Marisa Paredes, mort d’une diva engagée

Marisa Paredes, mort d’une diva engagée
Marisa Paredes, mort d’une diva engagée

D’aussi loin que nous nous souvenions, il y a eu le déclic de Talons aiguilles qui résonnent dans les rues désertes de Madrid au petit matin. Plus tard, le crépitement furieux de la machine à écrire la Fleur de mon secret (la Fleur de mon secret). Son visage baigné de larmes devant le miroir de sa loge à Tout sur ma mère.

Son regard inquiet et fébrile qu’elle pose sur son fils en la peau dans laquelle je vis (La peau que j’habite). Sa folie dans le rôle de Sœur Estiércol (Sœur Fumier) pour Dans l’obscurité, premier film qui marque sa rencontre avec Almodovar, et un tournant décisif dans sa carrière internationale.

Un sourire reconnaissable entre mille

Marisa Paredes est décédée à 78 ans. C’était une diva, une actrice au charisme fou, à l’allure aristocratique et d’une grande élégance. Sa voix, rauque, sensuelle, était hypnotique. Vocation impeccable, elle avait une manière particulière de souligner les mots – entre deux silences, entre deux regards enflammés – qui était parfois mélancolique et qui vous submergeait soudain.

Son sourire rouge carmin, séduisant et provocateur, reconnaissable entre mille, éclate à travers l’écran. Elle n’était pas seulement une « chica d’Almodovar », elle était bien plus encore. Une immense actrice incandescente, de la trempe de Gena Rowlands. Elle a joué dans plus de 70 films avec Arturo Ripstein, Manoel de Oliveira, Raul Ruiz, Amos Gitaï, Guillermo del Toro et bien sûr Pedro Almodovar.

Mais aussi d’autres, moins connus. Cela ne lui faisait pas peur. En 2021, elle prête sa voix et son visage à ces anonymes républicaines espagnoles dans le documentaire poignant d’Amparo Climent, Lettres perdues. À la télévision, elle était un visage populaire, jouant dans de nombreuses séries dramatiques appréciées des Espagnols.

Une enfance dans la pauvreté et le franquisme

Marisa Paredes est née en 1946, dans une famille pauvre, dans cette Espagne « d’après-guerre » dominée par la faim et la terreur franquiste. Sa mère est concierge dans un de ces grands immeubles bourgeois de la place Santa Ana, au cœur de Madrid, où se trouve le plus vieux théâtre de la capitale, le Teatro Español.

Marisa a connu des tickets de rationnement. A 11 ans, elle quitte l’école pour travailler dans un atelier de couture. Enfant, elle a demandé un jour à sa mère : « Pourquoi sommes-nous pauvres ? » « Être pauvre est hérité, ma fille. Tout comme la richesse s’hérite, la pauvreté l’est également. » Marisa Paredes n’a jamais oublié les paroles de sa mère : “Ils sont restés là, gravés dans ma tête”, a-t-elle récemment confié au magazine Icône.

Mais sur la place Santa Ana, elle observe, curieusement, le va-et-vient incessant des artistes devant le théâtre, attirés comme un aimant par cet univers dont elle ne connaît rien. A 16 ans, elle décide enfin d’ouvrir les portes. Dans un pays noir et blanc où tout est interdit, le théâtre met de la couleur dans sa vie et lui ouvre grandes les portes de la liberté.

« Comment peuvent-ils avoir autant peur de la liberté ? »

Femme libre, femme engagée, féministe des débuts, aux côtés d’une autre grande actrice récemment décédée, Pilar Bardem, la mère de Javier, elle ne se contente pas du tout d’être aux manifestations, elle y participe. têtes, chantant, dansant sur les slogans joyeux et irrévérencieux des féministes espagnoles.

Elle a mobilisé tous les artistes contre la guerre en Irak alors qu’elle était alors présidente de l’Académie espagnole du cinéma. À l’été 2023, elle a soutenu la liste Sumar et sa prise de parole pour dénoncer haut et fort la censure de la droite et de l’extrême droite reste dans toutes les mémoires : « Comment peuvent-ils craindre à ce point la liberté et la culture ? On ne peut pas permettre que la liberté soit bafouée et elle le sera si on laisse faire cette poignée de fous (…) En censurant les œuvres, ils sont les ennemis de la liberté ! »

Le 30 novembre, elle a de nouveau participé à un grand rassemblement à Madrid pour exiger un cessez-le-feu immédiat à Gaza et au Liban. Sa mort provoque, en Espagne, d’innombrables réactions de la part de nombreuses actrices pour lesquelles elle était une référence, un modèle, une icône ; des réalisateurs et des acteurs du Festival de Cannes, où elle a foulé à plusieurs reprises le tapis rouge. Mais aussi de Pedro Sanchez, chef du gouvernement espagnol ou de son amie Yolanda Diaz, la ministre du Travail.

Donnons-lui les derniers mots : « Le cinéma, c’est la possibilité de bouger, d’enseigner, de penser, de divertir, de pleurer. Le cinéma est un grand langage universel. » Au revoir, Marisa…

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