Entre le 25 et le 29 novembre, un événement majeur pour la protection des civils s’est tenu au Cambodge : la Conférence internationale de révision du Traité d’interdiction des mines antipersonnel. Alors que les délégués de 99 États et des dizaines d’organisations de la société civile convergeaient vers la belle ville de Siem Reap, les États-Unis ont annoncé leur intention de transférer des mines antipersonnel en Ukraine.
La décision a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Tous les acteurs présents à la conférence étaient clairement conscients de la gravité de cette décision américaine, qui a entraîné l’utilisation potentielle de mines antipersonnel par un État partie au Traité : l’Ukraine. Chacun a eu le sentiment d’atteindre un tournant dans le respect de ce Traité, véritable pilier du Droit International Humanitaire (DIH), qui a incontestablement prouvé son efficacité dans la protection des civils, en divisant par dix le nombre de victimes de ces armes en 20 années.
Une augmentation des victimes des mines antipersonnel
Quelques jours plus tôt, le rapport de l’Observatoire des mines antipersonnel, rendant compte de la mise en œuvre du Traité, fournissait ces chiffres effrayants : au cours de l’année 2023, le nombre annuel de victimes de mines a augmenté de 22 %, dont 84 % de civils, et de 37 % enfants. En octobre dernier, la Lituanie a décidé de se retirer du traité d’Oslo, qui interdit les bombes à fragmentation, interdites parce qu’elles comptent parmi les plus dangereuses pour les civils.
Ce retrait est une première, et la Finlande, actuellement en pleine discussion sur la possibilité de sortir du traité d’Ottawa, pourrait malheureusement s’en inspirer. Les États-Unis, là encore, ont déjà, depuis 2023, franchi une ligne rouge en organisant à plusieurs reprises des transferts d’armes à sous-munitions vers l’Ukraine.
Vers une érosion des normes
On ne peut ignorer que ces décisions interviennent dans un contexte où la Russie, non partie à ces deux traités, utilise de manière intensive des bombes à fragmentation et des mines antipersonnel en Ukraine.
Alors que les conflits armés se multiplient (120 conflits dans le monde en 2024 selon le CICR, un record), l’impératif de sécurité nationale est trop souvent érigé en justification de toutes les violations. On assiste à la tentation d’oublier ce qui faisait jusqu’alors consensus : les conséquences désastreuses et disproportionnées des mines antipersonnel et des bombes à fragmentation sur les civils, largement documentées depuis une trentaine d’années, de vastes territoires contaminés devenant un danger pour les populations, des décennies après les combats.
Le droit international humanitaire (DIH), dont les piliers fondamentaux, hérités des atrocités de la Seconde Guerre mondiale, structurent les relations entre États depuis 70 ans, est aujourd’hui attaqué. L’usage intensif d’armes explosives ciblant les zones urbaines, les attaques contre les hôpitaux et les travailleurs humanitaires et les obstacles à l’aide humanitaire semblent devenir une routine macabre à Gaza, au Liban, en Ukraine et même au Soudan. Ces pratiques sont en contradiction flagrante avec les principes du DIH, qui impose de prendre toutes les précautions pour protéger les civils lors d’attaques.
Respect du droit international
Les choix que font nos représentants politiques sont décisifs pour l’avenir du respect des normes du droit international. Nous les exhortons à condamner sans équivoque toute violation, par quelque acteur que ce soit, en toutes circonstances, et à veiller à ce que les responsables soient punis. Les règles qui régissent les conflits armés et les engagements pris dans les traités doivent être respectés et promus par les États et les forces armées.
Mis à l’épreuve dans le contexte actuel, le DIH reste le levier le plus efficace dont nous disposons pour préserver une partie de l’humanité, y compris au cœur des conflits. Il ne faut pas se résigner à son affaiblissement. Les populations civiles seraient les premières victimes, tout comme les perspectives pour les générations futures de vivre dans un monde en paix.
En tant qu’organisation humanitaire engagée auprès des communautés touchées par la guerre, nous n’avons d’autre choix que de tout mettre en œuvre pour garantir que ces normes soient préservées et respectées. C’est ce que nous avons fait à Siem Reap. Le deuxième jour de la Conférence, les États ont été accueillis par des militants contre les mines antipersonnel alignés dans une rangée de protestations silencieuses – un moment remarquable qui a suscité de nombreuses réactions parmi les délégués. Notre objectif : un engagement sans équivoque de la part des États parties et un respect inconditionnel des principes du Traité. Le texte adopté à l’issue de la conférence reflète le succès de notre mobilisation. Jusqu’à la prochaine fois.