Nous avons pu échanger avec la navigatrice alors qu’elle traversait la Tasman, marquant la mi-parcours de la régate du Vendée Globe. Il vient d’entrer dans le Pacifique, étape symbolique d’un tour du monde qui, malgré quelques déboires, se déroule à merveille.
Beaucoup de choses peuvent se produire en deux semaines lorsque l’on navigue dans les mers du Sud. Depuis que nous avons quitté Clarisse Crémer au milieu de l’Atlantique, elle a franchi le cap de Bonne-Espérance, dépassé les Kerguelen, rencontré des albatros, connu quelques ennuis mécaniques… « Je vais bien, même si je commence à me sentir un peu fatigué. après plus d’un mois de mer », explique notre héroïne (1), qui occupe depuis quelques - une excellente douzième position.
Nous parvenons à la joindre sur WhatsApp alors qu’elle sort d’une manœuvre au milieu de l’océan Indien : quelques minutes suspendues avec elle, avec le vent comme compagnon de voyage.
Madame Figaro.- Sur D33 (c’est-à-dire le 13 décembre, date à laquelle nous parlons, ndlr.) Comment se passe la course ?
Clarisse Crémer : Je me porte très bien, surtout parce que je suis dans un bon groupe, avec Boris Herrmann (numéro 10), Justine Mettraux (numéro 11) et Samantha Davies (numéro 13). Je n’ai pas l’impression d’être seule, ce qui peut être rassurant lorsqu’on traverse les Kerguelen ! Avoir vos concurrents juste à côté de vous est inspirant. Nous avons des bateaux très similaires, avec les mêmes outils d’analyse météo, le même background : cela nous incite à changer de voiles plus souvent et plus vite, à pousser les réglages. J’ai eu un problème assez sérieux avec mon foil (ces petites ailes qui permettent aux bateaux de « voler », ndlr) mais pour l’instant, cela ne m’affecte pas beaucoup. En tout cas, en mer on apprend à vivre avec l’épée de Damoclès. Pour l’instant ça tient, tout va bien !
Vous avez eu de grosses frayeurs…
Oui, des choses terrifiantes se produisent encore. J’ai eu un problème avec le safran, avec le système électrique que j’ai complètement perdu, puis avec le cylindre de foil en entrant dans l’océan Indien et ses belles vagues. Je n’ai pas pu le réparer mais j’ai simplement bloqué le film. Hier soir, pendant quelques heures, ça a été invalidant, par exemple. Mais on s’adapte !
…mais aussi des petites joies ? Par exemple, avez-vous trouvé du krill et des crustacés sur votre bateau ?
OUI! J’ai vu beaucoup d’albatros, pendant un moment, et ça m’a fait plaisir. Et puis à bord les petites joies deviennent vite de grandes joies : juste avant l’entretien j’ai installé une belle voile qui me plaît beaucoup car avec elle le bateau glisse vite. C’était un vrai bonheur de le voir se gonfler et de sentir le bateau en profiter.
Au moment où nous vous parlons, vous avez dépassé le cap Leeuwin, au large de l’Australie, après avoir franchi le cap de Bonne-Espérance et les Kerguelen. Sommes-nous conscients de l’espace lorsque nous nous déplaçons si vite sur une surface plane et bleue ?
C’est très étrange, on a du mal à se rendre compte où l’on est. C’est pourquoi j’aurais aimé voir les îles Kerguelen à l’horizon. Il est peu probable, voire absurde, d’être si loin et de ne pas s’arrêter en Australie ou dans ces endroits magnifiques. C’est toujours magique de faire le tour du monde à la voile, même si on l’a déjà fait par le passé : c’est toujours difficile d’y croire.
C’est magique de faire le tour du monde en voilier, même après l’avoir déjà fait : c’est encore difficile d’y croire
Vous avez une grande énergie, comme en témoignent les vidéos que vous partagez pendant la course. Avez-vous le - de prendre un peu soin de vous ?
Pour être honnête, je n’ai absolument aucun espace physique ou mental pour y penser ! Hier je me suis changé pour la première fois depuis dix jours, j’en ai profité pour me passer de crème hydratante pour les mains et mettre du déodorant. Pour la première fois depuis longtemps, je ne sentais plus le renard fennec ! Pour mes cheveux le problème c’est que si je fais un shampoing (je l’ai fait une fois depuis le début), alors je dois les démêler et c’est trop de travail. Ensuite, j’applique l’huile, j’enlève quelques nœuds et je fais un chignon qui durera un moment.
Votre sponsor, L’Occitane, nous a parlé du soin Power Nap, un kit de massage en 3 étapes qu’ils vous ont fourni, qui permet d’obtenir l’effet d’une sieste en quelques minutes seulement. Avez-vous le - de vous faire un auto-massage, par exemple ?
Non, je n’ai pas le - de suivre l’intégralité du traitement. Mais je pratique certains éléments du protocole, comme la respiration énergisante, concept qui me parle beaucoup. Quand je n’ai qu’un quart d’heure pour me reposer, je m’allonge et j’essaie de me créer un rituel, un sas dans lequel je respire : je me concentre uniquement sur mon corps, en essayant d’oublier les bruits du bateau. C’est sans prétention mais très efficace !
Nous sommes nombreux à suivre la course le site du Vendée Globe ou sur la Régate Virtuelle. C’est bien quand le reste du monde traverse une période difficile. En mer, sommes-nous totalement déconnectés de l’actualité ?
Pour l’instant je n’ai pas accès aux réseaux sociaux, seulement au site du Vendée Globe et à celui d’un journal important auquel j’aime me connecter, même si l’actualité n’est d’ailleurs pas toujours conviviale. Même dans ce cas, être seul en mer multiplie les émotions : à la chute de Bachar al-Assad, par exemple, j’ai pleuré !
(1) J’y vais mais j’ai peur, journal d’un marinde Clarisse Crémer et Maud Bénézit, Éditions Delcourt, 25,50 euros.