C’était il y a exactement cinq ans. Le 20 janvier 2020, le Covid couvait encore lorsque le gouvernement organisait la troisième édition de Choose France. Ce sommet emblématique est l’événement de référence pour attirer les grands dirigeants et les convaincre d’investir sur le sol français. Ce jour-là, à Versailles, le parterre de grands décideurs industriels, parmi lesquels des représentants de General Electric, BMW, Samsung et Boralex, découvrait une délicieuse liste de 12 sites « clés en main ». Des navires industriels abandonnés mais capables, promet le ministère de l’Industrie, d’accueillir très rapidement de nouveaux porteurs de projets.
Réindustrialisation : le plan de bataille de l’État pour retrouver rapidement des terres
La priorité du président Macron et de sa ministre de l’époque, Agnès Pannier-Runacher : faciliter les démarches administratives des industriels pour leur permettre une installation accélérée. Un remède à la désindustrialisation, disent-ils. «L’initiative est saluée comme intelligente, astucieuse dès son lancement»rappelle Vincent Charlet, directeur exécutif du think tank La Fabrique de l’Industrie. Dans la foulée, 66 autres sites clé en main apparaissent en 2020, puis 49 supplémentaires en 2021 dans toute la France. Cinq ans après ces premiers pas, des dizaines d’immeubles industriels restent encore au stade de coquilles vides.
Les territoires prennent leurs précautions
En Nouvelle-Aquitaine par exemple, les trois quarts des 14 sites labellisés lors des premières vagues sont toujours proposés à la vente ou à la location, comme l’indique le site Internet de l’agence régionale de développement économique. C’est le cas d’immenses ouvrages difficilement aménageables, comme le complexe gazier de Lacq (50 hectares, Pyrénées-Atlantiques), la friche de la Société nationale des poudres à Angoulême (177 ha, Charente) ou une plateforme logistique à proximité. Poitiers (42 000 m2 de bâti, Vienne). Mais d’autres sites, potentiellement plus agiles, restent également orphelins de tout nouveau projet, comme autour de Brive avec deux plateformes logistiques pour un total de 50 hectares ou sur la technopole d’Agen avec de nombreux terrains disponibles sur plusieurs dizaines d’hectares. .
L’ADI, l’agence régionale de développement économique, est pourtant très volontariste sur le sujet et noue de nombreux contacts pour mettre en branle la reconquête des terres. ” Pour nous, ce sont des sites à fort potentiel. Après, il faut trouver une compatibilité avec le projet de l’investisseur. », souligne Maria Cosentino, responsable du département de mise en œuvre commerciale, parlant des sites clé en main comme d’un « vitrine pour l’industrie. »
Mais la dynamique du moment n’aide pas et les communautés sont très exigeantes. ” Avec Zero Net Artificialisation, les territoires sont plus sélectifs. Ils prêtent attention aux impacts, non seulement sur l’emploi mais aussi sur les problèmes résidentiels, environnementaux, les flux routiers et la consommation des ressources. », énumère-t-elle. En Nouvelle-Aquitaine, les projets de Pure Salmon dans le Verdon et de la startup Miraïa à Garlin sont encore en phase d’études sur des sites clé en main. En posant à chaque fois la question de l’acceptabilité.
Inciter les élus locaux à s’en emparer
Au ministère de l’Industrie, les équipes ne sont pas en mesure de communiquer un taux d’occupation des sites industriels clé en main. En fait, les difficultés majeures ne résident pas dans le territoire, mais ailleurs. “ Le vrai problème des industriels et des porteurs de projets, ce sont les normes environnementales et toutes les démarches administratives liées à l’ouverture d’une usine, observes Sébastien Martin, the president of Intercommunalités de France. L’autre sujet est de mobiliser les élus locaux sur la réindustrialisation, en supprimant de plus en plus de sites industriels clé en main. Les collectivités ne doivent pas hésiter à investir les plusieurs centaines de milliers d’euros nécessaires à la réalisation d’études et de branchements divers. La plupart, qui disposent de terrains disponibles, préfèrent attendre d’avoir une perspective avant de se lancer dans les démarches… »
À la tête du Grand Chalon depuis 2014, l’élu a mené de main de maître la réindustrialisation des friches Kodak, après la fermeture de l’usine en 2005 et la désertification ultérieure de plus de 200 hectares de terres. Le site est alors l’un des premiers sites industriels certifiés clé en main. A ce jour, près de 80 entreprises se sont implantées l’ancien centre de recherche du géant de la photographie, et ses environs abritent 75 entreprises, dont Air Liquide. Malgré cet exemple plutôt positif, un récent rapport sénatorial sur le programme Territoires industriels recommande au gouvernement un système financier pour soutenir les collectivités qui acquièrent et développent des terrains industriels.
L’effet vitrine, plus que les résultats
Mais à vouloir voir trop grand, la taille des structures ne correspond pas toujours aux attentes des candidats. Les constructions sur sites clé en main peuvent atteindre plusieurs dizaines de milliers de mètres carrés, quand les terrains s’étendent parfois sur plusieurs dizaines d’hectares. ” Les entreprises industrielles recherchent principalement de petits terrains avec des bâtiments déjà construits. L’idée que l’on se fait volontiers de sites beaucoup plus grands ne correspond pas, en nombre, aux projets d’implantation les plus demandés. », observe Vincent Charlet. Quant à la gestion de la Banque des Territoires, on confirme encore en France un déficit foncier industriel très important, de plusieurs dizaines d’hectares. Leur sourcing sera l’un de ses chantiers majeurs en 2025.
-L’industrie doit également trouver une localisation équilibrée pour être reliée à un bassin d’emploi. ” Tant que tu ne te fondras pas dans la masse complètement, prévient Vincent Charlet. La ville n’aime pas l’industrie, l’industrie n’aime pas la ville. Mais il lui faut avoir accès aux infrastructures, aux salariés, aux clients… bref, à tout ce qui est concentré dans le tissu urbain. » Ce que l’on ne retrouve pas toujours dans les navires clé en main.
Réindustrialisation : la France poursuit un objectif « infondé »
« Il ne faut pas forcément se plaindre que les sites ne soient pas occupéstempers Marie-Cécile Tardieu, deputy general director of Business France. L’initiative constitue une vitrine qui a déjà montré que la France pouvait réagir rapidement, tout en faisant connaître les territoires. C’est une première manière d’attirer les investisseurs »elle se défend.
Concorde des partenaires
Au-delà, la vacance prolongée des sites clé en main reflète simplement les limites de la réindustrialisation.» Les chantiers clé en main alimentaient des attentes excessives qui ne pouvaient que conduire à la désillusionsays Vincent Charlet of La Fabrique de l’Industrie. Les pouvoirs publics ont enfilé leur armure et leurs meilleures intentions en disant « nous allons réindustrialiser ». Ce n’était pas une mauvaise idée, mais nous n’avons pas suffisamment travaillé sur l’objectif fixé. Les résultats mitigés sur les sites clé en main font écho aux résultats tout aussi mitigés de l’appel à projets de relocalisation prévu dans le plan de relance. »
Pourtant, tout n’est pas perdu pour réaliser les reconversions industrielles qui nourrissent de grands espoirs dans les territoires. Au printemps 2024, la troisième vague de certification a révélé 55 nouveaux espaces clé en main. Cette promotion n’est pas opérationnelle dans l’immédiat, mais le sera plutôt à l’horizon 2027-2030, afin d’anticiper au mieux la reprise industrielle en attendant de finaliser les études techniques sur site. ” Nous les accompagnons pour qu’ils deviennent clé en main, avec différents niveaux de maturité. Une dizaine sont déjà presque prêtes, et l’ensemble représente un total de 2 940 hectares, dont 30 % de terres valorisées. », précise le cabinet du ministre de l’Industrie et de l’Énergie, Marc Ferracci. Avoir de la patience est une valeur cardinale dans le domaine. ” Réindustrialiser n’est pas facile et surtout cela prend du temps », asks Vincent Charlet.
Et si « le simple fait de libérer les terres des contraintes administratives n’était peut-être pas suffisant », comme le pense le patron de Business France, tous les partenaires se sont au moins mobilisés pour travailler ensemble. ” C’est un tremplin pour des collaborations, je n’ai jamais autant travaillé avec les services de l’Etat », évoque de son côté Maria Cosentino de l’agence régionale de développement économique. Et il faudra encore s’assurer de la disponibilité des sites lorsque les bons candidats se présenteront enfin.
CES de Las Vegas : quand les constructeurs arrivent en force