Ma mère, Andrée Simard, est décédée dans des circonstances inquiétantes à l’hôpital St-Mary en décembre 2022. Quelques mois plus tard, je prenais publiquement la parole pour dénoncer la qualité des soins de fin de vie prodigués à ma mère lors de son séjour dans cet hôpital. À la suite de cette intervention, notre famille a reçu des excuses officielles du ministre de la Santé, Christian Dubé, tandis que l’établissement, préférant garder le silence, m’a invité à recourir au processus de plainte en vigueur afin d’assurer un jugement équitable sur l’épisode. Après réflexion, j’ai décidé de suivre cette voie.
Je partage aujourd’hui avec vous les résultats et mes observations concernant les quatre rapports des différentes instances qui ont étudié la question.
Après ma sortie publique, le Collège des médecins a pris l’initiative de mener une enquête. En résumé, même si le Collège n’a constaté aucune faute déontologique de la part des médecins, il a relevé les points suivants :
— Mauvaise communication entre la famille et l’équipe clinique;
— Un problème de formation en soins palliatifs pour l’équipe soignante impliquée dans les soins de Mme Simard.
J’ai également déposé une plainte au commissaire aux plaintes du CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île, à deux niveaux : contre les médecins et contre une infirmière.
Le médecin légiste est arrivé aux mêmes conclusions que le Collège des médecins, tandis que le commissaire n’a constaté aucun manquement concernant l’infirmière avec laquelle j’ai eu une altercation. Cette infirmière a en effet laissé ma mère sans surveillance médicale pendant près de six heures suite à cette altercation, sous des prétextes qui me paraissent incongrus.
Les délais de réponse du commissaire n’ont jamais été respectés et ce n’est qu’après avoir mentionné que je voulais soumettre ma plainte au Protecteur du citoyen que j’ai reçu une réponse le lendemain.
Toutes ces enquêtes reposent sur un principe : la parole de l’un contre celle de l’autre, et sur les notes du dossier, auxquelles le plaignant n’a pas accès. Pour ma part, j’ai eu droit à ces notes expurgées grâce à des avocats que j’ai mandatés. Etant seul devant l’institution, j’étais en quelque sorte condamné d’avance.
La réponse du commissaire démontre qu’il n’y a aucune responsabilité directe de la part de l’infirmière. Paradoxalement, l’établissement reconnaît des lacunes dans son offre de soins palliatifs et a engagé une révision de celle-ci. Un plan d’action est en cours pour améliorer cet accompagnement.
Ce n’est que par l’intermédiaire du Protecteur du citoyen que l’analyse du dossier a pris une autre tournure. Plusieurs manquements graves ont été constatés, dont entre autres :
— L’absence de soutien à la famille, comme le prévoit la politique de soins palliatifs de fin de vie;
-— L’absence de plan de traitement infirmier (PTI) ;
— L’absence d’une échelle validée et fiable pour suivre la douleur du patient et la suivre dans le dossier ; •L’absence de tournées horaires pour évaluer l’état du patient la nuit ;
— Refus de changer de personnel soignant en cas de désaccord. Prévu dans les 12 droits d’utilisation.
Je suis d’accord avec ces conclusions et suis satisfait que, pour la première fois, une analyse rigoureuse ait été réalisée sur la base des lois et des protocoles qui n’ont pas été respectés.
Tout ce processus a été extrêmement difficile. J’ai parfois douté de moi-même, après avoir reçu des réponses affirmant que tout avait été fait dans les règles. Je sentais que mes demandes répétées et mon insistance avaient donc mis à mal mes relations avec le personnel soignant.
Cela a pris plus de deux ans de lutte. Mais j’ai dû comprendre le fonctionnement du système de plaintes et démontrer qu’il est conçu pour protéger les professionnels plutôt que pour assurer la justice aux citoyens. J’étais profondément déçu par les réponses obtenues, ébranlé, et parfois je doutais même de la réalité de ce cauchemar que je vivais.
Aujourd’hui, je demande au ministre de la Santé de revoir le processus de plainte. Est-il vraiment pertinent qu’il faille s’adresser au Protecteur du citoyen pour qu’un problème soit vraiment pris en compte, basé sur des lois et des pratiques qui ne sont pas respectées ? J’ai également compris que le système est si complexe et si cloisonné qu’il est presque impossible d’en avoir une vision globale. Un fait que j’ai également remarqué dans les témoignages des membres du groupe Mortensilence, que j’ai créé. J’aurais aimé qu’on me le dise : nous analyserons complètement votre dossier et vous fournirons le détail de l’ensemble des manquements. J’aurais aimé me sentir soutenu. Seul le Protecteur du citoyen y est parvenu !
À la lumière des conclusions du Protecteur du citoyen, plusieurs avenues s’offrent à moi, comme déposer une plainte auprès de l’Ordre des infirmières ou tenter un appel contre l’hôpital ou Santé Québec. Mais j’ai décidé de m’arrêter là, de prendre soin de ma propre guérison et de passer à autre chose. J’espère simplement qu’à la fin de ma vie, on prendra soin de moi avec dignité et compassion.
Je tiens à remercier tous ceux qui m’ont soutenu et donné de précieux conseils : vous, chers membres de Mortensilence, collaborateurs, journalistes, médecins, associations, avocats. J’invite les victimes et les soignants à se battre pour que justice soit rendue à leurs proches et à ne jamais accepter l’inacceptable. Cela en vaut la peine, même si c’est extrêmement difficile, car c’est comme ça que les choses peuvent évoluer.
Dans quelques jours, je dissoudrai le groupe Facebook, mais je laisserai le site Web ouvert pour référence. Je retourne à ma vie privée, entouré de ceux que j’aime. J’ai le sentiment du devoir accompli. J’espère sincèrement avoir réussi à faire bouger les choses et avoir contribué, même si ce n’est qu’un peu, à aider mon prochain. Si mon combat avait pu ouvrir des portes et sensibiliser les gens, alors tout cela aurait eu un sens.