L’étude géologique des terres affleurantes à proximité de Douar Ahmed Ben Brahim dans la province de Fkih Ben Salah a montré l’existence d’anciens volcans de boue liés à l’expulsion de gaz en cours de réactivation. [1]. L’interprétation de ces terrains a été faite sur la base des émissions de gaz et de fluides noirâtres survenues en mars 2024 et sur des critères géomorphologiques, sédimentologiques et tectoniques.
Au cours du mois de décembre 2024, il y a eu une extension des centres d’émission de gaz, dont j’ai eu connaissance le 22 décembre grâce à la vidéo réalisée par M. Nejari. La visite de terrain réalisée le 16 janvier 2025 a permis d’observer de première main cette évolution, de constater l’ampleur du phénomène et d’avoir des témoignages des habitants du Douar (Fig. 1).
Preuve d’une nouvelle réactivation d’anciens volcans de boue liée aux hydrates de gaz
Expulsions de gaz et de fluides
Plusieurs sources d’émission de gaz très actives sont apparues dans une nouvelle zone plus proche des habitations. Ces fumées blanchâtres qui peuvent se transformer en flammes même pendant la nuit, selon les habitants, dégagent une très forte odeur de soufre. Les émissions de gaz proviennent de fractures et de petits cratères nouvellement créés (Fig. 2 et 3). Des épanchements liquides noirâtres apparaissent également autour des fractures (Fig. 4).
Critères géomorphologiques, tectoniques et sédimentologiques
Les affleurements terrestres montrent une longue dépression le long du Douar qui comprend des monticules de plusieurs mètres de taille (Fig. 5) et une ride de plusieurs mètres de hauteur et de largeur et d’un kilomètre de longueur (Fig. 6). La crête est modélisée par des griffons de taille métrique pouvant inclure un petit cratère et des déformations synsédimentaires (Fig. 7).
Les monticules et la ride sont affectés par des réseaux de fractures qui s’organisent selon 3 directions privilégiées : une direction parallèle à l’allongement de la ride, une direction qui lui est perpendiculaire et une autre orientée SE NW qui est oblique par rapport à la première (Fig. 8).
Les sédiments de ces terres correspondent à une brèche argileuse (Mud brèche) non stratifiée, non litée et sans granoclassification ni fabrique (Fig. 9 et 10). La matrice dominante est constituée d’argilites friables et écailleuses de couleurs variées : grises, gris verdâtre, jaunâtres ou brunes.
Les éléments sont de nature lithologique variée : roches carbonatées, grès, microconglomérats et argilites. Ils sont également de forme anguleuse et très mal classés, leur taille varie du granulé au galet (centimétrique au décimétrique), en passant par les graviers.
Ces caractéristiques sédimentologiques permettent d’exclure l’hypothèse selon laquelle les émanations de fumées et les incendies qu’elles provoquent auraient été générés par le brûlage d’une tourbière dont l’assèchement aurait été favorisé par le réchauffement climatique. Le visage « Brèche de boue » ne peut en aucun cas être confondu avec celui d’une tourbière. Les dépôts des tourbières présentent généralement une alternance de couches discontinues riches en matière organique dont la composition peut varier aussi bien horizontalement que verticalement, avec de fines couches de sable limoneux, de limon et/ou d’argile.
Un contexte géodynamique favorable
Cette nouvelle réactivation enregistrée en décembre 2024 reflète une progression latérale des centres d’émission vers l’Ouest. Selon les habitants du Douar Brahim Ben Ahmed, des émissions de gaz et des incendies ont commencé à apparaître il y a 8 ans dans le secteur Est, ils étaient localisés à proximité de l’intersection avec la route nationale RP322. La première expansion vers l’ouest a eu lieu en mars 2024[2] (Fig. 11) et, en décembre 2024, il a atteint le secteur actuel.
Figure 11 : Zone d’apparition d’émissions de fumées et de flammes en mars 2024 (à droite de la photo entre les deux buttes)
Ces manifestations sont sûrement liées à une réactivation de failles profondes dont le jeu permet la création de fractures qui favorisent les émissions de gaz enfouis dans le substrat rocheux. Cette réactivation est induite par l’activité sismique de la région (Fig. 12). D’après le site Volcano Discovery[3]la région de Fquih Ben Salah a été soumise au cours des 30 derniers jours à 18 séismes d’une magnitude allant jusqu’à 3,4 et elle aurait connu au moins 3 séismes de magnitude supérieure à 5 depuis 2010.
-La région de Fquih Ben Salah s’est développée dans un contexte de marge active, à l’avant de la chaîne centrale du Haut Atlas, dont le soulèvement a été à l’origine d’un raccourcissement et de la formation d’un bassin syn-orogénique. Dans ce type de bassin, la formation de volcans de boue est favorisée par le compactage et la déformation de sédiments saturés d’eau, qui induisent des surpressions et provoquent ainsi l’expulsion de gaz et de fluides. De plus, la majorité des volcans de boue dans le monde sont associés à des ceintures de zones de subduction et de convergence situées dans les marges océaniques actives actuelles et sur les fronts des chaînes de montagnes terrestres.
Des mesures urgentes sont nécessaires
Les critères géomorphologiques, sédimentologiques et tectoniques mis en avant, ainsi que les émissions de gaz et les épanchements de fluides noirs et le contexte géodynamique, plaident en faveur de l’existence de volcans de boue liés aux hydrates de gaz et de leur réactivation en cours. Ce phénomène ne se limite pas à la région de Fquih Ben Salah. En effet, en l’espace de quelques mois, une réactivation de volcans de boue liée aux hydrates de gaz a été enregistrée à Tingarf dans la région d’Azilal.[4] et à Timedghas dans la province de Khénifra[5].
Ces trois régions se sont développées dans le même contexte géodynamique, à savoir le soulèvement des chaînes du Haut et du Moyen Atlas. Le phénomène de volcanisme de boue lié aux hydrates de gaz présente des intérêts scientifiques et des bénéfices socio-économiques indéniables. Il convient donc de lancer une programme d’enquête complet et intégré couvrant les études géophysiques, structurales, stratigraphiques, sédimentologiques et géochimiques. Un tel programme devrait permettre de :
1) mettre à jour les connaissances géologiques et géodynamiques de ces régions,
2) cartographier avec précision les zones qui sont le siège du volcanisme de boue,
3) évaluer l’importance et l’étendue des gisements de gaz liés à ces volcans de boue,
4) préciser la qualité de ces gaz et la nature des minéraux associés aux volcans de boue.
Par ailleurs, il devient urgent de lancer une campagne d’information et de sensibilisation auprès des habitants du Douar Ahmed Ben Brahim et des douars voisins. Aux effets indésirables de la pollution de l’air par les vapeurs de gaz s’ajoutent des risques majeurs pour les enfants qui continuent à jouer et à circuler dans ces zones où nouvelles réactivations peut conduire à un affaissement, une fracturation ou à la création de nouveaux cratères et centres d’émission de gaz et de flammes.
[1] Hamoumi N (2024) – Découverte d’un gisement de gaz naturel dans la province de Fkih Ben Salah, Maroc, publié le 11 mars 2024
[2] Hamoumi N (2024) – Découverte d’un gisement de gaz naturel dans la province de Fkih Ben Salah, Maroc, publié le 11 mars 2024
[3] https://www.volcanodiscovery.com/fr/seismes/morocco/beni-mellal-khenifra/fquih-ben-salah.html
[4] Hamoumi N & Courba S. (2024) – Découverte de volcans de boue liés aux hydrates de méthane à Tingarf, province d’Azilal, Maroc, publié le 3 septembre 2024
[5] Rapport. Indices gaziers dans la région de Timedghas (province Khénifra), publiés le 15 avril 2024
Vous avez un projet immobilier en tête ? Yakeey & Médias24 vous aident à y parvenir !