Situés entre McGill College et Metcalfe sur la rue Sainte-Catherine Ouest, le Capitole, le Cinéma de Paris, le Loews, le Palace et le Pigalle (Strand) ont été des témoins marquants de la vie nocturne montréalaise.
Rue Sainte-Catherine le soir en 1972.
Héritage Montréal, Collection personnelle de Dinu Bumbaru
Depuis la construction du Ouimétoscope en 1906, une soixantaine de salles de spectacle ont été implantées à Montréal. Cependant, seuls quelques-uns nous sont parvenus.
« Trop de théâtres des années 1910, 1920 ou 1930 ont malheureusement disparu », rappelle Dinu Bumbaru, directeur des politiques à Héritage Montréal. Déjà en 1973, à peine fondée, l’organisme Sauvons Montréal déplorait la disparition du Strand et du Capitole, deux immenses cinémas au décor soigné de la rue Sainte-Catherine. »
Manifestation pour la préservation du Capitole le 11 octobre 1973. Le Capitole, le Pigalle, ainsi que tous les bâtiments du côté sud de la rue Sainte-Catherine, entre McGill College et Metcalfe, sont démolis en décembre 1973, à l’exception du restaurant Dunn’s et du Cinéma de Paris. Le site du Capitole est aujourd’hui occupé par un immeuble de bureaux, l’actuelle Tour Rogers.
BAnQ numérique : La Presse, 13 octobre 1973, Pages corrigées p.A3 – Photo de Michel Gravel
Fermé, abandonné ou démoli ? Le sort de ces lieux de divertissement emblématiques a suscité beaucoup d’attention et d’inquiétude auprès de la population montréalaise, ainsi que parmi les organismes spécialisés en diffusion culturelle et en patrimoine.
Cette mobilisation a également conduit à des réalisations plus positives.
En 1977, le vieux Granada du quartier Maisonneuve est transformé pour l’usage des arts de la scène et devient le théâtre Denise-Pelletier.
En 1987, la vente du théâtre Outremont à un promoteur désireux d’y installer des bureaux, des commerces et un restaurant-cabaret suscite de vives réactions. La population locale se mobilise pour sa préservation avec le soutien d’Héritage Montréal et de Sauvons Montréal.
Le théâtre a été cité monument historique par la Ville d’Outremont la même année, une première protection relative à son architecture extérieure, puis classée par le gouvernement du Québec, qui protège l’intérieur. Il fut finalement acquis par la municipalité et retrouva sa vocation de lieu de diffusion après des rénovations réalisées dans les années 2000.
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Premières études
En 1988, une première étude sur les théâtres et cinémas historiques de Montréal est publiée par l’historienne de l’art Jocelyne Martineau, spécialement commandée par le ministère des Affaires culturelles du Québec et la Ville de Montréal.
L’année suivante, Héritage Montréal organise un colloque sur la préservation des cinémas historiques au Rialto. Informée par l’expérience d’autres villes nord-américaines, cette rencontre débouchera sur une étude sur le potentiel de revitalisation de plusieurs anciennes salles de cinéma, notamment à des fins culturelles.
L’initiative a des résultats concrets. La Société immobilière du patrimoine architectural de Montréal (SIMPA) lance un appel de propositions en 1989 pour revitaliser l’ancien Théâtre Corona (Beanfield aujourd’hui) dans la Petite-Bourgogne.
Plusieurs de ces anciens théâtres et cinémas ont été classés et protégés ainsi que leurs intérieurs dans les années 1990. Malgré cela, leur sort reste largement entre les mains de leurs propriétaires.
De l’abandon à la revitalisation ?
L’abandon est parfois fatal à ce patrimoine, comme le montrent les cas du York et du Seville en centre-ville, démolis en 2001 et 2010.
À Notre-Dame-de-Grâce, un incendie criminel a endommagé le Snowdon, propriété de la Ville de Montréal, en 2016, alors qu’il était vacant. Vendu par la suite, le projet immobilier finalisé en 2022 conserve l’aspect de la façade rationaliser moderne avec son signe emblématique.
Épargnées par l’incendie, les lettres métalliques de l’enseigne originale ont été jetées. «Nous les avons trouvés sur une plateforme de vente en ligne», se souvient Anthony Plagnes Payá, responsable des communications chez Héritage Montréal. De tout ce lot, il ne restait que quelques lettres comme le T et le H. »
Toujours dans le même quartier, Fabienne Colas
Great Sex, en 2021. Désormais vacante, l’entrée de l’ancien théâtre accueille depuis mars 2024 une succursale d’une chaîne de restaurants de poulet grillé.
L’espoir demeure pour certains d’entre eux. Un détaillant de lingerie populaire de la rue Saint-Hubert, propriétaire de (1922), a réalisé en 2024 la restauration de la façade et le décor de la salle de spectacle créée par Emmanuel Briffa. Il en va de même pour le Rivoli, dont la façade très dégradée est en cours de restauration.
Exemples à suivre
L’expérience montre que dans le cas des théâtres anciens, la meilleure reconversion, si possible, est de conserver leur fonction de lieu.
Grâce à un usage proche de la vocation originelle, les Beanfield, Château, Denise-Pelletier, Olympia, Outremont et Rialto, par exemple, conservent leurs qualités patrimoniales.
Classé en 2012, l’Impérial est aussi un bel exemple de restauration et de requalification des années 1990. Récemment fermé, il devrait entreprendre prochainement, avec le soutien des gouvernements et de la Ville de Montréal, d’importants travaux de réhabilitation avec des projets ambitieux. moderniser son équipement.
« Les récents événements de septembre liés à la fermeture de l’ancien Théâtre des Variétés (1921) devenu Théâtre La Tulipe montrent néanmoins la grande précarité de ces lieux de patrimoine culturel », commente M. Bumbaru.
« Espérons que la prochaine mise à jour du Plan d’urbanisme et de la Politique culturelle de la Ville, ainsi que l’adoption en octobre d’une stratégie sur la vie nocturne montréalaise, soutiendront le maintien, la restauration et la revitalisation de ces lieux de culture et de divertissement, dans le centre-ville et dans les quartiers de la métropole », conclut-il.
En 2024, l’artiste Agaboum choisit le Théâtre La Tulipe pour la création de la « carte blanche » de la campagne Affichez votre patrimoine (5e édition) du Comité émergent Héritage Montréal.
Agaboum x Héritage Montréal
Petits cinémas : de grandes opportunités
Si l’on entend souvent parler de grands complexes commerciaux multi-écrans, plusieurs expériences originales marquent également le renouveau des cinémas de quartier.
Au tournant des années 2000, le cinéma adopte un modèle proche de l’économie sociale. Géré par une association à but non lucratif, il est désormais associé aux cinémas Parc et Musée et tous trois partagent des services communs assurés par la même équipe.
D’autres initiatives, dont certaines implantées dans des édifices patrimoniaux, montrent que ce type de lieux participe à la vitalité actuelle de nos quartiers, en proposant une programmation cinématographique originale et difficile à voir ailleurs. Pensez au , à la Station Vu de Rivière-des-Prairies ou au Cinéma Public de Casa Italia.
Sortons de Montréal!
Une restauration exemplaire à San Diego, Californie, USA.
Vue panoramique du Jacobs Music Center récemment restauré entre 2020 et 2024.
Photo de Richard Barnes, avec l’aimable autorisation de l’Orchestre Symphonique de San Diego
Inaugurée le 28 septembre 2024, la nouvelle salle du Centre de musique Jacobs est une restauration remarquable du San Diego Fox Theatre. L’ancien cinéma des années 1920 est aujourd’hui l’un des plus beaux amphithéâtres d’Amérique du Nord.
Travail des architectes W. Templeton Johnson et William Day du cabinet Semaines et Jour, le palais luxueux est rococo avec des influences du baroque espagnol et de la Renaissance française. Tout comme le Rialto, le bâtiment a été conçu à l’origine pour accueillir plusieurs fonctions : un imposant cinéma de 3 000 places, des commerces et des bureaux.
Ouvert en grande pompe une semaine après le krach boursier de 1929, le Fox Theatre de San Diego était alors le plus grand cinéma de la côte Ouest. Très vite, il devient le favori de Walt Disney pour projeter les premières de ses films. Un prestigieux orgue Robert Morton est installé en 1932 pour animer des films muets. Mis au rebut avec l’arrivée du cinéma parlant au milieu des années 1930, l’orgue fut restauré en 1967 grâce à l’intervention de Groupe d’orgue du théâtre de San Diego.
Déclassé avec l’arrivée de la télévision et malgré une adaptation au spectacle vivant en 1977, le théâtre est finalement fermé et cédé à la ville de San Diego à la fin des années 1970.
En 1984, le bâtiment a été vendu à l’Orchestre Symphonique de San Diego parallèlement à un projet immobilier visant à développer le quartier. Rénové, le théâtre rouvre ses portes au public de l’orchestre symphonique en 1985.
Rendu possible grâce à un généreux don de 120 millions de Joan et Irwin Jacobs, le récent travail du cabinet d’architectes HGA s’est consacré à mettre en valeur le caractère historique des lieux, à augmenter les capacités acoustiques des espaces ainsi que le confort et l’accessibilité du public.
Pour connaître une revitalisation réussie d’un ancien théâtre montréalais, consultez l’article d’Héritage Montréal sur le Rialto sur le site Internet du Journal.
Pour en savoir plus
sur le Rialto dans les archives des journaux, Archives des affiches de concerts de Montréal (2024)
d’Héritage Montréal “The Beaubien cinema in three stages” (2023)
Article de Yves Desjardins tiré de
sur les « Bâtiments patrimoniaux » relatifs notamment au Régent et au Rialto [p. 138 à 144] (2023)
maîtrise (Études urbaines, UQAM), « La requalification du patrimoine à l’échelle des quartiers à Montréal : les vieux théâtres-cinémas et le cas du théâtre Rialto » par Giulia Verticchio (2020)
de Héritage Montréal sur l’histoire des cinémas montréalais (2020)
by Ezio Carosielli on the Rialto presented for Operation Patrimoine, Héritage Montréal and Ville de Montréal (2019)
des Mémoires du Mile End/Mémoires des Montréalais (MEM) sur l’histoire du Rialto, (2018)
de Héritage Montréal d’InspirAction sur le Rialto (2017)
par Pierre Pageau. Cinémas au Québec1896-2008. Quebec, Les Éditions GID. (2009)
Rapport
Magasins, cinémas.
Répertoire de l’architecture traditionnelle sur le territoire de la communauté urbaine de Montréal : architecture commerciale III, Montréal, CUM, Service de l’aménagement du territoire, 413 p. (1985)