Dans son atelier de la ville afghane de Herat, Sakhi fabrique depuis des décennies des rubabs, un instrument à cordes emblématique d’Asie centrale. Et même si les talibans veulent faire taire la Musique, il tient bon.
“Ce métier est le seul que je sais faire et je dois gagner de l’argent d’une manière ou d’une autre”, explique l’artisan de 54 ans, assis par terre dans son minuscule atelier où se trouvent quatre rubabs, un instrument du luth. famille, se peaufinent.
Mais au-delà des revenus qu’il espère en tirer, il y a « la valeur culturelle » que représente l’objet, estime Sakhi, dont le prénom, comme celui des autres personnes interrogées, a été modifié pour des raisons de sécurité.
“La valeur de cette œuvre, pour moi, c’est le patrimoine qu’elle incarne”, explique-t-il à l’AFP, souhaitant que “cet héritage ne soit pas perdu”.
Inscription au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO
L’Unesco est d’accord : en décembre, l’organisation des Nations Unies a inscrit dans sa liste du patrimoine culturel immatériel l’art de fabriquer et de pratiquer le rubab en Afghanistan, en Iran, en Ouzbékistan et au Tadjikistan.
Instrument fabriqué à partir de bois de mûrier séché récolté dans les déserts, parfois incrusté de nacre, le rubab est l’un des plus anciens instruments de musique d’Asie centrale, joué lors de nombreuses célébrations. Mais en Afghanistan, ce bruit a quasiment disparu depuis le retour au pouvoir des talibans en août 2021.
Les instruments ont été brisés ou brûlés
Leur interprétation rigoureuse de la loi islamique interdit presque totalement la musique : elle n’est plus jouée dans les concerts, ni à la radio ou à la télévision et très rarement dans les voitures.
Les écoles de musique ont fermé leurs portes et les instruments ont été brisés ou brûlés, tout comme les haut-parleurs.
De nombreux musiciens ont quitté le payss
Depuis trois ans, de nombreux musiciens ont quitté le pays.
Son instrument brisé par les talibans
Les talibans ont encouragé ceux qui restent à déclamer des chants religieux ou de la poésie, comme ils l’ont fait sous leur précédent règne (1996-2001).
Gull Agha, 40 ans, garde sur son téléphone une photo de cette période : son professeur de musique dévoile, plein de chagrin, son instrument brisé par les talibans. Lui-même a vu son peuple se faire saccager.
« Transmettre la musique locale aux générations futures »
Et si on lui a fait promettre d’arrêter de jouer, il lui arrive de glisser ses doigts sur les cordes de quelques touristes visitant Herat – une ville autrefois connue pour sa scène artistique et musicale – tout en se plaignant de désaccords.
« Ce qui me motive le plus, c’est d’apporter quelque chose à l’Afghanistan, il ne faut pas laisser oublier le savoir-faire de notre pays », dit-il. « Il est de notre devoir de transmettre la musique locale aux générations futures, comme l’ont fait nos ancêtres. »
“Malheureusement, la joie a été retirée à cette nation”
« Le Rubab est un art et l’art apporte la paix à l’âme », philosophe-t-il. Mohsen, membre de longue date d’une association de musiciens, retient ses larmes en évoquant l’époque où ils représentaient « les beaux moments de la vie des gens ».
“Malheureusement, la joie a été enlevée à cette nation”, déplore-t-il, tout en voulant garder une lueur d’espoir.
« Pour que la musique survive »
“Aujourd’hui, les gens ne jouent pas pour gagner de l’argent mais pour apporter (secrètement) de la joie aux autres et pour que la musique survive”, dit-il, assurant que “personne ne peut faire taire ce bruit”.
A Kaboul, Majid n’a pas touché à un rubab depuis trois ans, de peur d’être entendu, après avoir passé des années à donner des concerts.
Touchant pour la première fois son instrument devant l’AFP, un sourire est apparu sur son visage avant de sursauter en entendant claquer la porte du jardin, craignant un raid des talibans.
Le long manche de son « cher rubab » a été brisé lorsque la police des mœurs a perquisitionné sa maison après le retour des talibans, a-t-il raconté à l’AFP. Il l’a réparé du mieux qu’il a pu.
“Tant que je vivrai, je le garderai avec moi”
« Tant que je vivrai, je le garderai avec moi et j’espère que mes enfants le feront aussi, afin que la culture du rubab ne soit pas perdue », dit-il.
« La musique ne disparaît jamais. Comme on dit, « il ne peut y avoir de mort sans larmes et pas de mariage sans musique ». »
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