Le 17 juin 2024, l’historienne Ludivine Bantigny et d’autres intellectuels affirment dans un communiqué long texte de défense par Jean-Luc Mélenchon que les accusations d’antisémitisme portées contre lui n’étaient qu’une infâme disqualification. Les historiens Tal Bruttmann et Christophe Tarricone y répondent.
Une escouade vole donc à la rescousse pour dénoncer le « fameux » soupçon d’antisémitisme qui pèse sur LFI et se lance dans une entreprise de blanchiment basée sur un principe simple, bougez-vous, il n’y a rien à voir. Leur chronique précise que « ce sont plusieurs propos tenus par Jean-Luc Mélenchon » qui mériteraient des critiques sur le sujet. Il faut ici féliciter les auteurs qui, ne voulant sans doute pas faire paraître interminable cette tribune déjà très longue, réduisent les remarques qui poseraient problème à simplement « plusieurs ». Car ils sont en fait innombrables, auxquels pour faire bonne mesure on pourrait en ajouter tout autant (ce qui est beaucoup) venant des cadres de LFI, souvent de sa garde rapprochée. D’ailleurs, ce ne sont pas seulement les mots, il y a aussi les écrits qui posent problème. De quoi constituer un véritable petit livre rouge (marron).
Ainsi, seules quelques remarques sont évoquées, et balayées par des explications indulgentes. Laissons le guide de LFI expliquer l’extrémisme de Zemmour par ses origines (« on ne change rien à la tradition, la créolisation, mon dieu, quelle horreur… Ce sont toutes des traditions très liées au judaïsme. Ça a du mérite, ça lui a permis de survivre dans l’histoire ») ne pose aucun problème : « Dire que l’histoire du judaïsme est en partie chargée d’un rapport de fidélité aux traditions, de transmission, de perpétuation d’une culture pour survivre parfois dans les pires conditions imaginables de survie ». l’adversité et la persécution, c’est indéniable », convoquant Yosef H. Yerushalmi. Cette explication permet-elle également de définir Blum, Mendès-France et quelques autres ? Dire que l’histoire de telle ou telle autre religion est en partie imprégnée d’un rapport de fidélité aux traditions contribue-t-il également à expliquer le radicalisme d’autres dirigeants politiques appartenant à d’autres religions que juives ? D’ailleurs, jusqu’à preuve du contraire, Zemmour ne revendique pas l’application de la loi de Moïse comme la clé de son programme raciste, xénophobe et antisémite, et son judaïsme n’y est pour rien. À moins qu’il n’existe des traits propres aux juifs du fait de leur fidélité aux traditions qui les rendraient plus particulièrement susceptibles d’être racistes ?
Il faut dire que Mélenchon aime souligner les origines juives des uns ou des autres, comme récemment avec le sujet de Jérôme Guedj. En 2013, alors qu’il n’était pas encore le grand mamamouchi de LFI, il s’en était pris à Pierre Moscovici, à propos duquel il considérait qu’il avait le « comportement de quelqu’un qui ne pense pas français ». La sortie ne diffère ni de l’attaque de Vallat contre Léon Blum en 1936, ni de celles de Poujade contre Pierre Mendès-France. Face aux critiques pointant l’antisémitisme, Mélenchon a répondu : « Je ne connaissais pas la religion de Pierre Moscovici et je n’ai pas l’intention d’en tenir compte à l’avenir, pas plus que dans le passé. » Nous devons savoir pourquoi cela a soudainement changé et tenir compte de la religion des gens. Un changement d’avis soudain ?
Lorsque Mélenchon déclarait en juillet 2020 « Je ne sais pas si Jésus était sur la croix, je sais qui l’y a mis, il paraît que c’étaient ses propres compatriotes » (les habitants de la Judée étaient juifs, s’il faut préciser – la Judée, la existence dont Danielle Obono ignore visiblement, à moins qu’elle ait sciemment choisi de dénaturaliser Jésus, ce qui, on l’avouera, est très peu à gauche), de quoi s’agit-il ? L’un des signataires de la tribune a proclamé que Jean-Luc Mélenchon avait « une culture sacrée de l’histoire romaine ». Quelle culture sacrée serait insuffisante pour qu’il sache que ce ne sont pas les Juifs qui ont crucifié Jésus ? Ou bien est-ce à cause – la jurisprudence permettant d’expliquer Zemmour par sa religion n’a aucune raison de ne pas pouvoir s’appliquer aux autres – d’un catholicisme traditionaliste rejetant Vatican II que Jean-Luc Mélenchon considère les juifs comme des déicides ?
Bref, affirment les auteurs de la chronique, cette sortie sur Zemmour “est une erreur et d’ailleurs Jean-Luc Mélenchon l’a immédiatement reconnu en expliquant qu’il s’était “mal exprimé””. Oui, Mélenchon est devenu adepte du rétropédalage, sans doute pour devenir lieutenant de pédalo, le poste de capitaine lui échappant. Mais pour y arriver, ses partisans doivent venir à la rescousse. On pourrait s’étonner que tous ces braves gens s’offusquent soudain que LFI soit accusée d’antisémitisme, alors que les débordements des uns et des autres qu’ils défendent s’étalent sur des années, et cet antisémitisme a été régulièrement pointé du doigt. Sans doute la perspective des prochaines élections législatives n’est-elle pas étrangère à cette soudaine tentative de blanchiment.
Qu’il n’y ait aucun doute, les signataires venus défendre LFI ont une explication exonératoire pour chacune des sorties jouant avec l’antisémitisme. Antisémitisme résiduel ? Nouvel exercice de rétropédalage de Mélenchon – les cuisses peuvent être travaillées. Gageons que comme l’ont fait les têtes d’affiche de LFI, les signataires nous expliqueront que nous l’avons mal compris, qu’ils ont utilisé le résiduel dans le sens de significatif, de persistant. Soit.
Sauf que la phrase dans son intégralité est : « Car contrairement à ce que dit la propagande officielle, l’antisémitisme reste résiduel en France ». Et Mélenchon a clairement formulé un déni de l’explosion antisémite en France. Il est quand même remarquable que cela soit si cohérent que le fondateur de LFI ait du mal à trouver les mots justes lorsqu’il s’agit de parler des juifs ou de l’antisémitisme. Peut-être s’agit-il d’un coup de « rayon paralysant » qu’il a lui-même breveté, pour deux raisons ? Car Mélenchon ne s’est pas contenté de théoriser cette notion floue. Il l’a essayé il y a quelques années, quand il s’agissait de discréditer les opposants de Poutine, en traitant Boris Nemtsov d’antisémite. Contredit par un journaliste, il affirmait alors penser à Alexeï Navalny. Chacun peut apprécier contre qui Mélenchon a utilisé l’accusation d’antisémitisme, et dans quel but. Mélenchon ne s’étant pas abstenu d’utiliser cette accusation pour tenter de disqualifier les deux principaux adversaires de son camarade moscovite, il n’y a aucune raison pour qu’il s’abstienne par la suite d’accuser d’autres d’avoir des pratiques identiques. au sien. Questions aux pétitionnaires rejetant les accusations d’antisémitisme : les accusations lancées, celles-ci sans aucun fondement (ni paroles ni écrits), contre Nemtsov et Navalny sont-elles infâmes ?
De toute leur bonté, les signataires sont également venus en aide à David Guiraud, représailles en « bon connaisseur de mangas » afin de l’exonérer d’avoir diffusé un mème antisémite sur X (ex-Twitter). Toujours pas de chance de tirer dans un manga qui compte 108 volumes (et des dizaines de milliers de pages) les personnages devenus parmi les fans de Soral et Dieudonné – entre autres champions de l’antisémitisme – un symbole de « domination juive ». Pas de bol encore quand une autre membre de LFI (et de l’institut La Boétie) Isabelle d’Artagnan fait également la même référence, félicitant Rima Hassan pour avoir exécuté des « dragons célestes ». Étrange récurrence chez les membres de LFI, cet amour d’évoquer des « dragons célestes ». Est-ce la pudeur des gazelles, ou simplement une amnésie soudaine, qui expliquerait que les signataires de la tribune oublient de rappeler que David Guiraud lui-même expliquait s’être nourri des mânes de Soral et Dieudonné ? D’après leur analyse, nul doute qu’en cas de tweet d’une image de Pepe la grenouille ils nous expliqueront que c’était un hommage à Kermit la grenouille et qu’il ne faut y voir aucun mal, Guiraud étant un fan du Muppet Show.
L’empilement d’arguments destinés à leur démonstration ne manque pas d’un certain sens du timing. Les signataires s’offusquent que le nom de Blum soit brandi de manière inappropriée par des opposants de gauche. Il ne fait aucun doute que c’est effectivement drôle et mérite d’être ridiculisé. Mais tant qu’on défend l’homme clé de la victoire du Front populaire, on aurait pu aussi s’attendre à un rappel adressé à Jean-Luc Mélenchon, qui s’amuse à dépeindre Léon Blum comme un critique d’art inexpérimenté qui se serait retrouvé à la tête du Front populaire, oubliant doucement qu’il a été conseiller d’État à 23 ans et président du groupe SFIO à l’assemblée pendant deux décennies. Il est surprenant (non, on plaisante) que les auteurs de la chronique qui font l’éloge de Léon Blum ne s’offusquent pas de le voir ainsi rabaissé par Mélenchon. La posture des signataires est simple : LFI et ses dirigeants peuvent se permettre tous les excès, se livrer à l’antisémitisme, rien ne pose problème. Dans leur longue démarche, ils convoquent Clémentine Autain, Alexis Corbière, Raquel Garrido. Peut-être ont-ils négligé de lire les déclarations du premier concernant l’exclusion des deux autres de LFI : « Chez la France Insoumise, il vaut mieux avoir été condamné pour violences conjugales que d’avoir défendu la démocratie, manifesté contre l’antisémitisme après le 7 octobre. » ?
Mais c’est surtout un dernier point qui dit tout sur la nature de ce forum. Les auteurs font valoir leur argument fort, celui agité depuis des mois par LFI : « C’est un rappel, mais il est significatif : jamais un membre de LFI n’a été condamné pour antisémitisme. » Un argument de poids certes, mais le club est en mousse. Posture surprenante des signataires, dont beaucoup sont des chercheurs, qui estiment donc que seule la justice serait à même de qualifier ce qu’est l’antisémitisme. L’antisémitisme n’existe que lorsque seule la justice condamne ? Marine Le Pen n’a jamais été condamnée sur ce sujet, pas plus que les principaux dirigeants de son parti. Est-ce que ça arrive aussi ?
On pourrait leur demander en retour si cette position s’applique aussi au racisme ? Auquel cas certaines de leurs analyses sur le sujet n’en tiennent pas compte. David Dufresne s’appuie-t-il uniquement sur les décisions judiciaires pour dénoncer les violences policières ? Ludivine Bantigny s’appuie-t-elle uniquement sur des décisions judiciaires pour dénoncer l’islamophobie ? Bonne nouvelle pour tous ceux qui veulent lutter contre les différentes formes de haine, étant donné le faible nombre de condamnations judiciaires en France, l’antisémitisme, le racisme, la xénophobie et l’homophobie sont bel et bien résiduels. Fermez l’interdiction. Ne nous y trompons pas, la menace que représente le Rassemblement national, héritier des haines les plus fétides, ne peut servir à disculper ceux de gauche qui n’ont aucun problème avec l’antisémitisme comme le fait cette escouade de blanchisseurs.
© Tal Bruttmann et Christophe Tarricone, 26/06/2024
Source : Dai! Nouveau magazine juif
https://www.dai-la-revue.fr/articles/denegatio