S’informer, échanger, bousculer les certitudes sur des questions qui dérangent… Telle est l’ambition du Forum Européen de Bioéthique à Strasbourg. Au programme de cette quinzième édition, du 29 janvier au 1er février 2025 : la santé mentale.
La sortie après l’incarcération n’est pas toujours vécue comme un heureux événement. C’est ce qu’explique le psychiatre Thomas Fovet, maître de conférences en psychiatrie adulte à l’université de Lille. Ce moment est associé à de nombreux facteurs de stress qui se traduisent par une surmortalité, particulièrement importante dans les premières semaines qui suivent la sortie. Dans ce contexte, la continuité des soins psychiatriques est un enjeu majeur. Afin de limiter ces risques et d’assurer un lien avec les systèmes de droit commun, Thomas Fovet a contribué à la création de la première équipe pluridisciplinaire dédiée, à Lille, le dispositif Emot (équipe mobile de transition). Elle prend en charge d’anciens détenus pour une durée de six mois.
Les personnes souffrant de troubles mentaux doivent-elles se retrouver enfermées dans des prisons « classiques » ?
En tant que soignant, nous avons le sentiment que la vie en détention est extrêmement compliquée pour les personnes atteintes de troubles psychiatriques sévères. Le système actuel n’est pas adapté. Malheureusement, c’est un fait auquel nous devons faire face.
Les problèmes de santé mentale sont-ils différents en prison ?
Les problèmes de santé mentale en prison ne diffèrent pas de ceux existant dans la population générale. Ils sont néanmoins fortement amplifiés par le milieu carcéral et y sont également beaucoup plus fréquents. Par rapport à la population générale de même âge et sexe, on retrouve trois fois plus de troubles psychiatriques et huit fois plus de problèmes d’addictions à l’entrée en détention.
Votre accompagnement comprend un volet social et administratif. Pensiez-vous que cet élément serait si crucial ?
Nous y avions réfléchi car dès le départ ce système proposait une approche globale de la sortie de prison, mais la réalité nous a un peu rattrapé, nous avions sous-estimé certains enjeux. Nous avons réalisé à quel point il était difficile en pratique de sortir d’une prison. De nombreuses procédures sont complexes, d’autant plus lorsqu’on souffre d’un trouble psychiatrique déséquilibré. La proportion de patients qui se trouvent dans une situation très précaire est également plus importante qu’on l’imaginait.
Pour faire face à tout cela, nous avons augmenté le temps des travailleurs sociaux qui travaillent dans l’équipe. C’est un lien essentiel. Des dizaines de soignants peuvent être déployés ; si la personne accompagnée ne bénéficie pas de droits au logement, à l’emploi ou à la sécurité sociale, la prise en charge perd sa perspective de guérison.
Vous constatez une stigmatisation des personnes ayant passé du temps en prison, y compris par le personnel soignant. Y a-t-il un problème de formation ?
Oui, plus le personnel sera formé, plus cette stigmatisation sera réduite. Il faut démontrer qu’un patient qui a été incarcéré n’est pas différent d’un autre patient. C’est également essentiel pour l’attractivité des soins en prison, car il existe de sérieux problèmes de recrutement.
Quels sont les moyens d’améliorer ce système ?
Les pistes de progression sont essentiellement l’accès au logement (voire à l’hébergement d’urgence) et à l’emploi. La première est fondamentale puisque la psychiatrie est organisée par secteur géographique. L’hébergement précaire complique considérablement les suivis. Nous avons également des difficultés à trouver un emploi pendant la période de soutien. Ce sont des éléments essentiels à une prise en charge globale des personnes concernées.