Il sera enterré par une famille politique aux portes du pouvoir. Jean-Marie Le Pen, décédé mardi 7 janvier à l’âge de 96 ans, aura longtemps survécu à son éviction du Front national par sa propre fille, puis au changement de nom du parti auquel son destin était étroitement lié. Dans la société française autant que dans le monde politique, parce qu’il a su – un temps – rallier à sa flamme la majorité des chapelles de l’extrême droite, il laisse un héritage empoisonné.
Né en 1928 à La Trinité-sur-Mer (Morbihan), Jean, Louis, Marie Le Pen fut « pupille de la nation » en 1942, après le naufrage de son père, pêcheur, à bord d’un bateau qui heurta une mine. . Premier écueil, premier mensonge : la famille Le Pen prétend faire graver le nom de Jean sur le monument aux morts du village. « Mort pour la France » ?
D’après le témoignage d’un marin survivant du naufrage, publié dans le canard enchaîné en 1992 et corroboré en 1994 par le livre Le Pende Gilles Bresson et Christian Lionet (Seuil), il a bénéficié d’un « ausweis » pour approvisionner Le Rouzic, un restaurant réquisitionné par les Allemands, et se serait jeté sur une mine française ou anglaise. Quoi qu’il en soit, tout au long de sa vie, Le Pen utilisera cette légende, et d’autres qu’il s’est forgées, au service de son image de Français moralement et politiquement honnête. Ce que niera sa carrière politique.
Etude du droit et soutien à l’empire colonial
Après des études secondaires mouvementées, un baccalauréat en poche, il entre à la faculté de droit de Paris en 1948, où il croise la route de l’Action française, et représente le « corpo » du droit au sein de la « grande » Unef au début des années 1950. Très vite, il opte pour l’action politique, sans encore adhérer à un parti. Après ses études (licence de droit et licence d’avocat), il effectue six mois de préparation militaire à l’école d’application de l’infanterie de Saint-Maixent (Deux-Sèvres) avant de s’engager en Indochine. Il y arrive en 1954, au 1est bataillon étranger de parachutistes, au grade de sous-lieutenant. De retour en France en 1955, il est élu président des Jeunes Indépendants de Paris. Commence alors une longue carrière politique dans les différentes écuries de l’extrême droite.
Le Pen a commencé avec les « marchands de saucissons » de l’Union pour la défense des commerçants et artisans (UDCA) de Pierre Poujade, qui l’ont fait élire au Palais-Bourbon en 1956 sur les listes Union et Fraternité françaises (UFF). Il ajoute ensuite son deuxième prénom Marie au premier pour « séduire l’électorat catholique ». Entre 1956 et 1962, il navigue entre l’UDCA, le Mouvement national et civique d’action sociale, l’UFF, fonde le Front national des combattants (dissous en 1961), le Front national pour l’Algérie française (dissous également en 1960). Une loyauté envers l’empire colonial qui ne se dément jamais : en 1961, il applaudit l’OEA et le putschiste général Salan dans ses meetings. Il brandit l’étendard de l’Algérie française pour redorer l’image patriotique d’une extrême droite française qui s’est vautrée dans la fange collaborationniste.
« Le Pen et la torture »
Déjà, en 1956, il avait obtenu de l’Assemblée nationale le retour dans son ancienne unité, qui avait quitté l’Indochine pour l’Algérie. Ses propres paroles, retranscrites au Journal Officiel du 12 juin 1957, donnent des frissons : « J’étais officier des renseignements à Alger. (…) A ce titre je dois être aux yeux d’un certain nombre de mes collègues ce que pourrait être le mélange d’un officier SS et d’un agent de la Gestapo. J’ai fait ce travail. » L’historien Fabrice Riceputi, qui a consacré une enquête sur son passé de bourreau en Algérie (Le Pen et la tortureéditions du Passager clandestin), a identifié “plusieurs dizaines de victimes de tortures, mais aussi d’exécutions sommaires, durant les deux mois et demi de (sa) présence effective à Alger”.
Longtemps, Jean-Marie Le Pen a joué à cache-cache avec la vérité sur cette période. Même dans ses mémoires publiées en février 2018, où il affirme que “oui, l’armée française a bien pratiqué la question pour obtenir des renseignements lors de la bataille d’Alger”croyant que “les moyens qu’elle a utilisés étaient les moins violents possibles”. “Cela comprenait les coups, le gegene et le bain, mais aucune mutilation, rien qui affecte l’intégrité physique”il a plâtré. Falsification de l’histoire – ce ne sera pas la seule : l’occupation allemande en France, selon lui, n’a pas été «pas particulièrement inhumain» – contredit par de nombreuses victimes au tribunal.
Antisémite et homophobe
L’ancien leader du Front national était un habitué des prétoires. Son parcours judiciaire est marqué par de multiples expressions de haine. En 1958, il interroge Pierre Mendès-France, coupable, estime-t-il, d’avoir ” Laisse tomber ” La France en Algérie : “M. Mendès France, vous cristallisez dans votre caractère un certain nombre de répulsions patriotiques, presque physiques. »
Sa première explosion antisémite officielle ne sera pas la dernière. Tout au long de sa vie politique, il a flirté avec cette obsession. Le jeu de mots « Crématorium Durafour » en 1988, comme le reclassement des chambres à gaz dans les camps d’extermination nazis en “détail de l’histoire” l’année précédente (il recommencera en 1997, 2008 et 2009) ou le “lot” se débarrasser des artistes prétendument juifs opposés au FN (2014) lui vaut de nombreuses convocations.
En mars 2018, sous couvert d’indifférence, c’est son exécration envers les homosexuels qu’il laisse s’exprimer : « Tant que les homosexuels ne mettent pas la main dans ma braguette ou dans celle de mes petits-enfants, et qu’ils ne se promènent pas avec une plume dans le cul sur les Champs-Élysées, je m’en fiche »il a roté dans le magazine gay Amical. Ce qui lui vaut une énième comparution devant le tribunal pour cette comparaison entre homosexualité et pédophilie. Mais de toutes les haines, celle qu’il vouait aux étrangers arrivant ou résidant en France le consumait plus qu’aucune autre. Il en a fait le combat de sa vie.
Nationaliste et poujadiste
Après avoir rompu avec Jean-Louis Tixier-Vignancour, avocat et ancien directeur de l’information sous Vichy avec lequel il participe à l’élection présidentielle de 1965, Jean-Marie Le Pen est sommé par l’Ordre Nouveau de reconstruire l’extrême droite et de la sortir de la scène politique. marginalité là où elle languit. Ses dirigeants espéraient le traiter comme un « comparse électoral » sans pouvoir de décision. Ils disparaîtront au profit de l’entreprise familiale que Le Pen dirigera pendant 40 ans.
Aggloméré de groupes d’extrême droite qui travaillaient jusqu’ici en parallèle, le Front National, qu’il a fondé en 1972, en a fait une synthèse, sur le modèle du Movimento sociale Italiano (MSI, dont le FN a adapté pour son logo la flamme tricolore ), entre le courant nationaliste qu’il représentait, « composé majoritairement d’étudiants de culture maurrasienne » et « le courant poujadiste et défense de l’Algérie française, plus populaire et provinciale »écrivait en 1997 le spécialiste de l’extrême droite Jean-Yves Camus dans Le Front National, histoire et analyses (éditions Laurens).
Dans les années 1970, le parti était considéré comme folklorique : il ne représentait pas de danger – même si Le Pen lui-même fut visé par un attentat en 1976 et que le numéro deux du parti, François Duprat, fut tué dans l’explosion de sa voiture. Sur le plan électoral du moins : 2,3 % aux législatives de 1973, 0,74 % à la présidentielle de 1974, quelques conseillers municipaux sur les listes d’union RPR-UDF en 1977. Mais un corpus idéologique s’est forgé autour du triptyque immigration chômage-précarité. Le FN écrase le communisme, « rejette la lutte des classes » pour le remplacer par la lutte de « courses » : « La France et les Français d’abord » est devenu son slogan en 1973.
Anticommunisme et gros argent
Les étrangers et le communisme deviennent ses deux ennemis irréductibles, et son combat politique se structure autour de cette adversité. En 1984, dans l’Heure de Vérité, sur Antenne 2, il réalise un coup médiatique en se levant, en pleine émission, pour observer une minute de silence. « en mémoire des dizaines de millions d’hommes tombés dans le monde sous la dictature communiste ». En 1980, il ne cachait pas son atlantisme et son admiration pour Ronald Reagan, farouche anticommuniste dont il épousait les positions ultralibérales. En 2002 encore, au soir de son succès au premier tour de l’élection présidentielle, il retient comme principal enseignement du scrutin, avant sa propre qualification historique au second tour et l’élimination du PS, l’échec du PCF. , se félicitant publiquement de « la disparition (sic) du Parti communiste ».
Dans les années 1980, un changement s’amorce. Le Pen a fait de son parti une entreprise. Politique bien sûr, en travaillant à fédérer les droites, aidées par des porte-parole inattendus. En 1983, Philippe Tesson, alors patron de Parisien quotidiennementse félicite de la victoire à Dreux (Eure-et-Loir), aux élections municipales, d’une coalition RPR-FN formée par « des hommes de droite qui ne se différencient que par leur degré de radicalisme ou de modération ». Les élections régionales de 1986 et 1998, la compétition entre identitaires et conservateurs pour le leadership à droite sont des répliques de ce « coup de tonnerre venu de Dreux ».
Mais le FN, c’est aussi une histoire de gros sous. Le Pen a hérité dans des conditions douteuses de la fortune du cimentier Lambert, que les militants d’extrême droite croyaient léguée à « la cause ». Cet argent lui a permis d’héberger sa famille au manoir de Montretout, à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), mais aussi de placer quelques « petits nègres » en Suisse (nom de code pour les versements de 10 000 anciens francs). Ce qui lui posera, comme plus tard avec des soupçons d’enrichissement lors de ses mandats de député européen, de nouveaux problèmes juridiques et fiscaux.
« Présenté comme le leader apparu d’un coup de baguette magique »
Dans son livre Les affaires de M. Le Penpublié en 1987 (éditions Messidor), le journaliste de Humanité Jean Chatain a prévenu : « Le Pen a atteint son objectif, (…) l’affiliation à la vieille extrême droite – des ligues fascistes d’avant-guerre à l’OEA, de Vichy au poujadisme – passe au second plan ; Quant à lui, il se retrouve paré des attributs de la virginité politique et présenté comme le leader apparu d’un coup de baguette magique, rompant avec les courants d’idées structurant l’opinion française.
L’opération de diabolisation a commencé bien avant que le mot ne soit à la mode. Cependant, ce n’est pas lui qui achèvera ce processus. Car même si Jean-Marie Le Pen a accédé, couronnement de sa carrière, au second tour de l’élection présidentielle face à Jacques Chirac le 21 avril 2002 avec 16,86 % des suffrages exprimés, c’est sa fille qui entrevoit la possibilité de conquérir pouvoir. Il s’accroche cependant, ne lui cédant sa place qu’en 2011, au congrès FN de Tours. Mais en 2007, il doit subir une nouvelle élection présidentielle, celle-ci catastrophique (10,44%, score faible en partie dû au siphonnage de ses voix par Nicolas Sarkozy).
Les relations se tendent alors avec sa fille, qui s’entoure d’anciens partisans de Bruno Mégret, déclenchant en 1998 une scission qui laisse le parti exsangue, et que Le Pen père n’a jamais digéré. Pour riposter contre la façade du « nouveau Front national », opération complétée par le changement de nom en « Rassemblement national », elle a dû condamner – du bout des lèvres – les éclats de papa. Au point de le démettre de sa présidence d’honneur du FN.
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