Les inondations sont de plus en plus fréquentes et intenses : la France connaît régulièrement des épisodes de pluies torrentielles aux effets dévastateurs. Pour que les zones vulnérables se préparent davantage et réapprennent à vivre avec ce risque qui a toujours existé, s’intéresser aux expériences de nos voisins et à nos propres expériences du passé peut être d’une grande aide.
Ces derniers mois, plusieurs départements français ont été en proie à des inondations dévastatrices. L’occasion de revenir sur l’épisode de pluies intenses qui, à l’automne 2023, ont frappé les bas-reliefs du sud de l’Angleterre et du Haut-Boulonnais.
Les sols très secs généraient alors un ruissellement intense et dévastateur, provoquant des dégâts d’autant plus importants qu’au même moment les marées hautes empêchaient l’évacuation des eaux de ruissellement continentaux. Cette dernière est en effet compliquée par l’élévation observée du niveau de la mer.
Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut rappeler que la gestion de ce type d’événement repose sur un système de drainage des terres agricoles (wateringues), développé au XIe siècle.e siècle et régulièrement fonctionnel depuis le 17èmee siècle. Désormais utilisé comme réseau régional d’assainissement, raison pour laquelle il n’a pas été conçu à l’origine, il ne suffit plus aujourd’hui à répondre à la congestion de l’Aa, qui se répercute donc sur l’ensemble de la plaine maritime. Mais la situation est aussi dramatique à l’intérieur des terres : plaines de la Lys et de la Scarpe.
Les inondations sont également survenues quelques semaines après que de grandes entreprises, françaises et étrangères, ont commencé à s’implanter dans ces trois plaines. Des promesses d’aménagement très attendues qui ravissent les élus mais qui posent aussi question, au regard des enjeux climatiques : si les outils de production étaient calculés au-dessus du prix du foncier actuel, qu’en est-il de tous les aménagements qui en découlent (logements, équipements collectifs à redimensionner ou construit, etc.) ?
Pour répondre à cette question, deux pistes d’investigation sont possibles : regarder ce qui se fait ailleurs dans des conditions environnementales comparables, et interroger le passé pour savoir si, réellement, « il n’y a jamais eu autant d’inondations ».
S’inspirer d’exemples ailleurs
Ailleurs, dans ce cas, on pense immédiatement aux Pays-Bas, territoire très homogène dans sa composition et sa structure géologique, qui s’organise autour d’un delta complexe, commun au Rhin, à la Meuse et à l’Escaut. L’élévation du niveau de la mer consécutive à la disparition évanescente de la calotte scandinave il y a 20 000 ans se combine à celle liée à la fonte de la calotte groenlandaise et à l’expansion océanique, à laquelle s’ajoute un enfoncement de la croûte terrestre fossilisée par une sédimentation quasi continue depuis la fin de le Crétacé.
Là-bas, les habitants savent bien que le rehaussement permanent des digues n’est qu’un pis-aller, et diverses initiatives sont explorées : rouvrir les voies de circulation de l’eau qui étaient naturelles dans les villes pour réduire les effets d’obstacle à l’écoulement ; et surtout innover en matière de construction et d’habitat en milieu marin.
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Le nord de la France n’en est pas encore là, mais plusieurs missions d’élus ont eu lieu chez nos voisins et seront encore programmées pour évaluer des solutions. Cependant, la morphologie du paysage et la structure géologique sont trop différentes pour pouvoir y importer telle quelle une solution efficace. Mais il faut désormais réfléchir à la manière de faire face à une situation dans laquelle la présence d’eau risque d’être permanente.
Remettre en question le passé
La deuxième piste à explorer consiste à examiner le passé pour comprendre si toutes les situations d’inondations vécues ont les mêmes déterminants et sont bien documentées de manière comparable. Et, éventuellement, identifier des erreurs de planification, évidentes aujourd’hui avec le recul, qui n’étaient pas évidentes au moment de la construction, qui ont donc pu être copiées à divers endroits.
Le problème n’étant pas nouveau, plusieurs publications existent. L’un d’eux s’est révélé suffisamment pertinent pour que le Cemagref décide de rééditer, avec une préface de E. Le Roy-Ladurie (2000), les six volumes de L’histoire des inondations en France, dès le VIe siècle à nos joursque Maurice Champion publia entre 1858 et 1864.
Plus de 1.500 événements sont recensés sur l’ensemble des territoires français et belges. Plusieurs tableaux synoptiques complètent les récits, tous attestés par des témoignages originaux et archivés. Toutes ces lectures permettent de résumer les trois conditions nécessaires et suffisantes qui déterminent une situation d’inondation, indépendamment des conditions locales.
Pluie, brutale ou durable
Le premier est la modalité de l’événement météorologique : il peut être soudain ou durable. Un exemple d’événement brutal et violent est celui survenu à Courmelles (près de Soissons), en avril 2024.
Et on parlera de précipitations durables et intenses pour qualifier celles qui sont tombées pendant plusieurs heures sur la vallée d’Aspe en août (200 mm en 24 heures), ou sur l’arrière-pays niçois (370 mm entre 1est janvier et 6 mars 2024).
Dans le nord de la France, ce type de pluie peut perdurer plusieurs jours voire semaines, comme ce fut le cas dans le Haut Boulonnais en octobre et novembre 2023 (350 mm en deux semaines).
Lire la suite : Inondations dévastatrices en Isère : l’urgence de mieux s’adapter aux risques naturels
Le relief, pente forte ou douce
Deuxième condition, la présence de pente : elle permet à l’eau, si elle est abondante, d’atteindre une vitesse encore plus grande. L’altitude joue peu de rôle, mais la pente doit être marquée. Autour du Boulonnais il y a un an, la sécheresse des sols facilitait le ruissellement : il fallait attendre quelques heures avant que l’eau ne s’infiltre. En 2020, l’exemple de la vallée de la Roya conjuguait les fortes pentes et la violence de l’événement météorologique, tout comme le hameau de La Bérarde, rasé en juillet 2024.
De modestes pentes peuvent néanmoins avoir aussi un effet désastreux, comme l’illustre un événement survenu au sud d’Arras dans la nuit du 23 au 24 juin 1748. Dans cette zone située sous la ligne de partage des eaux entre les bassins de la Scarpe et de la Somme, la pente est très modeste : il descend environ 50 mètres en une vingtaine de kilomètres. Mais à cause de pluies très intenses durant quelques heures, deux petits ruisseaux (le Cojeul et le Crinchon), aujourd’hui complètement à sec, ont tout noyé jusqu’aux quartiers bas d’Arras.
L’état du sol
Cet exemple est intéressant car il montre déjà l’importance de l’impact anthropique : à environ 2 à 3 km en aval du bassin versant, un petit seigneur local trouvait l’idée d’un cours d’eau particulièrement bucolique. eau privatisée. Il avait ainsi entouré sa propriété d’un mur, juste percé pour laisser entrer et sortir le Cojeul.
L’écoulement du ruissellement fut si violent qu’il fragilisa et détruisit le mur d’entrée. Et lorsque le « bassin » involontaire s’est rempli, le mur de sortie a cédé. Une vague a ensuite balayé 24 maisons du village d’Ayette avant de dissiper ses violences quelques kilomètres plus loin : le monde ne le savait pas, faute de téléphone portable sur place ! Cet exemple illustre la troisième condition, l’état de surface du sol : tout obstacle ne fait qu’aggraver les dégâts en aval.
C’est tout l’enjeu des assainissements entrepris en divers endroits, notamment dans les enceintes scolaires. Les zones urbaines sont des sites très exposés aux inondations, compte tenu des surfaces artificialisées (routes, trottoirs, cours, parkings…). Cependant, la plupart des zones urbaines sont des pôles de communication historiques, situés aux confluents ou à proximité.
Vivre sous la menace des inondations
Les gens et les activités qui vivent de l’eau doivent se souvenir du paysan du Nil qui attendait patiemment la crue annuelle car elle ravivait les qualités agronomiques de son lopin de terre. Un territoire comme celui de la plaine du Lys, ou les vastes plaines alluviales de la Garonne en aval de Toulouse, la Loire (Anjou, Touraine), le Rhône (Avignon et aval), sont dans la même situation. Mais la culture du risque d’inondation naturelle n’est pas ancrée chez tout le monde.
Il est grand - de développer une éducation adaptée à ces enjeux pour que les populations des territoires exposés puissent comprendre l’enchaînement des phénomènes et adopter les solutions qui les préservent au mieux. L’acceptabilité ne peut pas être décrétée ; il est construit.
Depuis qu’on a défriché les plaines alluviales pour les cultiver, on a appris à corseter les cours d’eau pour contenir leurs débordements. Ce faisant, nous avons favorisé le transfert des sédiments transportés vers l’aval. Sans protection latérale, la crue aurait déposé une partie de sa charge, laissant les particules les plus fines (argiles et assimilées) poursuivre leur chemin vers l’exutoire. Les berges voient alors se développer des digues surbaissées qui s’étalent : les alluvions espérées (par le paysan de l’ancien Nil). Ce qui n’est pas possible en milieu urbain.
Ce processus explique pourquoi différents acteurs réclament le curage des cours d’eau : mais si ce dernier est nécessaire au bon fonctionnement des ouvrages artificiels tels que canaux et fossés, il n’est pas souhaitable dans le cours naturel des rivières : d’abord parce que le processus naturel La sédimentation fait évoluer le profil longitudinal vers un équilibre relatif, de sorte que le durcissement en aval provoque une sorte d’appel à une nouvelle érosion en amont. Ensuite parce que les minces vasières sont recherchées comme frayères par certaines espèces – tout nettoyage ne peut que perturber l’écosystème qui y est établi.
Une réflexion globale à l’échelle d’un bassin versant est donc de loin préférable à des initiatives locales non coordonnées.