Inflation tenace, prêts bancaires exorbitants, risques de faillites et perspectives moroses : les mauvaises nouvelles s’accumulent pour l’économie russe, sous l’effet de trois années de sanctions occidentales, au prix de l’invasion de l’Ukraine et malgré l’optimisme proclamé par Vladimir Poutine.
Dernier revers, la semaine dernière : l’inflation s’est accélérée à 8,9 % en novembre, restant sourde aux efforts de la Banque centrale de Russie (BCR) qui avait relevé son taux directeur à 21 % en octobre – du jamais vu depuis 2003 – pour tenter de l’influencer.
La presse russe, habituellement prompte, comme le Kremlin, à vanter la résilience de l’économie nationale, se fait désormais l’écho de problèmes croissants, illustrés par exemple par la hausse du prix du beurre (+34% depuis janvier).
Pour Anton Tabakh, économiste en chef de l’agence de notation russe Expert RA, la « vague inflationniste » observée est le symptôme de « la pénurie de main d’œuvre et des sanctions », deux problèmes directement liés à la guerre.
Le manque de main-d’œuvre dans le secteur privé, réalité depuis des années notamment en raison de la crise démographique, a été exacerbé par le départ de centaines de milliers d’hommes vers le front, la fuite à l’étranger de centaines de milliers d’autres et la concurrence de le complexe militaro-industriel qui a besoin de main d’œuvre pour augmenter le taux de production d’armes.
Cette réalité “ralentit la croissance”, estime à l’AFP Eugène Nadorchine, un économiste russe qui fut conseiller au ministère du Développement économique et selon qui il manque “environ un million d’employés” à la Russie.
“Folie”
L’inflation est favorisée par la politique budgétaire de l’Etat russe, qui dépense sans compter pour soutenir son effort de guerre (+ 67,5% budgétisés en 2025 par rapport à 2021).
La patronne de la BCR, Elvira Nabioullina, qui veut éviter que « la maladie » de l’inflation ne devienne « chronique », pourrait même décider vendredi d’une nouvelle hausse du taux directeur, même si cette éventualité a déjà suscité une levée des boucliers de les grands patrons.
Au plus haut depuis 20 ans, les taux d’intérêt des prêts à la consommation et aux entreprises se situent entre 25 et 30 %.
« L’économie ne peut pas survivre longtemps ainsi », a déclaré début décembre German Gref, PDG de la première banque russe, la SberBank, notant des « signes significatifs de ralentissement » de l’économie.
Même le patron du conglomérat militaro-industriel Rostec, Sergueï Tchemezov, proche de Vladimir Poutine, a qualifié le niveau des taux d’intérêt de « folie », alors que les Chemins de fer russes (RZD) vont réduire leurs taux d’intérêt d’environ 40 %. investissements en 2025 par rapport à l’année en cours.
“Le nombre de faillites est sur le point d’augmenter fortement, surtout dans les petites et moyennes entreprises, mais aussi dans les grandes”, prévient M. Nadorchine, prédisant que les entreprises ne pourront plus rembourser leurs emprunts.
Décélération en 2025
Face à ces vents contraires, la Banque centrale anticipe une décélération prononcée de la croissance du PIB en 2025, attendue entre 0,5 et 1,5%, contre plus de 3,5% prévu pour la fin de l’année.
Pour Evguéni Nadorchine, « l’indisponibilité du crédit va immédiatement limiter les possibilités de croissance ».
Au point de voir à terme émerger un cycle de stagflation (faible croissance et forte inflation) ? «Non», écarte le BCR.
Dans le même -, ces dernières semaines, la monnaie russe s’est affaiblie, conséquence des récentes sanctions américaines visant Gazprombank, qui gérait jusqu’à présent tous les paiements des clients étrangers achetant du gaz russe.
La monnaie russe est au plus bas face au dollar et à l’euro depuis mars 2022, le billet vert s’échangeant actuellement à plus de 100 roubles, menaçant ainsi encore davantage le pouvoir d’achat des Russes.
Il n’y a toutefois « aucune raison de paniquer », selon Vladimir Poutine.
Le président russe mise sur un déficit budgétaire fédéral très faible, une augmentation des revenus non pétroliers et gaziers et l’arrivée massive d’investisseurs chinois pour remplacer les investisseurs occidentaux.
Dans cette grisaille, une chose semble claire : l’avenir de l’économie russe dépendra largement de l’issue du conflit en Ukraine, sur fond de spéculations sur l’éventuel lancement d’un processus de paix avec Kiev.