15 janvier 2025. Comme à son habitude, le président Donald Trump s’est fait un devoir de mettre un terme au conflit russo-ukrainien dans les heures qui ont suivi son investiture le 20 janvier. Mais selon l’historien et anthropologue Emmanuel Todd, le président Poutine ne le fera pas. accepter un cessez-le-feu avant de s’être emparé du grand port d’Odessa et de mettre l’Ukraine à genoux… Revenons sur les origines et le déroulement du conflit pour mieux comprendre son issue probable.
La guerre en Ukraine est sur le point d’entrer dans sa quatrième année. Les débuts du conflit remontent au début du XXIe siècle, lorsque les Américains entreprennent de détacher l’Ukraine de la Russie. Le changement s’est produit en 2014 avec la révolution Euromaïdan et le renversement du président pro-russe.
La première décision du nouveau Parlement ukrainien, à caractère symbolique, a été de retirer au russe le statut de deuxième langue officielle. S’ensuit une rébellion dans l’Est russophone ouvrier ainsi qu’en Crimée.
La Russie a profité de cette occasion pour intervenir en Crimée où des soldats russes ont été accueillis en « libérateurs » le 17 mars 2014. Les troupes russes sont alors venues en aide aux séparatistes du Donbass assaillis par l’armée du président Petro Porochenko.
Ce premier conflit a pris fin avec l’accord de Minsk le 11 février 2015 conclu entre les présidents russe et ukrainien ainsi que la chancelière Angela Merkel et le président François Hollande. Il comptait sur une véritable autonomie du Donbass et un référendum sur l’autodétermination de la Crimée, ainsi que sur le retrait des troupes russes et le désarmement des séparatistes.
Mais comme l’a confirmé Angela Merkel, pour l’Occident et l’OTAN, ce n’était qu’une question de « pour donner à l’Ukraine le temps de devenir plus forte. Il était clair pour nous tous que le conflit était gelé et que le problème n’était pas résolu, mais cela a fait gagner un temps précieux à l’Ukraine. »
C’est ainsi que le 24 février 2022, le président russe envahit l’Ukraine dans la crainte qu’elle parvienne un jour à reprendre l’initiative. Il pensait que cent mille hommes suffiraient pour prendre Kiev et chasser le président Zelensky. Son homologue américain Joe Biden y a également cru et a suggéré au président ukrainien de l’exfiltrer avant qu’il ne soit trop tard.
Mais il répondit avec panache : “J’ai besoin de munitions, pas d’un taxi”. Les Occidentaux n’avaient donc d’autre choix que de soutenir les Ukrainiens dans leur ardent combat contre l’envahisseur.
Vers une guerre d’usure
Nous avons emprunté à Rémy Ourdan le résumé suivant des trois années de guerre en Ukraine (Retour sur 2024 : l’Ukraine à l’épreuve de la réalité, « Rapport mondial, édition 2025 »janvier-mars 2025).
La première année de guerre a été, pour l’Ukraine, une année d’unité nationale et de résistance acharnée. Et, sur le champ de bataille, une année de surprises. L’armée moscovite a connu l’échec de ses trois offensives principales, vers les villes de Kiev, Kharkiv et Odessa. Elle a été contrainte de retirer ses troupes de la périphérie de la capitale ukrainienne après cinq semaines de combats.
L’armée russe relance alors son offensive contre la région orientale du Donbass, débutée en même temps que l’annexion de la Crimée en 2014. Elle conquiert en quelques mois les villes de Marioupol, Sievierodonetsk et Lyssytchansk, avant de marquer le pas. . De son côté, l’armée de Kiev a réussi à mener en quelques mois des contre-offensives victorieuses et à libérer Kherson, la seule capitale régionale conquise par l’armée russe.
La deuxième année de guerre fut une année de mise à l’épreuve du temps. L’échec de la contre-offensive ukrainienne d’été, lancée sous la pression de Washington, a convaincu Kiev et ses alliés que la guerre serait longue. L’armée russe, de son côté, poursuit son avance dans le Donbass, couronnée de quelques avancées, comme à Bakhmut.
La troisième année, elle poursuit cette lente offensive en conquérant Avdiïvka (16 février) et en avançant vers Pokrovsk. La seule véritable surprise militaire de l’année a été provoquée par une audacieuse opération ukrainienne contre la Russie (6 août), qui a permis à l’armée de Kiev de s’emparer du territoire de la région de Koursk. La Russie n’avait pas connu d’invasion militaire de son territoire depuis 1945, et la guerre-éclair a créé un choc à Moscou.
En 2024, les Ukrainiens ont vu les espoirs de victoire s’évanouir et ont dû se rendre à l’évidence. Le général Zalujny avait diagnostiqué, avant d’être démis de ses fonctions, l’existence d’un « impasse » militaire, du fait d’un certain rapport de force : l’année n’a fait que confirmer son analyse. De part et d’autre de la ligne de front, personne ne dispose d’assez d’hommes pour envisager des conquêtes décisives.
La troisième année de guerre en Ukraine s’est terminée, sur le champ de bataille comme elle avait commencé, plongeant encore davantage le pays dans l’idée que le conflit s’était, d’un point de vue militaire, transformé en perspective d’une longue guerre. Ni Moscou ni Kiev n’ont en effet réussi, malgré de violents combats et des sacrifices humains considérables, à changer la donne.
L’objectif d’un pays qui retrouverait sa souveraineté et son intégrité territoriale à l’intérieur de ses frontières de 1991 et qui vivrait en paix avec son voisin russe s’éloigne. Et alors que près de 20 % du pays reste sous occupation russe, les soldats des deux camps subissent quotidiennement un carnage sur environ un millier de kilomètres de ligne de front…
“La mobilisation n’a pas eu l’effet escompté, le retour aux frontières de 1991 est compromis et l’élection de Donald Trump rend incertain l’engagement à long terme des Etats-Unis”, conclut le journaliste de Monde.
La guerre dans quelle mesure ?
La raison voudrait que nous revenions aux accords de Minsk, avec une large autonomie pour le Donbass russophone et le rattachement de la Crimée à la Russie. Dans ce cas, l’Ukraine aurait été neutralisée sous garantie internationale, c’est-à-dire « Finnishisé » comme la Finlande après la Seconde Guerre mondiale. Telles sont les conclusions auxquelles sont parvenus les plénipotentiaires russes et ukrainiens à Istanbul (mars-avril 2022) avant que les dirigeants américains ne mettent fin à leurs négociations.
Mais pour Emmanuel Todd, cette sortie de la guerre peut désormais être exclue ! Dans une interview vidéo avec Le Figaro (6 janvier 2025), l’historien plaisante sur les dirigeants américains, décrits comme genre fluideen d’autres termes insaisissable et fluctuant. Chaque président peut ainsi prendre le contrepied de son prédécesseur, y compris dans les engagements internationaux, comme on l’a vu avec l’Iran, Israël et bien sûr l’Ukraine.
Echaudés par trois décennies de confusion, de l’abandon de Gorbatchev par les Anglo-Saxons aux accords de Minsk en passant par l’indépendance unilatérale du Kosovo, les dirigeants russes ne sont plus disposés à s’appuyer sur un engagement international.
« L’un des principes de la politique russe est qu’on ne peut pas faire confiance aux Américains. » assure Todd. «Les Russes savent que si les Américains (ou les Ukrainiens) signent quoi que ce soit, un cessez-le-feu ou autre, cela ne garantira jamais leur sécurité et ne sera qu’un prétexte comme en 2015 avec les accords de Minsk pour réarmer l’Ukraine et reprendre la guerre. » C’est pourquoi ils continueront la guerre jusqu’à la victoire, quoi qu’il arrive.
Qu’est-ce que cela signifie? « Comme les services britanniques ont utilisé Odessa pour envoyer des drones navals à Sébastopol, la capture de l’oblast d’Odessa est une nécessité pour les Russes. Il leur faudra aller jusqu’au Dniepr. Il n’y aura pas de négociation. assure l’historien. «La tâche de Trump sera de gérer la défaite des Etats-Unis face à la Russie. On ne le voit pas encore mais c’est ce que nous allons vivre au cours de l’année. »
D’ardents pacifistes prêts à se battre “jusqu’au dernier Ukrainien”voilà les Européens condamnés à assister en spectateurs impuissants à un conflit qui dépasse leur sphère de compétence. Ni l’Allemagne ni la France, au bord de l’effondrement, ne sont en mesure de soutenir l’Ukraine, sauf par des paroles martiales. Par ailleurs, en Europe centrale et orientale, émergent des mouvements politiques résolument hostiles à une confrontation avec la Russie, que ce soit en Hongrie, en Slovaquie, en Bulgarie et en Roumanie, sans parler de la Moldavie et de la Géorgie.
Gardons-nous de prédire l’issue du conflit. Nous savons seulement que cela obligera les dirigeants européens à réfléchir Realpolitique comme les autres et abandonnent leurs illusions lyriques, à moins qu’ils ne veuillent se perdre.
André Larane