Un parcours atypique que celui d’Antoine Craspail ! Joueur de l’équipe de France des sourds et malentendants mais aussi président du Tennis Club d’Urt, le Basque porte plusieurs casquettes. Il nous parle de sa passion pour le jeu et des effets secondaires d’être manager dans cette nouvelle place para.
Antoine, comment as-tu commencé à jouer au tennis ?
Regarder Roland-Garros qui passait à la télévision sur France 2, quand j’étais petite. J’ai regardé jouer les professionnels et je les ai immédiatement imités en frappant la balle contre le mur de ma maison avec une pala (sorte de pelote basque) car je n’avais pas de raquette de tennis à l’époque. J’ai fait beaucoup d’allers-retours entre la télé où je regardais comment jouaient les joueurs et le mur de ma maison où je frappais les balles. J’ai repeint le mur de ma maison !
Mes parents n’ont donc pas eu besoin de beaucoup chercher et m’ont inscrit dans un club de tennis.
Quand as-tu rejoint ton club ?
J’ai commencé le tennis dans un autre club assez jeune, vers quatre ans, mais j’ai vite arrêté pour jouer au rugby. C’est en suivant mon meilleur ami du collège, bien plus tard, alors que je jouais au rugby avec lui en section études et en club, que j’ai intégré son club où il jouait au tennis depuis plusieurs années.
C’est ainsi que j’ai rejoint le Tennis Club d’Urt en 2010/2011. J’ai intégré un groupe d’entraînement avec un super coach qui m’a fait beaucoup progresser !
Après plusieurs années classées 15, je suis actuellement 5/6, ce qui est mon meilleur classement à ce jour.
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Vous avez participé aux Championnats d’Europe des Sourds. Pouvez-vous parler un peu de cette expérience ?
J’ai intégré l’équipe de France pour la première fois en participant au Championnat d’Europe de tennis des sourds et malentendants qui s’est déroulé en juin dernier à Villach en Autriche, sur terre battue extérieure.
J’ai joué sur trois tableaux : simple, double et double mixte avec mes partenaires de l’équipe de France. C’était dense car la compétition s’organisait sur une semaine et on jouait tous les jours, parfois plusieurs matchs par jour. C’était physiquement et mentalement exigeant mais pour une première fois, c’était une expérience incroyable !
J’ai découvert le très haut niveau du Championnat d’Europe avec de très bons joueurs. J’ai pu passer un tour dans chaque table avant d’être stoppé par les têtes de série principales sur les trois tables, donc pas mal pour une première…
Les compétitions se jouent sans appareil auditif afin de mettre tout le monde sur un pied d’égalité, que ce soit en simple ou en double. Le plus dur est donc la communication lors des doubles avec nos partenaires. Nous nous débrouillons avec la signalétique mais aussi en connaissant notre partenaire ce qui nous permet de mettre en place des automatismes. Nous avons eu d’excellents résultats avec l’équipe en simple, en double masculin, en double mixte ainsi que chez les juniors.
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Une équipe de France qui brille.
Selon vous, quelles sont les grandes différences entre le tennis classique et le tennis sourd ?
Nous jouons au tennis des sourds avec un sens en moins, l’ouïe, puisque nous jouons sans appareil auditif. Ainsi on n’entend ni le rebond de la balle, ni le let s’il se produit, ni la frappe de raquette, la nôtre ou celle de notre adversaire. C’est inquiétant parce qu’on repart avec un handicap. En fin de compte, nous ne pouvons compter que sur un seul sens, la vue.
Mais pour jouer au tennis, nous avons besoin de tous nos sens pour apprivoiser l’espace. Nous sommes en quelque sorte rythmés par le rebond de la balle ainsi que par les bruits des raquettes qui frappent. On perçoit différents sons selon le type de frappe avant même de lire la trajectoire de la balle, comme un lift qui produira un son aigu, une frappe plate qui produira un son net, etc.
C’est pourquoi, dans le tennis des sourds, on commence toujours « tard » ou « décalé ». On essaie de compenser en étant plus concentré au viseur mais la conséquence est qu’on se fatigue plus vite lors d’un match à force de remplir le sens avec moins.
L’autre différence c’est la gestion de la communication lors des doubles car on ne peut pas s’entendre entre partenaires, je dis « entendre », le sens ! Alors on communique par signes ou par improvisations. Parfois ça marche, parfois non, on élabore des petites stratégies en amont et on essaie de se connaître, le partenaire et moi, afin d’avoir des réactions automatiques.
-Au niveau de l’arbitrage également, l’arbitre peut difficilement se faire comprendre verbalement mais il s’adapte avec des signes avec ses mains, comme des fausses balles, des bonnes balles, des scores. Lorsqu’il doit interrompre le jeu sur un let non entendu par les joueurs, par exemple, il lance une balle rouge, que les deux joueurs voient, sur le terrain, afin d’arrêter le jeu.
Vous êtes président du club et joueur, c’est un duo original ! Que vous apporte votre rôle de manager au quotidien ?
Je confirme que c’est un duo original ! Mais c’est tellement enrichissant… Je suis président depuis peu de temps, presque deux ans. Mais depuis mes 15 ans, j’aide mon ancien coach dans les cours de tennis avec les plus petits. Il m’a demandé d’être initiateur et m’a formé. C’est une expérience qui m’a fait énormément grandir et prendre confiance en moi.
Après avoir arrêté le tennis quelques années pour étudier, je suis revenu au club où j’ai progressivement commencé à aider à nouveau le moniteur dans ses cours, puis à aider le club pour le tournoi annuel d’été avant de rejoindre le bureau pour un an. Par la suite, j’ai occupé le poste de secrétaire général pendant deux ans avant de devenir président.
C’est une manière pour moi de redonner ce que le club m’a apporté durant mes jeunes années car je n’oublie pas que c’est du bénévolat et que les investissements humains n’ont pas de prix !
De plus, le bénévolat est quelque chose d’extrêmement enrichissant tant au niveau des relations humaines que de la gestion d’un club de tennis. J’apprends quelque chose tous les jours et dans tous les domaines comme la gestion financière, la gestion sportive. , la gestion humaine, le management mais aussi les autres monnaies, les problèmes etc.
C’est super stimulant même si ça demande beaucoup d’énergie et de temps, ce qui n’est pas vraiment compatible avec les exigences liées à l’EDF et au sport de haut niveau mais on se débrouille comme on peut, j’ai un planning digne d’un ministre !
Heureusement, j’ai une petite équipe de direction avec un vice-président, des jeunes et ceux un peu moins jeunes au sommet ! En tout cas, c’est une belle expérience qui m’aidera plus tard, peut-être à ouvrir des portes, qui sait ?
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Votre handicap change-t-il votre façon de diriger ?
Chaque manager travaille à sa manière, en fonction de ce qu’il souhaite transmettre au club, de la direction qu’il souhaite prendre. C’est un travail d’équipe car il est soutenu par les membres du bureau et c’est aussi un travail minutieux pour pouvoir mettre en œuvre des projets, en plus d’assurer la gestion du club.
Concernant moi, je pense que mon atout est l’empathie, qui peut me servir ou me nuire. Je peux comprendre les points de vue de chacun mais il est impossible de satisfaire tout le monde donc parfois il faut trancher.
Sinon de manière générale, mon handicap ne change pas vraiment ma manière d’être manager. Je gère à ma manière et comme je le souhaite pour le Tennis Club d’Urt, c’est-à-dire un club familial et dynamique !
De manière générale, quelles pourraient être les initiatives pour développer davantage le tennis des sourds ?
À mon avis, le plus grand domaine d’amélioration pour le tennis sourd est la communication. Non seulement envers les licenciés mais aussi envers le grand public.
En effet, même si je pratique le tennis depuis dix ans, je n’en avais jamais entendu parler jusqu’à ce que je décide de suivre, de ma propre initiative, une formation de moniteur de tennis. en 2022. J’ai appris lors de cette formation qu’il existe du tennis pour sourds au même titre que le tennis fauteuil que je pensais connaître comme la seule discipline du paratennis, avec une équipe de France, rassemblement annuel organisé à Paris sous forme de Masters. , etc…
Deux ans plus tard, alors que je suis désormais manager, je trouve que la communication est encore insuffisante, d’autant que la surdité est un handicap qui touche un grand nombre de personnes à des degrés divers. Près d’un adulte sur 4 est touché par la surdité en France.
Ensuite, les acteurs de l’enseignement du tennis comme les instructeurs de tennis devraient être sensibilisés et formés dans le cadre de leur formation paratennis. Lorsqu’ils auront des enfants et des adultes atteints de surdité dans les clubs où ils enseignent, ils devront alors faire connaître l’existence de la discipline du tennis des sourds sous l’égide de la FFT.
Il en va de même pour les dirigeants de clubs de tennis. Ils doivent au préalable être informés et sensibilisés afin de pouvoir à leur tour informer les personnes concernées sur la discipline du tennis sourd et malentendant. Par la suite, avec l’accord de ces personnes, on pourrait imaginer un référencement par exemple lors des entrées en licences afin d’intégrer les joueurs dans cette discipline du tennis sourd encore méconnue.