Frédéric Côté, directeur général de Nergica, un centre de recherche et développement en énergies renouvelables basé à Gaspé, s’est ainsi exprimé, un mois avant l’éventuelle imposition de tarifs douaniers, comme le suggérait depuis le 26 novembre le candidat à la présidence des États-Unis, Donald Trump.
Hydro-Québec a lancé le 30 mai un plan énergétique visant à doter la province de parcs éoliens d’une capacité totale de 10 000 mégawatts d’ici 2035. Comme l’installation de chaque mégawatt nécessite généralement un investissement d’environ 3 millions de dollars (M$), il faudra il faudra au total environ 30 milliards (G$) pour construire ces parcs éoliens.
Toutefois, le gouvernement de la Coalition Avenir Québec et Hydro-Québec n’ont pas accompagné cette stratégie d’une obligation de contenu minimum de la part des fabricants œuvrant sur le territoire ciblé. Pour Frédéric Côté, il faut assurer ce contenu québécois.
« C’est le message que nous avons toujours porté. Il faut une stratégie industrielle autour de notre stratégie énergétique. Cela implique-t-il un pourcentage de contenu ? Nous ne savons pas si cela s’applique. La stratégie d’Hydro-Québec offre un énorme potentiel. On le voit dans la construction, où Hydro-Québec s’assure qu’il y aura suffisamment de travailleurs pour construire ces parcs éoliens. Nous voulons également le voir dans l’industrie », déclare le directeur de Nergica.
Frédéric Côté estime que le pourcentage de contenu québécois « serait une bonne idée, oui », mais il faut regarder d’autres moyens qui pourraient avoir un effet bénéfique sur le secteur québécois de la fabrication de composants et de services aux producteurs d’énergie.
“Sur [Hydro-Québec] peut offrir un accompagnement, une formation ou encore provenir d’une stratégie de financement, d’Investissement Québec par exemple. On voit alors qu’Hydro-Québec répond à ses besoins (de modernisation) dans ses centrales hydroélectriques. L’important est de faire en sorte que nous soyons « agressifs » dans la mesure où ce que nous nous apprêtons à déployer, à l’échelle internationale, est majeur. Et cela suffit pour nous permettre d’avoir des attentes. La prévisibilité et le volume sont les clés du développement », analyse M. Côté.
Jusqu’à récemment, les fabricants de composantes d’éoliennes et les entrepreneurs en construction de parcs éoliens du Québec ne pouvaient pas compter sur cette prévisibilité et encore moins sur le volume. En 2022-2023, le Québec sort d’une période de six ans durant laquelle le développement de ces parcs a été réduit à quasiment rien.
« Là, on a de la prévisibilité, avec un horizon 2035, et on a du volume avec 10 000 MW de nouveaux projets. De plus, 4 000 MW de rééquipement sont à prévoir pour les parcs éoliens existants, qui arrivent progressivement à leur échéance de renouvellement », souligne Frédéric Côté.
Il rappelle qu’en ajoutant certains projets privés, comme celui de la firme Rio Tinto, entre 15 000 et 16 000 MW d’électricité d’origine éolienne seront en développement ou en voie de modernisation au cours de la prochaine décennie au Québec.
Impact variable de la crise
Le passage à vide depuis six ans sans annonce d’un nouveau projet éolien a eu des effets variés sur la filiale québécoise de production de composants. L’usine de production de tours Enercon, à Matane, a fermé ses portes, et celle de Marmen, également à Matane, a vu ses activités fortement réduites entre 2021 et 2024, avant une reprise depuis l’été.
À Gaspé, l’usine de production de pales LM Wind Power a connu une croissance considérable entre 2016 et 2024, notamment via un gigantesque contrat d’exportation vers le sud des États-Unis, puis des contrats de fourniture de pales géantes pour des parcs éoliens en milieu marin sur la côte est américaine.
Cette évolution ne produisit cependant pas les résultats escomptés et LM reprit ses exportations vers le sud des Etats-Unis en équipant les flottes terrestres. Ces contrats fourniraient du travail à l’usine de Gaspé et à ses 450 employés pour une durée de 18 mois. GE (General Electric, qui contrôle LM Wind Power) reste discret à ce propos.
Quant à Marmen, une entreprise dont le siège social est en Mauricie, la période creuse de 2016 à 2022 et le protectionnisme américain ont convaincu sa direction d’implanter une usine de fabrication de tours aux États-Unis, dans le Dakota du Nord.
Il n’existe actuellement que deux usines de fabrication de pales éoliennes en Amérique du Nord, et LM les possède toutes deux, l’autre étant située dans le Dakota du Sud.
Cette rareté ne garantit-elle pas du travail à l’usine LM de Gaspé, dans un contexte d’approvisionnement des parcs éoliens québécois d’au moins 10 000 MW d’ici 2035 ?
«Ça peut nous être bénéfique, mais on voit que des projets peuvent se faire même si la lame ne vient pas du Québec. Nous avons vu ici des projets réalisés avec des pales venues d’Europe. La concurrence est mondiale», souligne Frédéric Côté.
Et Donald Trump dans tout ça ?
L’industrie éolienne s’inquiète donc des tarifs douaniers que Donald Trump menace d’imposer au lendemain de sa prestation de serment, le 20 janvier 2025.
« Avec ce qui se passe aux États-Unis, de manière générale, c’est toute l’économie canadienne, y compris le secteur éolien, qui retient son souffle. On voit bien qu’il ne s’agit pas d’une question strictement commerciale. Le président élu souhaite négocier sur d’autres sujets que le commerce. Cependant, il existe toujours un cadre de transition énergétique et il est vecteur de développement. C’est la façon dont nous effectuons cette transition qui nécessite que nous soyons attentifs. Les plans changent. Il y a encore une demande importante au Canada», explique Frédéric Côté.
« Jusqu’à récemment, on s’inquiétait : les États-Unis vont-ils siphonner notre capacité de production ? Il faut aussi reconnaître que les États ont leur mot à dire dans la transition énergétique. Ce n’est pas tout ce qui vient du gouvernement fédéral américain [en matière de décisions]. L’économie américaine a besoin d’électricité et l’économie canadienne a également besoin d’électricité. Au-delà des émissions de GES [gaz à effet de serre]le volet « renouvelable » est compétitif en termes de coût », ajoute M. Côté.
Plusieurs économistes s’accordent sur le fait qu’une imposition systématique de droits de douane de 25 % sur les biens importés par les Américains constituerait un facteur important d’inflation aux Etats-Unis, alors que Donald Trump se présente comme un as dans la lutte contre la hausse des prix.
« Nous le voyons lors du dernier mandat de Trump, des droits de douane ont été imposés sur l’aluminium et les fabricants américains de canettes en aluminium se sont prononcés contre cette mesure. Les tarifs ont été annulés. Il faut voir tout cela dans un cadre de négociations et des interlocuteurs qui jouent avec les rapports de force, lorsqu’ils parlent de leurs orientations économiques. Nous pouvons rechercher des accords qui peuvent être conclus dans l’intérêt de tous. Il y aura des turbulences», mentionne le directeur de Nergica.
« Nous constatons une volonté de rapprocher la production manufacturière, dans le sillage de la pandémie. On assiste à une volonté de « réindustrialisation ». L’objectif de M. Trump est de cibler beaucoup la Chine […] C’est à nous, partenaires, de démontrer notre capacité à faire comprendre que nous sommes importants », ajoute-t-il.
Bien que les tours et les pales éoliennes soient régulièrement abordées dans la discussion sur les composants, le Québec a su diversifier ses compétences en énergie éolienne et compte des entreprises bien établies dans plusieurs disciplines. Par exemple, il y a Pesca, pour les études d’impact environnemental, Technostrobe, pour les balises lumineuses aériennes permettant de localiser les tours éoliennes la nuit, et le Groupe Ohmega, qui surveille les paramètres des parcs éoliens situés en Californie depuis Gaspé. et Hawaï.
« L’idée, c’est vraiment de voir comment se diversifier. Au Québec, nous avons encore vécu une période de six ans sans demande intérieure. Malgré cela, nous avons constaté une bonne diversification. Ce qui nous arrive, c’est que l’élection de Donald Trump nous apporte un changement, mais un changement qui n’est pas clair. Il faut voir comment adapter une stratégie commerciale lorsque le développement est incertain. L’incertitude n’est jamais bonne pour les affaires », conclut Frédéric Côté.