Ne vous inquiétez pas, je n’ai ressenti aucune douleur. Amputé des quatre membres, y compris des deux bras sous les coudes, je n’ai plus les articulations qui reliaient autrefois mes avant-bras à mes mains. Pour compenser ce manque, je dispose de prothèses qui comportent un rotateur inséré à l’extrémité de la coque dans laquelle j’insère mon moignon.
Cette pièce, indispensable à la fluidité de mes mouvements, permet une meilleure préhension des objets sans avoir à me contorsionner pour les manipuler. Mes rotateurs qui tournent d’un côté à l’autre me permettent de placer ma pince myoométrique ou mes prothèses de main dans l’angle qui facilite la tâche à accomplir.
C’est avec les mêmes muscles déjà utilisés pour ouvrir et fermer ma main que j’active les rotateurs. Tout d’abord, je contracte simultanément les deux muscles de mon moignon droit pour entrer dans le mode. Ensuite, pour tourner dans le sens des aiguilles d’une montre, je contracte uniquement le muscle supérieur.
Pour tourner dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, j’utilise le muscle du bas. Pour revenir en mode ouverture-fermeture, je « clique » à nouveau en même temps sur les deux électrodes placées dans mes prises puis j’utilise celle du haut pour ouvrir et celle du bas pour fermer.
Le sepsis responsable de mes amputations ne m’a laissé qu’un seul muscle pour opérer ma prothèse gauche. Je dois donc le contracter avec des intensités spécifiques pour chacune des fonctions.
Une forte contraction pour ouvrir et tourner d’un côté, une contraction plus douce pour fermer et tourner de l’autre, ainsi qu’une forte contraction pour activer le mode rotation.
Si je le souhaite, je peux faire pivoter mes poignets en continu à 360 degrés jusqu’à ce que les piles soient épuisées. Cela donne un mouvement très étrange, impossible à imiter. Cela vaut toujours la peine de faire rire la galerie et de minimiser le handicap. Mais c’est surtout très utile au quotidien.
Je ne sais pas ce qui a poussé mes deux rotateurs, celui de ma prothèse droite et celui de gauche, à décider de se briser en même temps. Les deux forcent misérablement à se tourner d’un côté, donc tout va bien pour tourner dans le sens opposé. Je l’avoue, je n’avais pas pris le temps de baisser les manches de ma veste pour couvrir mes poignets, mais comme je n’avais jamais rencontré ce problème auparavant, je ne me méfiais pas.
Tout mon équipement a toujours continué à fonctionner après nos balades hivernales en fauteuil roulant tout-terrain, par grand vent. Le froid ne les avait jamais endommagés. Pas même le moment magique où mon amoureux attachait un traîneau au harnais de notre chien pour qu’il puisse me tirer à travers la forêt sur des sentiers enneigés.
Bien sûr, tout ce qui possède un moteur, des composants électroniques ou tout autre appareil s’usera tôt ou tard.
Mes poignets se sont cassés plusieurs fois par le passé. Mais cette fois, est-ce à cause du froid et de l’humidité que je ne peux plus me tourner de côté ? Ou est-ce simplement la marque du temps qui a fait son œuvre ?
Quoi qu’il en soit, alors que j’essaie de comprendre pourquoi et comment, mes rotateurs sont mauvais. Même si je me plains de la malchance d’avoir les deux poignets cassés, ça ne changera rien, les prothésistes sont partis pour Noël et je dois ronger mon frein.
La seule solution pour rester dans la joie des festivités est, encore une fois, de s’adapter… en attendant de pouvoir les faire réparer. Pour chatouiller ma résilience, le sens de rotation qui est abîmé est celui qui permet à ma fourchette de tourner pour amener la nourriture dans ma bouche.
Malgré toutes les frustrations que cela m’apporte, il n’en reste pas moins qu’il ne s’agit que de mécanique. Cela ne m’a pas empêché de célébrer et d’apprécier les beaux moments passés en famille. C’est ce qui est important. Parce que quand on y pense, il y a beaucoup de gens qui traversent des difficultés bien pires. Certains sont hospitalisés et d’autres sont sur des listes d’attente pour un traitement.
C’est juste triste que les difficultés n’enlèvent pas Noël.