La Croix L’Hebdo : Le soir de l’incendie, quelle a été votre première réaction ?
Ariel Weil : Avec Florence Mathieu, la présidente du conseil de quartier, on fait un truc de fou. On remonte la rue du Cloître-Notre-Dame pour appeler tous les habitants à évacuer les lieux. A ce moment, un vitrail explose sous la chaleur et nous recevons une pluie d’éclats de verre. Les pompiers nous ont immédiatement fait sortir.
Je retrouve sur la place la maire de Paris Anne Hidalgo et le père Patrick Chauvet, recteur de la cathédrale. En larmes, il nous dit qu’il faut sauver le trésor. Le soir, Anne Hidalgo s’occupe de l’évacuation et de la sécurisation des ouvrages et reliques de la mairie pendant que je me concentre sur les habitants, ouvrant notamment la Halle des Blancs-Manteaux pour pouvoir accueillir et loger du monde. Une fois l’incendie maîtrisé, j’ai passé une heure à l’entrée de l’île avec la police pour contrôler les habitants autorisés à rentrer chez eux.
Après le drame, je suis là tous les jours, je discute avec les habitants et négocie avec la préfecture pour éviter que le quartier soit complètement barricadé. Lorsque le problème du plomb se pose, je fais ouvrir une consultation à l’Hôtel-Dieu. Nous sommes donc devenus très proches. Je connais les habitants un à un. La première leçon de cette tragédie est que, sur fond de tristesse, une communauté s’est rassemblée. J’ai vécu quelque chose de très proche avec eux.
Comment avez-vous vécu les suites de l’incendie ?
AW : Nous vivons une situation paradoxale sur cette Île de la Cité. Nous étions soudain au centre du monde et, en même -, les habitants se retrouvaient dans une relation très intime qui renforçait les liens. Depuis les transformations haussmanniennes qui ont fait de l’île une ville administrative, il ne reste plus que peu d’habitants aux deux extrémités de l’île. Côté Notre-Dame, seules les rues du Cloître-Notre-Dame, Chanoinesses et Arcole sont habitées. Si l’on ajoute la petite rue de la Colombe, ce bout de l’île ne compte que quelques centaines d’habitants. Après l’incendie, tout le monde s’est réuni et des relations plus solides se sont nouées. A l’époque maire du 4e arrondissement, je suis devenu, comme je ne l’avais jamais été, l’élu du tout petit village de Notre-Dame.
Quelle est votre relation avec Notre-Dame ?
AW : Enfant, j’ai grandi sur la rive gauche et, très régulièrement, je passais devant la cathédrale pour aller voir mes grands-parents, qui tenaient un établissement de l’autre côté de la Seine, dans le Marais où j’ai ensuite déménagé. Je me souviens aussi que nous passions devant la porte Notre-Dame – ce qui semble fou aujourd’hui ! J’ai donc la chance d’avoir eu cette familiarité toute ma vie avec le monument.
Je viens en partie d’une famille juive qui a fui les pogroms en Pologne. Dans la tradition juive d’Europe centrale, il existe une certaine peur envers les églises ou les fêtes chrétiennes d’où sont parties de nombreuses expéditions contre les Juifs. La veille de Noël, nous étudions pour rester vigilants. Ainsi, étant enfant, je n’avais pas l’habitude d’aller dans les églises, notamment la cathédrale. En grandissant, j’ai surmonté cette appréhension et, en tant que maire, je viens fréquemment dans les églises pour inaugurer la fin d’une rénovation, assister à un concert ou à une cérémonie, comme ce fut le cas pour l’installation du précédent archevêque de Paris, Mgr Michel. Aupetit, à Notre-Dame.
Vous avez déjà eu l’occasion de visiter la cathédrale rénovée. Quelle a été votre émotion ?
AW : La cathédrale est éblouissante et magnifiquement restaurée. J’y suis allé pour la dernière fois début novembre et j’ai ensuite repensé à cette nuit d’incendie. Vers 1 heure du matin, sachant que l’incendie était maîtrisé, nous sommes entrés dans la cathédrale en compagnie du Président de la République et du Maire de Paris. On enjambe les canalisations, il y a des cendres partout… Le choc entre ces deux visions est inquiétant. On ne peut s’empêcher de ressentir quelque chose d’un peu miraculeux.
Pour tout le monde, je pense que ce sera aussi une expérience étonnante car Notre-Dame était, bien avant l’incendie, une certaine noirceur. Cela colle aussi bien avec le roman de Victor Hugo, ce qui en fait un lieu quelque peu inquiétant. Un monument terrible, même. Là, vous verrez, c’est vraiment très très propre, surtout les murs qui ont retrouvé leur couleur dorée. Mais ça va se patiner avec le -.
Le défi de la reconstruction a-t-il été gagné grâce à une forme d’union sacrée de tous les pouvoirs ?
AW : Au début, il y avait naturellement des tensions. J’ai dû beaucoup intervenir en lien avec la préfecture, car chaque administration agit en fonction de ses propres enjeux de santé publique, de sécurité ou de patrimoine. Ensuite, nous avons réussi à imposer un cadre de coordination avec l’établissement public qui a été très efficace. En fait, ce qui s’est passé à Notre-Dame, c’est un peu ce qu’on a vécu pour les Jeux olympiques et paralympiques. L’esprit d’harmonie nous a guidés.
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