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L’avocat Henri Leclerc, figure emblématique du barreau français, est décédé

DISPARITION – Le grand avocat, fervent défenseur des libertés publiques, s’est éteint à l’âge de 90 ans. Homme libre, avocat généreux, plaideur d’exception, il se méfiait de l’éloquence pompeuse qui plaît à ceux qui la pratiquent mais ne fait pas forcément le bonheur de leur client.

L’avocat Henri Leclerc est décédé samedi 31 août, à l’âge de 90 ans. L’avocat pénaliste était né en 1934 d’un père inspecteur des impôts agnostique, ancien Poilu, et d’une mère très religieuse. Henri, son frère et leurs deux sœurs ont grandi près de Paris, dans une maison de Sceaux.

Il était encore un petit garçon lorsque furent jugés Pétain, Laval et d’autres comme Brasillach. Son père, qui écoutait Radio-Londres pendant la guerre, suivait ces audiences historiques à travers les comptes rendus de la presse. L’imposture de justice que représentait à ses yeux le procès bâclé de Laval, déjà agonisant, le mettait en colère. Quelque temps plus tard, il offrit à son fils le livre de M.et Albert Naud, avocat de l’ancien chef du gouvernement collaborationniste, ironiquement intitulé Pourquoi je n’ai pas défendu Pierre LavalDrôle de coïncidence : Naud sera le premier patron d’Henri Leclerc.

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Ce dernier portait en lui dès l’adolescence une haine de l’injustice, de la peine de mort et« État bourreau ». Évoquant dans ses mémoires (1) la fin de la Terreur, en 1794, il écrit ainsi : « Fouquier-Tinville et Herman [respectivement accusateur public et président du tribunal révolutionnaire] « Je suis monté à mon tour dans la charrette. Et ça ne me console pas. »Il aime la figure de Chauveau-Lagarde, avocat de Charlotte Corday et de Marie-Antoinette.

Passionné d’histoire de France

Passionné d’histoire de France, qu’il découvre auprès de Michelet, lecteur passionné de Les Trois MousquetairesScout, admirateur inconditionnel de Victor Hugo en qui il voit l’avocat suprême, Henri Leclerc rencontre à la faculté de droit un certain Michel Rocard. Le futur cofondateur du Front national, Jean-Marie Le Pen, qui avec ses amis d’extrême droite a pris la direction de la « Corpo » (le bureau des étudiants), échange quelques coups avec le futur avocat lors d’une bagarre.

Henri Leclerc, qui avait eu comme ami le fils de Maurice Thorez au lycée de Lakanal, s’engagea pendant deux ans au PCF et vendit Humanité à la vente aux enchères, ce qui a conduit à de nouveaux combats avec le camp adverse. Il a quitté le parti juste avant l’intervention de Moscou à Budapest – « Je me suis trompé »il l’avouera, en évoquant ce bref engagement au service de la faucille et du marteau.

Il est resté jusqu’à son dernier souffle un plaideur sentimental. Humaniste, pèlerin des tribunaux, président (1995-2000) puis président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme, hanté par le spectre de l’erreur judiciaire.

Mais il reste un militant de gauche toute sa vie, durablement dans le PSU de Rocard. Un jour, en rentrant d’une audience correctionnelle à Belfort avec Robert Badinter (ils avaient défendu Edmond Maire, le patron de la CFDT, diffamé par des dirigeants communistes locaux), son collègue lui souffle fatalement : « Tu vois, mon pauvre Henri, nous sommes d’une génération qui ne verra jamais la gauche au pouvoir. »C’était en 1980, tout le monde peut se tromper.

Avant d’obtenir son diplôme d’avocat, Henri Leclerc avait découvert la cour d’assises en tant qu’auditeur libre. Le jour où il s’assit sur les bancs publics, un homme était jugé «méchant» qui a tué pour voler et qui est condamné par tout. Seul son avocat le traite comme un être humain. À son client bientôt condamné, il dit théâtralement pour dénigrer la mise au pilori du criminel : « Et s’il n’en reste qu’un, ce sera moi ! ». Leclerc : « C’est à ce moment-là que j’ai senti les larmes couler et je me suis senti stupide. » (2).

Le plus humain des éblouissants

Il est resté jusqu’à son dernier souffle un plaideur sentimental. Un humaniste, un pèlerin des tribunaux, président (1995-2000) puis président d’honneur de la Ligue des droits de l’homme, hanté par le spectre de l’erreur judiciaire – pas celle que son illustre collègue Floriot avait un jour cyniquement formulée : « C’est ce qu’on appelle un acquittement. »Il a fait son service militaire en Algérie, période pendant laquelle il n’a jamais tiré un coup de feu mais qui lui a donné de nombreuses occasions de renforcer ses convictions anticolonialistes. Cependant, à son retour, Leclerc est également intervenu pour les membres de l’OAS accusés devant la Cour de sûreté de l’État ; Albert Naud n’était-il pas l’auteur de Défendons-les tous ?

Le meilleur avocat n’est pas un magicien. Lorsqu’il perdit, Henri Leclerc partagea tellement le désarroi de son client qu’on aurait pu croire que c’était lui qui allait en prison.

Sa renommée grandit bientôt, bien qu’il soit encore dans l’ombre de son patron, un bourgeois conservateur, un maître dans tous les sens du terme, puis un ami intime. Lorsqu’il le quitte pour fonder sa propre maison, car le moment est venu pour lui de voler de ses propres ailes, il s’installe comme tout le monde dans les quartiers huppés, avenue Kléber. Mais Henri Leclerc ne se sent pas bien longtemps à l’aise si près de l’Arc de Triomphe et va s’installer, avec sa petite bande, boulevard d’Ornano, dans le populeux XVIIIe siècle.et arrondissement de Paris. Le bureau coopératif devient une adresse mythique à proximité du métro Simplon tant pour la profession que pour les justiciables désargentés qui viennent y chercher de l’aide « prix juste ». Pour faire bonne mesure, on recueille un matou maigrichon, nommé non pas « honoraires » mais Misery, ce qui colle mieux à l’esprit du lieu.

C’est là que Leclerc rencontre Jeanne, une cliente qui veut divorcer. Le coup de foudre. Il l’épouse une fois l’affaire réglée. Ils auront deux filles, Aline et Marie. Henri Leclerc s’impose dans le tumulte politique des années 1970 comme l’un des plus grands de sa génération, aux côtés de Badinter, Kiejman, puis de leur jeune frère Thierry Lévy. Les jeunes avocats se pressent dans les salles d’audience pour les voir à l’œuvre. La transe de Badinter contre la guillotine, l’intransigeance fiévreuse de Lévy contre la prison, la cruauté érudite de Kiejman contre tout ce qui lui résiste, éblouissent le public. Leclerc, lui, est autre chose. Le plus humain des éblouissants. Le plus émouvant des seigneurs en robe noire.

« Je vous interdit de le condamner à mort ! »

Sous son manteau, il est habillé comme un professeur de latin d’antan, le nœud papillon ou la cravate de travers, les chaussures usées, les costumes élimés. L’apparence n’a jamais été son client. Il n’a aucun sens de l’ordre, se salit en mangeant, se coiffe on ne sait comment. Il aime à dire que les bons jours, il plaide avec un ange sur son épaule, comme en lévitation. Et quelle voix ! Profonde, tonitruante, murmurante, magnifique : en l’écoutant, on croit entendre les nuances cuivrées d’un saxophone (ténor, évidemment).

À la fin de sa carrière, Henri Leclerc incarne le vieux sage, le bon vieillard qui supplie avec un sanglot non feint. «Mesdames et messieurs du jury» pour ne pas blesser un vieil homme au bord de la tombe (lui-même), tout en démontant avec désinvolture le dossier de l’accusation. Mais dans sa jeunesse, il était un avocat combatif, animé par une rage de convaincre. « Je vous interdit de le condamner à mort ! »il osa un jour, emporté par sa propre éloquence, aux assises du Pas-de-Calais : les jurés l’entendirent et épargnèrent l’accusé. Il n’en fut pas toujours ainsi : les meilleurs avocats ne sont pas des magiciens. Lorsqu’il perdit, Henri Leclerc partagea à tel point le désarroi de son client qu’on aurait pu croire que c’était lui qui allait en prison.

Nous ne fournirons pas ici une liste exhaustive des exploits de M.et Leclerc, qui a plaidé pour la dernière fois en décembre 2020. Citons en 1966 Lucien Léger, dit « l’étrangleur », condamné à la réclusion à perpétuité (il risquait la peine de mort) pour le meurtre du petit garçon, Luc Taron ; une brouette de gauchistes poursuivis après Mai-68, dont Serge July, futur fondateur de Libérer ; Combattants indépendantistes guadeloupéens ; la famille de « Pierrot » Overney, militant de la Gauche prolétarienne tué en 1972 par un vigile devant les usines Renault à Boulogne-Billancourt – parce qu’Henri Leclerc ne refusait pas par principe de travailler du côté de la partie civile ; des voyous comme « Charlie » Bauer et François Besse, proches un temps de Jacques Mesrine, ou Roger Knobelspiess ; des terroristes arméniens d’Asala (avec, détail piquant, son collègue et futur ministre UMP Patrick Devedjian) ; des manifestants iraniens ; des Corses ; des Bretons ; Canard enchaîné; Véronique Courjault (affaire des « bébés congelés ») ; le professeur de droit Jacques Viguier accusé sans preuve d’avoir tué sa femme (plaidoyer mirifique à Toulouse en 2009) ; Florence Rey (l’escapade folle à Paris menée par sa compagne Audry Maupin) ; Dominique de Villepin dans l’affaire Clearstream ; Dominique Strauss-Kahn dans l’affaire Carlton à Lille…

Une affaire dont il parlait souvent lui tenait particulièrement à cœur : celle d’un anesthésiste de Poitiers d’origine africaine injustement accusé d’avoir provoqué la mort d’un patient pour compromettre son chef de service. L’acquittement comble l’avocat, mais la détresse des parties civiles l’afflige. Dans les années 90, il se retrouve aux côtés de Richard Roman, accusé du viol et du meurtre d’une petite fille, Céline, à La Motte du Caire (Alpes-de-Haute-Provence), qu’il aurait commis en compagnie d’un dénommé Didier Gentil. A l’audience, ce dernier a disculpé Roman, qui n’avait rien à voir avec l’histoire. L’enquête s’était déroulée dans un climat de tension inouïe. Lors de la reconstitution, Henri Leclerc, l’avocat de l’affaire, a été accusé de viol et de meurtre d’une petite fille, Céline, à La Motte du Caire (Alpes-de-Haute-Provence). ” monstre ” Roman est pris à partie, battu, sa chemise est arrachée. A cet instant, pour la France entière, son visage tuméfié est celui de la défense et du courage.

Dans l’affaire Raddad, il intervient comme partie civile pour la famille de la victime, Ghislaine Marchal. Face à lui, Jacques Vergès, qu’il connaît bien, défend Omar Raddad, le jardinier condamné à 18 ans de réclusion criminelle. Certains, dont des collègues dont il se sent proche, critiquent Met Leclerc, qui n’avait aucune leçon à recevoir de ces détracteurs, pour avoir selon eux choisi le « mauvais » camp. Il en a longtemps souffert. Ce vilain procès ne l’empêche pas de rester une référence morale, un modèle d’éthique pour de nombreux avocats, même les plus célèbres, qui font appel à lui lorsqu’ils sont confrontés à un cas de conscience.

Homme libre, avocat généreux, plaideur d’exception, il se méfiait comme la peste de l’éloquence pompeuse qui plaît à celui qui la pratique mais ne fait pas forcément le bonheur de son client. Henri Leclerc restait très attaché à ses racines limousines : la légende du barreau avait accepté la Légion d’honneur mais gardait les pieds sur terre. Peu à peu, ses camarades de prétoire mouraient, lui était devenu un habitué résigné des oraisons funèbres. « J’ai l’impression de vivre parmi les fantômes »il l’écrit dans ses mémoires, qui se terminent néanmoins par ces mots : « Je crois au matin ».

(1) Paroles et actes : le parcours d’un avocat militantFayard, 2017.

(2) Ibid.

 
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