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Pourquoi le dictionnaire de l’Académie française, qui féminise enfin les fonctions, est “déjà obsolète”

L’Académie française sait prendre son temps. Jeudi 14 novembre, elle a enfin présenté le quatrième et dernier volume (allant des lettres R à Z) de son dictionnaire de la langue française… 90 ans après la dernière édition officielle. L’objet a été remis en grande pompe à Emmanuel Macron lors d’une cérémonie sous la coupole de l’institution. Et dès sa publication, ce dictionnaire a été immédiatement critiqué, moqué, moqué.

Il y a quelque chose là. Certes, le dictionnaire introduit de nombreux mots nouveaux, mais ceux-ci sont déjà obsolètes au regard de l’usage actuel de la langue. Voici par exemple quelques « nouveautés » : incroyable, assourdissant, tatempion, rembobineur, voyoucratie, rancard, zonard, super-héros, taylorisme ou zouk. Précision importante : si le tome publié cette semaine va de la lettre R à Z, les trois tomes précédents, parus depuis la fin des années 1980, n’ont pas été mis à jour.

Incohérences sur la féminisation des mots

Mais la grande révolution de ce dictionnaire est féminine (et non féministe). L’Académie française, longtemps accusée de sexiste par ses détracteurs, a finalement accepté la féminisation des noms de professions et de fonctions officielles. Pour ELLE, la linguiste Laélia Véron* réagit : « On pouvait se réjouir, mais on a oublié que les universitaires ont complètement hystérisé le débat depuis des années en nous promettant la mort de la langue française si l’on dit un ministre ou un auteur. »

Pour rappel, le terme « auteur » a été inclus dans le dictionnaire Robert en 1996, ce qui avait alors déclenché une tempête médiatique. « Robert était accusé d’idéologie à cette époque, mais en fait, le mot auteur, d’un point de vue purement lexicographique, est une évidence et il s’est naturellement imposé depuis », constate Laélia Veron.

Celui qui est maître de conférences en stylistique et langue française à l’université d’Orléans démontre également une incohérence sur ce point : « Le dictionnaire de l’Académie a été écrit sur 90 ans. La dernière édition date de 1935. De ce fait, on retrouve des traces d’hésitations au fil des notices. Certains ont une définition moderne, avec un féminin et un masculin, mais celle-ci n’a pas été harmonisée sur beaucoup d’autres. Un ambassadeur est par exemple défini comme l’épouse de l’ambassadeur, ce qui semble encore très démodé. »

Pourquoi créer un dictionnaire sur le long terme n’est pas viable

Au-delà de cet exemple, c’est bien cette écriture sur le long terme, en plus d’un débat sur la compétence des membres de l’institution, qui pose problème à Laélia Véron : « Déjà, les académiciens ne sont pas des linguistes, ni des lexicographes. Certains d’entre eux sont écrivains mais ce ne sont pas des chercheurs, des scientifiques spécialisés dans la langue française. À ce problème de légitimité se double un autre, celui de la méthode. Ce dictionnaire est rédigé par ordre alphabétique sur 90 ans. Exemple de cette absurdité : le franc est toujours défini comme l’unité monétaire légale de la . Parce que le mot commence par la lettre F et qu’il se trouve au début de l’alphabet. Et donc, cela a été fait il y a longtemps. Ce dictionnaire est déjà obsolète dès sa sortie ! »

Le dictionnaire de l’Académie française compte 53 000 entrées, rédigées sur 90 ans. A titre de comparaison, le « Grand Robert » compte 150 000 entrées, et le « Pocket Robert » compte 76 000 entrées… mises à jour chaque année. « Ce qui permet à un dictionnaire, comme Robert ou Larousse, d’être équilibré et dans l’air du temps, c’est la possibilité d’être mis à jour chaque année », note le linguiste. Quand on le fait tous les 90 ans, évidemment, c’est plus difficile. »

*Son dernier ouvrage, « Trahison et vengeance : Paradoxes des histoires de transfuges de classe », co-écrit avec Karine Abiven, est disponible chez La Découverte.

 
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