellement, ils nous disent : « Je n’ai pas fini mon travail ». Cette transmission est essentielle, elle laisse une trace.»
Cécile Constantin intervient une fois par semaine. Durant cette journée, elle va commencer à construire une biographie, la lire et la relire. Elle va également rencontrer des patients pour les interviewer, les interroger, les faire parler. Cependant, écrire une biographie ne peut pas se faire en un mois. “Pour écrire un livre, il me faudra plusieurs mois, car j’ai plusieurs biographies en même -. Autant des biographies que je suis en train de collecter auprès des gens que des biographies que je suis en train de retranscrire et des biographies que je suis en train de les structurer, pour dérouler le fil conducteur de leur histoire..»
Il n’y a pas de routine : il n’y a que de la singularité dans ces histoires.
Cécile ConstantinBiographe de l’hôpital
Pour ce biographe hospitalier, le choix des mots, des expressions et de la ponctuation est primordial. “À l’écriture, la délicatesse est de mise. Il y a une sorte d’éthique dans l’écriture : l’idée n’est pas de trahir celui qui a parlé, mais de suivre ses traces et sa voix. Je n’écris pas avec un style littéraire, je n’écris pas avec ma voix, la seule chose que je vais faire c’est orchestrer les souvenirs. Il y a aussi les mots et la façon de parler. Je le traduirai par écrit afin qu’il soit lisible pour le lecteur..»
Chaque patient a sa propre histoire. “Tout le monde n’a pas la même histoire : je suis confronté à beaucoup de gens issus des zones rurales. Beaucoup de gens me parlent de cuisiner avec du porc, mais je n’en ai jamais mangé de pareil. Parce que cela a des significations différentes dans les familles, les mêmes choses ne se sont pas produites et pourtant ils ont tous tué le cochon de la même manière. Il n’y a pas de routine : il n’y a que de la singularité dans ces histoires.»
Cécile Constantin estime que son travail est complémentaire à tout ce que l’équipe fait autour de la personne rencontrée, qu’il s’agisse du médecin ou des soignants. “Nous avons tous notre rôle à jouer et nous soutenons cette personne du mieux que nous pouvons.elle croit. Je me sens utile. J’aide à la transmission aux proches : comme il ne sait plus écrire, fatigue et concentration confondues, tout devient trop difficile. Je vais faire le rôle qu’il ne peut plus faire, mais il est l’auteur de cette biographie.»
Chaque fois qu’une biographie est écrite, elle est envoyée à un destinataire. C’est le cas de KarineCuidet, qui en a reçu un de sa mère il y a quelques années. “Ma mère avait déjà commencé à écrire au tout début de sa maladie, où elle reprend des passages de son enfance, avec ses frères, ses parents, son mari et mon frère.», dit-elle.
Ce qui est intéressant dans ses écrits, c’est que lorsque je les relis, j’entends la voix de ma mère.
Karine CuidetDestinataire de la biographie de sa mère
Ce n’est qu’une fois arrivée aux soins palliatifs qu’elle a rencontré l’équipe médicale et Cécile Constantin. Après plusieurs entretiens et conversations, Cécile parvient à rédiger une biographie de sa mère dont Karine était très proche. “Cécile a eu la subtilité de combiner différents entretiens : on retrace toute sa vie, jusqu’à ses dernières semaines. Ce qui est intéressant dans ses écrits, c’est que lorsque je les relis, j’entends la voix de ma mère. Parce qu’il y a bien ses mots, ses expressions, et même dans la ponctuation.»
« Au tout début, c’était difficile de l’ouvrir et de le lire », reconnaît Karine. « J’étais content de le recevoir, mais il m’a fallu un mois pour le lire. Ensuite, je l’ai lu avec mon frère l’année dernière. Cette biographie, même si elle est conçue et écrite par une personne extérieure à la famille, reste très personnelle. “Le poids des mots est ce qui reste. Il y a cette proximité qui est toujours présente. Ce sont ses mots, son langage, ses expressions, on ressent de la joie, du regret : ce livre est une photographie d’une vie avec toutes ses nuances. C’est une très belle œuvre. Ma mère était enseignante et la question de la culture et de la transmission est très importante. Je crois au pouvoir des livres et du papier.»
Karine Cuidet envisage de faire la même chose lorsqu’elle sera plus grande. “Transmettre, écrire pour mes enfants, pour les générations futures, oui, je vais me mettre à écrire. Et je ferais la même chose si j’étais en soins palliatifs. Ce qui était important pour ma mère, c’est qu’il y ait d’autres personnes qui donnent vie à ces entretiens et qui permettent de raviver certains souvenirs. J’espère que ce type d’approche pourra continuer.»