Le système monétaire international : quelles perspectives pour le dollar ?

Le système monétaire international : quelles perspectives pour le dollar ?
Le système monétaire international : quelles perspectives pour le dollar ?

Charbel Cordahi, Grenoble Ecole de Management (GEM)

Le système monétaire international, dominé par le dollar, fait l’objet d’inquiétudes croissantes. D’un côté, les nouvelles puissances cherchent à s’affranchir du billet vert ; d’un autre côté, la prépondérance du dollar dans la facturation du commerce mondial et l’émission de la dette dépasse de loin la part des États-Unis dans l’économie et le commerce internationaux.

Les facteurs expliquant la prédominance du dollar sont bien connus : les États-Unis sont une grande économie ouverte au commerce et aux capitaux. Ils disposent de vastes marchés financiers, constituent une superpuissance militaire et politique et leurs universités produisent, entre autres, d’excellents diplômés et travaux de recherche.

Depuis que le dollar a remplacé la livre sterling comme monnaie de réserve internationale après la Première Guerre mondiale, il n’a cessé de consolider son statut. Cette domination découle non seulement du rôle international des États-Unis, mais aussi de l’absence d’alternatives suffisantes en matière de titres publics de première qualité, que les investisseurs peuvent détenir comme actifs sûrs et que les banques centrales peuvent détenir comme échange de réserves.

Même lorsque les crises proviennent des États-Unis, l’importance du dollar ne diminue pas. Au contraire, elle attire les capitaux étrangers en quête de sécurité et répond, à travers des accords de swap de devises, aux besoins des banques centrales des pays partenaires des Etats-Unis, qui parviennent ainsi à fournir des dollars à leurs systèmes bancaires.

Des défis considérables

À l’échelle internationale, la rivalité avec le dollar s’est intensifiée depuis les années 2000 en raison de plusieurs facteurs. Tout d’abord, en raison du renforcement de la structure institutionnelle de l’euro et de la volonté des autorités monétaires européennes de soutenir par tous les moyens la monnaie unique.

Ensuite, par le rôle croissant du renminbi chinois, de plus en plus utilisé pour facturer le commerce mondial. Cette évolution est favorisée par la création de mécanismes de swap en renminbi et par l’augmentation du poids de la monnaie chinoise dans le panier de droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI.

Un troisième élément est l’essor des monnaies numériques, qui pourraient inciter les agents économiques à réduire leur recours au dollar pour leurs réserves, ainsi que l’apparition de nouveaux systèmes de paiement, facilitant les échanges grâce à leurs faibles coûts de transaction.

Le prix de l’électricité ?

À leur tour, les accords de swap entre banques centrales se multiplient, réduisant ainsi la dépendance à l’égard du dollar américain dans les échanges financiers. A cela s’ajoute la recherche de rendements plus élevés par les banques centrales, qui allouent une part croissante de leurs investissements vers des devises offrant des rendements plus attractifs que celles libellées en dollar.

Un autre facteur réside dans les sanctions économiques imposées par les États-Unis à certains pays, qui poussent d’autres pays à diversifier leurs réserves en dehors du dollar, de peur d’être visés par des mesures similaires à l’avenir. Certains ont même proposé la création d’une monnaie pour les « pays du Sud » comme alternative au dollar (même si cette idée a peu de chances d’aboutir en raison de l’hétérogénéité des contextes économiques, sociaux et politiques de ces pays).

Un sixième facteur tient à l’instabilité interne des États-Unis et aux débats récurrents sur le plafond de la dette publique, qui pourraient miner la confiance des investisseurs et des gouvernements étrangers, les incitant à réduire leurs actifs en dollars. Enfin, l’augmentation des transactions sur matières premières libellées dans des devises autres que le dollar pourrait à son tour intensifier la concurrence avec la monnaie américaine.

Le paysage actuel

La part des réserves de change en dollars détenues par les banques centrales continue de diminuer. À la fin des années 1990, le dollar représentait 71 % des réserves de change détenues par les banques centrales. Selon le FMI, au deuxième trimestre 2024, cette proportion est tombée à 58,2%, suivi par l’euro (19,8%). Toutefois, cette baisse de la part du dollar dans les réserves de change n’a profité que partiellement au renminbi, un quart seulement de ce déplacement étant allé vers la monnaie chinoise.

Une grande partie des réserves en dollars est investie dans des obligations du gouvernement américain, les investisseurs étrangers détenant environ un tiers des titres du Trésor en circulation, soit une hausse par rapport à il y a près de cinq ans. Ce chiffre doit néanmoins être interprété avec prudence : en valeur, la baisse vient presque exclusivement de la réduction des encours détenus par la Chine, qui ont chuté de 548 milliards de dollars en 10 ans. Cette baisse a été compensée par une hausse des investissements en provenance d’autres pays, notamment du Royaume-Uni, qui a augmenté ses investissements de 573 milliards au cours de la même période.

Qui détient les billets de 100 dollars ?

Une autre façon de mesurer l’importance du dollar est d’examiner les avoirs en billets de banque. Les agents étrangers détiennent environ 50 % de la valeur des billets (papier-monnaie) émis par la Réserve fédérale, avec 60 % des billets en circulation et 80 % des coupures de 100 $ stockées en dehors des États-Unis.

L’influence du dollar est également visible à travers son rôle dans la facturation du commerce international. Selon la Réserve fédérale, sur la période 1999-2019, le dollar était la monnaie de facturation de 96 % des factures dans les Amériques, 74 % des factures dans la région Asie-Pacifique et 79 % des factures dans le reste du monde. . monde. La seule exception est l’Europe, où l’euro domine dans 66 % des cas.

Alors que les États-Unis ne représentent que 9 % du commerce mondial, le dollar reste la monnaie la plus utilisée pour les paiements transfrontaliers via le réseau Swift, avec une part supérieure à 45 %.

Le roi des échanges

Au niveau des banques internationales, environ 60 % des prêts et dépôts à l’étranger sont libellés en dollars. Par ailleurs, 70 % des obligations émises en devises étrangères sont en dollars. Cette proportion est restée stable au cours de la dernière décennie.

Le dollar joue également un rôle important dans les transactions de change. Selon la Banque des règlements internationaux (BRI), le dollar était impliqué dans environ 88 % des échanges de devises dans le monde en avril 2022. Cette part est restée stable au cours des 20 dernières années.

Même si le rôle du dollar est en déclin relatif et que le système monétaire international évolue vers la multipolarité, il est très probable que le dollar maintienne, au moins jusqu’en 2045, sa position dominante. Entre-temps, d’autres monnaies deviendront de plus en plus importantes, mais aucune ne remplacera le dollar, qui continuera de jouer un rôle majeur dans les échanges et les prix, ainsi que comme valeur refuge.

À long terme, les choses pourraient changer. L’évolution vers un monde plus multipolaire sur le plan géopolitique, la montée en puissance de la Chine, la poursuite de l’intégration économique au sein de la zone euro, le renforcement des marchés financiers dans les pays du groupe BRICS, l’augmentation de la dette des États-Unis, ainsi que ainsi que la montée en puissance des monnaies numériques, sont autant de facteurs qui pourraient réduire l’influence du dollar et affaiblir son statut actuel.

Charbel Cordahi, professeur de finance et d’économie, Grenoble Ecole de Management (GEM)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous une licence Creative Commons. Lisez l’article original.

 
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