Cette série dystopique d’une rare élégance plonge ses protagonistes dans un univers kafkaïen impitoyable et absurde.
Il aura fallu trois ans à l’acteur-producteur Ben Stiller et au scénariste Dan Erickson pour livrer la deuxième saison de leur dystopie, Rupture. Une série de puzzles dans la pure veine de Perdu, devenir l’une des créations Apple TV+ les plus acclamées. Travaillant au sein de la société de données Lumon Industries, Mark Scout (Adam Scott) dirige une équipe dont les employés subissent une intervention chirurgicale pour séparer les souvenirs liés à leur vie professionnelle de ceux liés à leur vie privée. En fin de saison, ils ont pris conscience de cette dissociation entre leur ego « entre » et eux-mêmes « extérieur ». Allant jusqu’à afficher cette distorsion en public, mettant leur entreprise en mode communication de crise.
La découverte de cette double vie est source de souffrance : chacun est tiraillé entre ses deux identités, désirs contradictoires et insolubles. Avec la fin de l’oppression viennent la colère, le chagrin, la confusion. La procédure est-elle vraiment une boîte de Pandore qui réprime tout traumatisme ? Mark doit faire face aux sentiments qu’il éprouve pour sa femme, qu’il croyait morte, et pour son assistante Helly, qui est, dans la vie civile, la fille du PDG de Lumon. Menacée dans ses fondations, l’entreprise, qui feint d’accepter ce gain d’autonomie, est bien décidée à protéger sa mystérieuse raison d’être. L’ancienne superviseure de Mark qui connaît les secrets de Lumon, Harmony Cobel (Patricia Arquette), reste une éminence grise mystérieuse et menaçante, sous son extérieur tranquille de vieille dame.
Devenir un automate docile ou pas
Dan Erickson et Ben Stiller citent volontiers Brésil, The Truman Showles thrillers paranoïaques des années 70 comme influences mais aussi Jacques Tati ! D’une rare élégance, Rupture mélange des éléments de comédie de bureau et de surréalisme avec une atmosphère délétère où émerge le complot. Lumon et le culte dédié à son créateur font penser à une secte. Protagonistes et spectateurs évoluent dans un dédale kafkaïen de couloirs qui effacent tous les marqueurs du temps ou de l’espace. Revenir à la surface, plongé dans l’obscurité hivernale, ne garantit pas d’y voir plus clair.
-« Il est tentant d’abandonner certaines de ses facettes – une fraction de son humanité – de trouver sa place dans le monde du travail et d’y être laissé en paix »note Dan Erickson. Pour lui, sa série est bien plus qu’une mise en abyme d’une œuvre. « Le risque est de devenir un automate docile qui refuse de poser des questions dérangeantes et ne fait plus l’effort d’aligner ses actions et ses principes. », il croit.
L’aisance des acteurs à incarner des personnages à la Janus est impressionnante. « Votre comportement n’est pas le même lorsque vous êtes entouré d’inconnus ou de proches. Je mets tout ce qui me dérange chez moi dans la marque du monde extérieur. Lumon’s Mark possède les qualités que j’apprécie »décrypte Adam Scott.
Lui et ses partenaires ont poussé l’expérience jusqu’au bout en passant plusieurs heures enfermés dans un bureau en plexiglas en pleine gare centrale de New York pour faire la promotion de la série. Sous les yeux ébahis des passants.