Michel Barnier est tombé. Pour la première fois depuis 1962, un gouvernement était destitué par une motion de censure. Tous les regards sont désormais tournés vers Emmanuel Macron, chargé de désigner un remplaçant à Matignon et de trouver une solution pour le budget 2025, gelé par la censure. Plusieurs scénarios se dessinent et laissent présager une période plus instable, autoritaire et réactionnaire.
Bien que Macron ait déclaré vouloir nommer un nouveau Premier ministre le plus rapidement possible, la division du Parlement fait de la recherche d’un nouveau Premier ministre un parcours du combattant. Il se pourrait ainsi que le gouvernement Barnier reste en place, plus ou moins longtemps, pour gérer les « affaires courantes ».
Ce nouveau gouvernement démissionnaire, après celui d’Attal, pourrait cependant tenter de faire voter les différents textes budgétaires en usant de supercherie constitutionnelle. Bien que le gouvernement ait été censuré, certains constitutionnalistes considèrent qu’une motion de censure n’équivaut pas à un « rejet du texte », ouvrant la voie au recours à l’article 47 dès l’expiration des délais. Mais cette manœuvre autoritaire aurait un coût politique, comme l’explique le constitutionnaliste Benjamin Morel : “C’est politiquement très compliqué, ça veut dire qu’un gouvernement qui a été censuré siège au Parlement pour voter un budget qui a été rejeté.” Surtout, il a tous les atouts d’un saut périlleux constitutionnel et représenterait un coup d’État plus brutal que n’importe quel 49-3.
Compte tenu de la situation, il est plus probable que Macron tente de nommer un nouveau gouvernement pour limiter les dégâts. Face aux différents groupes, il est peu probable qu’il puisse le faire à toute vitesse, comme il l’espère, en 24 heures alors qu’il a fallu deux mois pour nommer Barnier. Le président pourrait d’abord tenter de nommer un nouveau Premier ministre qui achèterait les faveurs de l’extrême droite en échange de nouvelles concessions racistes. Plusieurs noms circulent déjà dans la presse : Sébastien Lecornu, l’actuel ministre des Armées, « bien vu par les élus RN », ou encore Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur et artisan d’une loi sur l’immigration calquée sur le programme de l’extrême droite. Dans un autre registre, Le monde quotes François Bayrou, who “ s’est assuré les bonnes grâces de Marine Le Pen » en critiquant la peine d’inéligibilité requise contre le chef du RN dans l’affaire des emplois fictifs.
L’autre hypothèse serait de nommer un gouvernement technique, dont la tâche serait de s’occuper des affaires courantes. Des noms de hauts responsables sont déjà sur la table : Thierry Baudet, Thierry Breton, ancien commissaire européen, ou encore François Villeroy de Galhau. Il serait également possible d’imaginer un gouvernement de coalition, qui passerait du PS au LR. Alors que l’idée d’un pacte de non-agression fait son chemin au PS, Gabriel Attal tente de trouver un compromis sans LFI et le RN. Après les engagements donnés par le PS au gouvernement en début de semaine, cette recomposition devra être suivie de près. Un éventuel bloc PS-LR serait cependant fragile alors que Laurent Wauquiez a déjà précisé que le « socle commun » « n’était valable que pour Michel Barnier » et que le PS réclamait un Premier ministre « partageant les valeurs du gauche” .
Quoi qu’il en soit, le nouveau gouvernement pourrait temporiser en proposant une loi spéciale pour pallier le rejet du budget, prévue par l’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), utilisée pour la dernière fois en 1979. permettre à l’État de renouveler le budget 2024, de collecter les impôts et d’assurer le paiement des fonctionnaires, en demandant chaque mois l’approbation du Parlement. Le budget d’austérité de l’année dernière serait donc appliqué en partie, en attendant une nouvelle loi de finances. Une solution qui ne résoudrait pas grand-chose et qui ne rassurerait certainement pas les marchés financiers.
Si la situation d’ingouvernabilité devait perdurer, au risque de pousser les marchés à s’attaquer à la dette, l’hypothèse du recours aux pleins pouvoirs était aussi évoquée. Au motif que « les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées de manière grave et immédiate et le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu », Macron pourrait déclencher l’article 16. Le journal de la capitale financière européenne, le Financial Times, semble déjà considérer que c’est la meilleure manière de régler la situation.
En déclenchant un tel article, qui ne fut utilisé qu’une seule fois par le général de Gaulle pour réprimer le putsch d’Alger en 1961, Macron pousserait pourtant le régime vers l’inconnu : ce serait un sursaut bonapartiste sans précédent dans l’histoire de la Ve République. Mais entre la lettre de la Constitution et la légitimité chancelante du président, une telle option pourrait immédiatement se retourner contre lui.
En effet, le président se trouve dans une situation extrêmement fragile et sa démission est de plus en plus ouvertement évoquée. Signe de l’ampleur de la crise, l’hypothèse est développée au sein du « socle commun » de Jean-François Copé, député LR, à Charles de Courson, député LIOT. La France Insoumise est même allée jusqu’à adresser une lettre au ministre de l’Intérieur pour demander les modalités d’organisation d’une présidentielle anticipée alors que le RN accentue la pression.
Si les évolutions de la situation sont encore imprévisibles, ces différentes hypothèses démontrent les ressources encore dont disposent les classes dominantes pour régler la situation dans le sens de leurs intérêts. Que le régime résolve la crise en renforçant ses instruments pour faire payer la crise aux travailleurs ou qu’il se rapproche de l’extrême droite en accordant à Marine Le Pen une nouvelle loi sur l’immigration ou d’autres concessions racistes, il est urgent que le mouvement ouvrier s’empare la crise et lui donner une issue progressive.
Face aux résultats réactionnaires proposés par les classes dirigeantes, il est clair que les travailleurs et les classes populaires ne peuvent rien espérer des institutions de la Ve République. Face à l’austérité, aux plans de licenciements en série et aux nouvelles offensives que mèneront Macron ou son nouveau gouvernement, les classes populaires doivent, dès demain, affronter le régime par une grève générale et politique, pour obtenir la démission de Macron et la fin de la Ve République.