Le spectacle est dantesque. Une foule regarde, impuissante, brûler la flèche de Notre-Dame. Les secours arrivent. Plusieurs pompes arrosent la cathédrale, devenue un “L’Etna en flammes”, selon un observateur, ses gargouilles crachent du plomb fondu. En deux heures, la flèche s’est effondrée…
Est-ce que cela vous rappelle quelque chose ? Non, il ne s’agit pas de la catastrophe de Notre-Dame de Paris du 15 avril 2019. Nous sommes le 15 septembre 1822 et c’est la cathédrale de Rouen qui a pris feu, après avoir été frappée par la foudre, lors d’un orage sec.
Un drame qui s’est presque propagé à l’ensemble du bâtiment et à ses abords, comme le rappelle une passionnante exposition au Musée des Beaux-Arts de Rouen (1). «La flèche, alors pyramide en bois recouverte de plomb doré culminant à 135 mètres de haut, menace d’incendier la ville en s’abattant sur une maison accolée au monument. » déclare Diederik Bakhuys, commissaire de l’exposition. Un petit tableau d’Eustache-Hyacinthe Langlois, récemment entré dans les collections du musée, témoigne de ce désastre rayonnant dans la nuit. Mais grâce aux pompiers, l’incendie a finalement été maîtrisé. Les couvertures du chœur, du transept et de la nef sur un tiers de sa longueur ont disparu.
Une flèche de fer, hérésie !
Un vaste chantier est alors lancé pour reconstruire la cathédrale gothique, dont les voûtes sont enduites d’argile pour les imperméabiliser et les protéger de la pluie. Mais c’est la flèche qui est au centre du sujet de cet itinéraire, bref mais dense, organisé dans le cadre d’une campagne de mise en valeur des collections des institutions culturelles rouennaises (2).
Fouillant des œuvres dans les réserves du Musée des Beaux-Arts, de la Drac de Normandie et de la cathédrale elle-même, l’exposition met en lumière le caractère inédit de l’initiative de Jean-Antoine Alavoine (1778-1834) : ériger une flèche néo-gothique en fonte. Hérésie, crient ses nombreux détracteurs ! «Pourquoi ce matériau ? Tout simplement parce qu’il ne brûle pas s’il est frappé par la foudre.»explique Diederik Bakhuys.
Mais ce n’est pas la seule raison. «Ne faut-il pas utiliser les progrès de la science en les appliquant aux monuments qui appartiennent à l’histoire du pays ? “, » demande Alavoine, dans une réflexion inspirée par la révolution industrielle qui calmerait peut-être encore les puristes du patrimoine d’aujourd’hui… Mais ce pionnier de la construction métallique ne verra jamais son projet aboutir.
“Tentative extravagante de la part d’un chaudronnier fantaisiste”
Le projet, commencé dans les années qui suivirent l’incendie, ne fut achevé qu’en 1884, subissant des retards et des arrêts dus aux bouleversements politiques du XIXe siècle. Tout au long de sa construction, racontée à l’aide de plans, maquettes métalliques et autres chimères soumises lors des travaux en cours, la flèche continuera d’être la cible de plaisanteries. Flaubert le décrit comme «tentative extravagante de la part d’un chaudronnier fantaisiste», Maupassant «surprenante aiguille en bronze, laide, étrange et disproportionnée».
Culminant à 151 mètres, la croix terminale surmontée d’un coq, la flèche fit de la cathédrale l’édifice le plus haut du monde pendant quatre ans, avant d’être détrônée par la cathédrale de Cologne. Elle reste aujourd’hui la troisième plus haute église du monde, mais surtout l’un des grands jalons de l’architecture métallique, « aussi important que la Tour Eiffel », Diederik Bakhuys émouvant.
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► Où en est le travail sur la flèche ?
Après avoir résisté aux bombardements de 1944, la flèche se détériora progressivement. « En 1974, il est devenu instable face à des vents de plus de 180 km/h», explique Richard Duplat, architecte en chef des monuments historiques en charge du monument. Il est ensuite doublé d’une structure en acier corten de 300 tonnes qui résiste bien aux rafales, mais pas aux eaux salées qu’elles charrient… Un projet de restauration, long et complexe en raison de l’exposition au vent, est donc lancé en 2016 afin de restaurer l’ensemble de l’édifice. surface extérieure de la flèche et de ses renforts, enlever les traces de plomb des peintures d’origine et repeindre la flèche dans sa couleur verte de 1910. Les travaux devraient être achevés en 2027, sauf tempêtes et accidents, comme le petit incendie de juillet dernier…
(1) « Reconstruire… la flèche ». Jusqu’au 2 juin, au Musée des Beaux-Arts de Rouen. Rens. : mbarouen.fr
(2) La 12e édition du « Temps des collections » comprend quatre autres expositions sur le thème de la reconstruction, en écho aux commémorations de la Seconde Guerre mondiale : « Reconstruire… les terres brisées », au Musée de la Céramique de Rouen ; « Reconstruire… la ville », à la Fabrique des savoirs à Elbeuf-sur-Seine ; « Reconstruire… l’usine », au Musée industriel de la Corderie Vallois, à Notre-Dame-de-Bondeville ; « Le génie des lieux. Corneille, Flaubert, Maeterlinck », au Musée Flaubert et histoire de la médecine, à Rouen.