Jean-Marie Le Pen est décédé ce mardi 7 janvier à l’âge de 96 ans. Il s’est progressivement retiré de la vie politique après une très longue carrière durant laquelle il a joué davantage le rôle de tribun que celui d’un véritable aspirant au pouvoir. Agitateur, provocateur, ressuscitant à l’aube des années 70 et 80 une extrême droite que l’on croyait moribonde depuis les heures sombres de la Collaboration, il fut une figure aussi incontestable que controversée de la fin du XXe siècle et du début du 21ème siècle.
Né le 20 juin 1928, ce fils unique d’un pêcheur de Trinité sur Mer et d’une couturière est devenu orphelin très jeune : son père a sauté en août 1942 sur une mine remontée de son chalut, qui a amené le jeune Jean-Marie s’empresse de se présenter comme le fils d’un héros de la Seconde Guerre mondiale… Après des études de droit à Paris, il s’engage dans l’armée pour partir en Indochine comme sous-lieutenant dans les parachutistes de l’armée. Légion étrangère.
Le Front National en 1972
En 1956, il est élu député de Paris grâce à la vague poujadiste (du nom du leader populiste de l’époque, Pierre Poujade). Il demande un congé et quitte l’Assemblée nationale pendant six mois pour retrouver son ancien bataillon qui a débarqué sur le canal de Suez, alors en Algérie. C’est là qu’il sera accusé de torture, une accusation qu’il a toujours niée : si Le Pen reconnaît avoir défendu « l’usage légitime » de la torture, il nie l’avoir pratiquée. En tout cas, sa participation aux combats en Algérie lui vaut la Croix de la Valeur Militaire décernée par le général Massu.
Réunir tous les groupes et allégeances d’extrême droite, « ça a toujours été mon obsession »
La Ve République succède à la Quatrième, le général de Gaulle (dont Jean-Marie Le Pen sera toujours l’un des opposants les plus virulents) revient au pouvoir, mais le jeune para (il n’a que 31 ans) est réélu député ( CNIP) de Paris. Sa participation à une réunion de l’OEA en 1961 lui valut d’être interrogé par la police. Défaite aux législatives de 1962, Le Pen devient l’année suivante la directrice de campagne de Jean-Louis Tixier-Vignancour, célèbre avocat d’extrême droite qui s’apprête à se présenter deux ans plus tard à la première élection présidentielle au suffrage universel. universel.
Durant l’été 65, il organise la « caravane des télévisions » (comme Tixier-Vignancour) qui sillonne les plages. « Cela m’a donné, dit-il, l’expérience de l’organisation d’un mouvement politique ». Mais les deux hommes se séparent une fois le scrutin terminé : Le Pen critique son mentor pour sa « modération ». Il sera désormais et pour toujours son propre patron.
D’abord celle de la maison d’édition de disques qu’il a lancée sous le nom « Histoire et documentation », où se nichent justement les chansons des anciennes Waffen SS. Puis, et surtout, celle du parti qu’il a créé en 1972 : le Front national. Avec le FN, Le Pen tente de rassembler tous les groupes et allégeances d’extrême droite, y compris les pétainistes, les catholiques intégristes et les nostalgiques de l’Algérie française. «Cela a toujours été mon obsession», a-t-il avoué.
35 députés en 1986
Une première candidature à l’élection présidentielle, en 1974, lui permet de se faire connaître, mais il n’obtient que 0,74 % des voix et entame un voyage à travers le désert qui durera près de dix ans. En 1981, il n’obtient même pas les 500 parrainages nécessaires pour se présenter à l’élection présidentielle. Il s’installe dans la cossue villa de Montretout, à Saint-Cloud, dont il a hérité dans des conditions controversées du cimentier Hubert Lambert, décédé en 1976. Cet héritage tombe à point nommé, puisque l’appartement du 15e arrondissement de Paris où il a vécu que la famille Le Pen a été emportée par un attentat à la bombe, revendiqué par un « comité antifa » et qui, heureusement, n’a fait aucune victime.
Le Pen veut-elle lui éloigner le calice du pouvoir qu’il craint au fond ? Ou dit-il vraiment ce qu’il pense à voix haute ?
Aux élections municipales de 1983, c’est le début d’une irrésistible ascension. Le Pen a obtenu 11,3% des voix dans le 20e arrondissement de Paris. A Dreux, la droite locale s’est alliée à son premier lieutenant Jean-Pierre Stirbois. Le président du FN était invité dans l’émission politique phare de l’époque, « L’Heure de Vérité ». Les membres affluent. Aux élections européennes de juin 1984, la liste FN recueille 11 % des voix, soit plus que celle du Parti communiste !
C’est le moment où le parti développe la thèse de la « préférence nationale » pour mettre fin aux « pompes à immigration ». La représentation proportionnelle de 1986, souhaitée par François Mitterrand, permet au FN de disposer pour la première fois d’un groupe à l’Assemblée nationale : 35 députés, dont certains finissent par partir, comme tant d’autres plus tard, le parti ayant été régulièrement soumis à exclusions et scissions, la plus retentissante en 1999 avec le numéro 2 Bruno Mégret qui crée un nouveau parti et entraîne avec lui une majorité de cadres. Mais Le Pen sortira victorieuse de ce « pututsch ».
Exclu de son parti
C’est aussi le temps des dérapages : « crématorium Durafour », les chambres à gaz « point de détail de l’Histoire »… Le Pen veut-elle lui éloigner le calice du pouvoir qu’il craint au fond ? Ou dit-il vraiment ce qu’il pense à voix haute ? Lors de l’élection présidentielle de 1988, il fait à nouveau sensation en obtenant 14,4 % des suffrages. D’une présidentielle à l’autre, il grappille un point, jusqu’à 16,2% qui lui permet d’accéder au second tour le 21 avril 2002. On le sent pourtant impuissant face à ce succès qu’il semble ignorer. ce qu’il faut faire. «Je n’étais pas préparé», admet-il. Je ne suis pas assez maniable pour accéder au pouvoir, ni assez intelligent.»
L’occasion ne se présentera plus. Cinq ans plus tard, Nicolas Sarkozy parvient à « siphonner » les voix du FN et Le Pen chute à 10,4 %. En 2011, à l’âge de 83 ans, il confie la présidence du parti à sa troisième fille, Marine. Cela ne cessera de « dé-diaboliser » le FN au point de changer de nom, alors que « Le Menhir » semble prendre un malin plaisir à multiplier les provocations. En 2015, il est même exclu du parti qu’il a créé et dont il reste « président d’honneur ». Il a néanmoins soutenu sa fille lors de la présidentielle de 2022, malgré sa sympathie pour Eric Zemmour. Pour les Le Pen, famille et politique restent indissolublement liées.