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« L’extrême droite a gagné la bataille sur Internet, faute de combattants face à elle »

VVainqueur de l’élection présidentielle aux États-Unis, Donald Trump a été soutenu par des créateurs de contenus racistes, masculinistes, nationalistes ou pro-armes à feu. Preuve que l’extrême droite en ligne influence les esprits et les votes. Le soutien explicite que Trump a reçu d’Elon Musk, propriétaire du réseau social X (anciennement Twitter), en est un exemple édifiant. Sur ces mêmes réseaux sociaux et avec des techniques similaires, des influenceurs s’avançant plus ou moins masqués œuvrent en à une victoire de ces idéologies haineuses, hostiles aux mouvements d’émancipation.

C’est tout simplement le cas ! : En parcourant YouTube, vous pouvez tomber sur des vidéos comme « Ma transformation physique », « Pourquoi elle vous amis », « Top 10 des livres CHOQUANTS » ou encore « Je teste les meilleurs restaurants de France »… À première vue, le contenu ne semble pas explicitement politique. Or, ces vidéos ont toutes été créées par des influenceurs d’extrême droite. Comment les reconnaît-on ?

Pierre Plotto : Pop art, musique pop, culture pop… et « pop fascisme ». Nous parlons avant tout d’une sous-catégorie de la culture pop qui définit en elle-même cette nouvelle stratégie et cette nouvelle fascistosphère. Les vieilles conférences poussiéreuses avec des gars en costume – il n’y avait que des gars à ces événements, des vieux messieurs aux cheveux gris – ne fonctionnent pas. Depuis l’avènement d’Alain Soral, qui fut le premier à faire des vidéos et à investir sur Internet avec Égalité & Réconciliation, les choses ont changé. Il a instauré un format star : l’homme seul, sur son canapé rouge, qui parle devant la caméra, qui parle pendant des heures. Cela a formé une toute nouvelle génération.

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Pierre Plotto

Pierre Plottu est journaliste quotidien Libération et co-auteur de Le fascisme pop. Comment l’extrême droite a gagné la bataille culturelle sur Internet.

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Internet présente pour eux cet avantage essentiel : la désintermédiation. C’est-à-dire supprimer le filtre du journalisme, notamment entre l’émetteur et le récepteur. Ils ont un credo précis : lifestyle. Ils parleront de sport, de physique, de bien-être… Surfant sur la fable selon laquelle le bien-être physique amène le bien-être mental, mais aussi sur « l’ambiance entre amis ». Certains organisent des repas diffusés via des vidéos par exemple. D’autres vous expliquent pourquoi vous ne parvenez pas à trouver une petite amie – en s’appuyant sur une vision très monolithique des relations hommes-femmes et des couples (hétérosexuels). D’autres encore parlent de livres, d’histoire…

Une fois ce décor planté, bien sûr, ces gens essaient de vous donner l’image non pas de quelqu’un qui va vous parler de politique, mais de quelqu’un qui va vous dire « les vraies choses », à vous, puisque vous êtes dans leur communauté. Beaucoup commencent leurs vidéos en appelant leur communauté « amis ». C’est un gadget qui revient souvent car appartenir à une communauté, c’est s’appartenir les uns aux autres, se faire des amis. C’est quelque chose que les gens recherchent beaucoup sur Internet. On aura donc tendance à faire confiance à cette personne qui nous parle comme à un ami assis sur le canapé d’en face.

Comment alors les reconnaître ? Ont-ils des points communs, des indices, qui permettent de les identifier ?

Racisme, anti-progressisme, masculinisme, anti-« wokisme »… Une vision réactionnaire qui surgit très vite au fil du discours, pour qui a l’œil un peu exercé. Il y a des gens qui se sentent éloignés de la politique, notamment les jeunes. J’ai des amis qui regardaient depuis longtemps les vidéos de certains de ces influenceurs et qui trouvaient ça bien, qui trouvaient ça drôle, qui prenaient ça comme de l’humour. Il n’y a pas de conseils précis pour les détecter… Et c’est pour ça que ça marche. Eux-mêmes se défendront d’être d’extrême droite, la plupart du temps. Ils se présentent comme « la vraie droite ».

Quelle importance ont-ils sur Internet, par rapport aux autres ?

Internet est un gouffre sans fond. Il y a des années de vidéos publiées chaque jour sur YouTube, des milliards de clics rien que sur le web francophone. Dans l’absolu, les vidéos des influenceurs d’extrême droite ne représentent pas grand-chose. Soyons clairs. Cependant, en termes de communautés, il y a des millions et des millions de personnes abonnées. À mon avis, il faut regarder le problème à l’envers. Plutôt que de savoir quel poids pèse ceci ou cela, puisqu’il s’agit de personnes qui prônent des idées et mènent un combat culturel et politique, il faut analyser comment leurs idées racistes, notamment antisémites, et anti-progressistes s’infiltrent.

L’exemple du « Grand Remplacement », je pense, est révélateur. Cette thèse prend d’autant plus d’importance qu’elle est reprise par tout ce mouvement sur Internet qui élargit à grands pas la fenêtre d’Overton. [les discours considérés comme acceptables ou non choquants par une majorité de l’opinion publique, ndlr]le fait même exploser. A tel point que des personnalités comme Valérie Pécresse reprendront cette expression. Pourtant, Valérie Pécresse n’est pas Éric Ciotti, elle n’est pas issue de la même droite. Mais ces fantasmes sont devenus tellement infusés et répandus qu’au final, tout le monde connaît cette expression. En ce sens, la question n’est pas « Combien de clics, d’abonnés ? » La question est celle de la pénétration de leurs idées. Et leurs idées sont partout.

Les formats de réseaux sociaux, sans intermédiaires, facilitent ce renversement…

Évidemment. Si on met ces influenceurs devant quelqu’un qui va leur donner trois références, ça risque d’être compliqué : ils ne les ont pas lues. L’absence du journaliste, l’absence de questions agaçantes, l’absence de recul, l’absence du moindre obstacle qui permettrait d’éviter de faire des bêtises ou de se contredire d’une phrase à l’autre lors d’une vidéo de deux heures… Tout ça est pain béni pour ceux dont le combat ne réside pas dans le travail, mais dans la parole.

Je préfère aussi éviter de donner les noms des influenceurs, car c’est ce qu’ils recherchent. C’est une technique courante sur YouTube, le clash. Ils chercheront constamment des ennemis. Cela leur permet de créer un buzz artificiel et de faire parler d’eux.

Que défendent ces influenceurs lorsqu’ils font du contenu « lifestyle » – repas, contenus sur leur transformation physique, etc. ? ?

Ils essaient tous d’appâter les gens sans parler de politique, mais en leur parlant in fine de la politique. Une de leurs premières activités est de glorifier la « France d’avant » qui aurait disparu parce que « nous voulons la faire disparaître ». « Nous », c’est la gauche, le progressisme, et pour certains, dont Soral, derrière tous ces gens, il y a « le juif tout-puissant » qui tire les ficelles. Il y a peu de fondement dans leurs idées, si ce n’est l’attribution des intentions des gens.

Ils caricaturent le programme de la gauche, parce que cela permet de ne pas avoir à en parler, à ne pas avoir à l’affronter. Si on caricature le gauchiste comme un « homme soja » aux cheveux bleus et pesant 60 kilos qui mange des graines et qui veut t’interdire d’avoir des enfants et de voler, même quand tu es de gauche, tu peux te dire : ouais, c’est un un peu excessif, je n’en ai pas envie non plus.

C’est en tout cas leur stratégie : caricaturer pour ne pas avoir à débattre et créer un repoussoir. C’est l’exemple typique de cette vidéo dans laquelle des influenceurs d’extrême droite tirent au fusil de chasse et poignardent un mannequin avec un tee-shirt du Che, un badge du PCF, un tract de la France Insoumise…

On devine que dans ces vidéos comme celle du tir à la carabine, le but est que nous les regardions, que nous parlions d’eux, au-delà même de leur côté politique. Est-ce une stratégie réfléchie ?

Bien sûr. Il y a un objectif de diffuser des idées pour conquérir les têtes et les cœurs avant de conquérir les bulletins de vote. Mais, sur Internet, il existe un véritable plafond de verre en termes d’audience et de diffusion, extrêmement compliqué à franchir. On en parle dans le livre : il y a un certain nombre de personnalités qui n’ont jamais franchi ce plafond de verre, typiquement sur YouTube.

Certains sont des chefs de groupe, des figures du mouvement identitaire national, mais ne réussissent pas dans leur carrière d’influenceurs. Pour briser ce plafond de verre, il existe des stratégies. Le premier est la mise en vedette. Par exemple, quand Alain Soral était ultra dominant, il était important de se référer à lui. Et sinon, il y a la stratégie du choc. Le but est d’amener les gens à parler de vous, en bien ou en mal.

Quel est le rôle des réseaux sociaux dans cela ?

Nous vivons à l’ère du buzz. Les algorithmes des réseaux sociaux sont conçus pour passer le plus de temps possible sur leur plateforme afin de collecter autant de données que possible sur les utilisateurs. C’est ce qui est vendu. Pour faire rester les gens, ils ont réalisé que ce n’est pas ce que les gens aiment qui les fait rester, c’est ce qui les énerve. Il est donc nécessaire de présenter des contenus clivants aux utilisateurs.

Comment ces influenceurs d’extrême droite contournent-ils la modération des réseaux sociaux, qu’ils appellent « censure », pour continuer à diffuser des idées parfois interdites sur ces plateformes ?

L’une des stratégies est l’inversion sémantique, l’utilisation de codes – la pilule rouge [qui représente l’éveil à une prétendue vérité, ndlr]L’OMS?” » [sous-entendu antisémite qui fait référence à un « complot juif »]les golems [créatures de la mythologie juive utilisée par l’extrême droite antisémite en ligne pour désigner des personnes obéissantes et dociles]… Utilisez des circonlocutions pour ne pas vous laisser berner par les algorithmes. Si je dis « un petit animal amphibien vert qui vit sur des nénuphars », on pense à une grenouille. Mais pas un algorithme. Ils jouent beaucoup là-dessus.

C’est d’autant plus facile dans une communauté qui est une sous-culture, le « pop fascisme », qui aime beaucoup et est très consciente de cette nécessité. Et puis, autre solution : chercher d’autres plateformes. Désormais, ils sont tous sur Telegram, sur Twitter, sur Instagram, sur Deezer et Spotify pour leurs podcasts… Cela demande des moyens, une communauté fidèle, mais les plus connus sont répartis partout.

Le sous-titre de votre livre est : « Comment l’extrême droite a gagné la bataille culturelle sur Internet ». Si la bataille est déjà gagnée, cela vaut-il encore la peine de la mener ?

L’extrême droite a gagné la bataille culturelle sur Internet, certes, mais pas la guerre. J’ajouterais qu’elle a gagné la bataille faute de combattants face à elle. Ces élections législatives ont tout bousculé. Nous avons vécu vivant l’expérience de ce que chacun annonçait avec envie ou peur pour 2027. On a vu, au lendemain de la dissolution, que tout le monde demandait : « Quelle majorité pour Jordan Bardella ? »

Deuxième semaine, on a commencé à dire « putain, à quel point ces candidats RN sont mauvais dans les débats locaux » et les médias ont commencé https://basta.media/ecrire/?exec=article&id_article=9712 malgré leurs idées nauséabondes, antisémites et racistes [et ce, alors que le parti assure avoir pris ses distances avec ces idéologies, ndlr]. La politique, une campagne électorale, est une question de dynamique.

Je pense qu’il y a eu une sorte de date du 21 avril 2002 sur Internet. Pour la première fois, la principale force de la protestation s’est déroulée en ligne. C’est là qu’on a vu des influenceurs se mobiliser – dont il faut saluer le courage – et des collectifs se créer pour dire « non » au RN et prendre position, malgré le fait que leur contenu est pour beaucoup très éloigné de la politique. On s’est rendu compte que ça marchait, que les jeunes qui suivent ces influenceurs de gauche répondaient à l’appel.

La sphère fasciste est un objet presque physique. Ce sont les réseaux, la stratégie, les personnalités clés, les événements physiques, les objets, entrepriseetc. La sphère de gauche n’existe pas vraiment. Malgré cela, elle reste plus puissante que la sphère fasciste. Si, en vue d’une prochaine élection présidentielle, la gauche parvient déjà à comprendre sa force de frappe, sa puissance, son potentiel de force de frappe et qu’elle tente de mettre en musique, à créer une sphère équivalente pour contrecarrer l’extrême droite, alors elle peut gagner.

Emma Bougerol

Photo by Une: DR

 
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