« Quand j’ai dit à mes amis bordelais que je faisais mes valises en Normandie, ils ont éclaté de rire. « . Agronome et œnologue de formation, Marie-Luce Thiery Labiausse le sait. Depuis qu’il s’est installé dans le Calvados pour produire à la fois du cidre et du vin, le microcosme s’est agrandi. Peu importe. Elle préfère tailler son sillon, ses vergers de pommiers et ses 6 000 vignes fraîchement plantées.
Les premières bouteilles de son domaine La Fresnée n’arriveront à maturité que dans trois ou quatre ans. Mais cet ancien chef de cave qui a voyagé de l’Aquitaine au Champenois en est convaincu : les vignes normandes ont un avenir. ” Dans quelques années, nous aurons le climat des Pays de Loire et puis, nous avons de jolis coteaux ici ».
Retour vers le futur
L’agriculteur fait partie de la trentaine de vignerons, novices ou expérimentés, qui se sont enracinés dans le bocage depuis que le ministère de l’Agriculture a ouvert de nouveaux droits de plantation en 2016. Ou plutôt réenracinés car la vigne a longtemps été une fierté locale, comme aime à le rappeler Edouard Capron, président de la jeune association des Vignerons de Normandie et lui-même vigneron non loin de Rouen sous l’appellation Saint Expedit. ” La Normandie était l’une des grandes régions viticoles au XVIIIe siècle avant que le vignoble ne soit décimé par les maladies et la concurrence des vins du sud. ».
Trois siècles plus tard, une nouvelle génération reprend le flambeau, attirée par les promesses du changement climatique. De Giverny à Barneville-Carteret et du pays de Bray à la vallée d’Auge, des trentenaires intrépides et passionnés, dont plusieurs cidriculteurs en quête de diversification, créent leurs caves. Résultat, le vignoble, bien que minuscule par rapport à ceux du Sud, a tout de même quadruplé de superficie en deux ans, passant de 20 à 80 hectares. De quoi tabler sur au moins 100 000 bouteilles en 2026, blanches ou pétillantes dans la grande majorité des cas.
Le Domaine Saint Expedit à Freneuse (crédits DR)
« Une vocation de laboratoire »
Signe particulier, nombre de ces nouveaux producteurs ont opté pour des variétés hybrides (non OGM), réputées plus résistantes aux maladies et moins exigeantes en produits phytosanitaires. Cépages peu utilisés ailleurs en raison du carcan normatif des IGP et AOC. ” Cela confère à la Normandie le rôle d’un laboratoire à ciel ouvert qui attise la curiosité des autres régions. », note Maxime Gazeau, responsable du développement au sein du Syndicat des Vignerons.
Edouard Capron observe également des signes d’intérêt venant d’autres régions. ” La Plus Sûre (Entreprises d’aménagement du territoire et d’aménagement rural) rapporte avoir été contacté par des habitants de la Loire », dit-il. Reste que, pour l’instant, quasiment aucun vigneron normand ne vit de ses millésimes même si une poignée d’entre eux ont réussi à se faire une place sur les grandes tables, à l’image de Ludovic Messiers établi en bord de mer au-dessus du Havre. ” Nous avons tous une double ou triple activité. L’avantage c’est qu’on forme un collectif très soudé qui s’entraide car on a beaucoup à démontrer », constate Marie Luce Thiery Labiausse.
Quant à espérer voir émerger un grand cru du bocage, personne n’ose le prédire à ce stade. ” Ce que nous visons avant tout, c’est la très haute qualité. En tout cas, il est certain que le vin normand restera encore longtemps une niche. », théorise Maxime Gazeau. Gage de cette lucidité, le site Internet de l’association des vignerons s’ouvre sur cet adage désormais célèbre d’Edmond de Rotschild. ” La partie la plus difficile de la viticulture, ce sont les deux premiers siècles ».
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