Nous sommes à la mi-novembre, dans la fraîcheur de la fin de l’automne, mais ce soir-là, dans un luxueux salon de l’Hôtel de Rochechouart, près du ministère de l’Éducation, règne une ambiance de fin d’année scolaire. Des étudiants soulagés et excités se précipitent devant le public, des adultes épuisés mais heureux se félicitent. Une émotion tamisée mais palpable domine la cérémonie. S’il est temps de célébrer, c’est parce que ce soir nous apportons un grand point d’exclamation à une épopée littéraire amusante. Nous décernons un prix unique dans une course aux honneurs si sérieuse, si nébuleuse : le prix Goncourt réservé aux lycéens.
Tirage au sort final
Pour le lauréat, ses éditeurs et ses publicistes, cette proclamation victorieuse marque la fin d’une saison littéraire intense et d’une saison de récompenses qui vous épuisera. Surtout aujourd’hui, les enjeux étaient élevés. Car, depuis sa création en 1988 par la Fnac et le ministère de l’Éducation nationale, avec la bienveillance de l’Académie Goncourt, ce prix des jeunes lecteurs est devenu un objet de convoitise, figurant parmi les prix les plus influents du secteur, derrière les deux monstre conduit Goncourt et Renaudot.
Pour les adolescents, c’est l’aboutissement d’une extraordinaire aventure humaine commencée il y a deux mois, au lendemain de l’annonce de la première sélection pour le prix Goncourt. Les 14 auteurs en lice pour le Graal suprême sont automatiquement désignés candidats au Goncourt des lycéens, le petit frère tapageur. Tout au long du mois d’octobre, les auteurs ont parcouru la France, de Paris à Toulouse, en passant par Strasbourg ou Aix-en-Provence, à la rencontre des 2 000 étudiants qui composent ce jury différent des autres. C’est devant eux, au cours de ces discussions et séances de questions/réponses, qu’une partie de la décision a été prise. Il ne reste aujourd’hui que 13 lycéens au ministère, 13 représentants élus par leurs camarades de classe pour apporter leur voix et qui, quelques heures plus tôt, devaient départager les cinq finalistes. Devant Rebecca Lighieri, Abdelah Taïa, Thibault de Montaigu et Olivier Norek, c’est Sandrine Collette qui a remporté les suffrages des adolescents.
Un roman lu et choisi avec passion
Arrivée en urgence à Paris cet après-midi depuis le Morvan où elle réside et où elle s’était réfugiée en attendant le verdict, l’écrivain se retrouve dans un coin du salon. Timide, émue, elle n’a pas l’air d’y croire, elle attend la confirmation qui accompagnera inévitablement le discours du jury. Mais pour l’instant, place aux cérémonies formelles.
« C’est une histoire difficile à situer, mais qui pourrait très bien se dérouler il y a 300 ans. Ils ont parfaitement compris que cela leur était destiné. Ils ont également vu un message d’espoir. » nbsp; Sandrine Collette
Quelques mots de la Ministre Anne Genetet, qui nous a reçus chez elle, un discours introductif d’Enrique Martinez, directeur général du groupe Fnac Darty, avec une phrase restée imprimée, adressée à Sandrine Collette : “Ce sera probablement l’un des Les plus beaux jours de ta vie d’écrivain”, puis c’est le président de l’Académie Goncourt, le romancier Philippe Claudel, qui entre en scène. « La lecture est une activité inutile. » Un début en trombe, une ironie qui fait rire tout le monde. Mieux souligner que la littérature est précieuse pour comprendre le monde et le questionner. Risque même, puisque Philippe Claudel ne manque pas d’évoquer son ami Boualem Sansal, écrivain algérien incarcéré dans les prisons du régime de son pays à cause de ses écrits.
Quelques semaines plus tôt, Philippe Claudel avait demandé, au jury qu’il préside, Madeleine avant l’aubele roman de Sandrine Collette, parmi les finalistes du Goncourt. Il porte donc une affection particulière à ce texte qui raconte l’irruption dans une communauté isolée d’un enfant sauvage qui va faire voler en éclats l’ordre établi. Ce qui ressort, c’est ce « sentiment de nature, cette dureté qui vous enveloppe et vous enferme ».
Mais qu’est-ce qui a particulièrement fasciné le jury dans le livre de Sandrine Collette ? La question a été posée toute la journée car les questions des lycéens différaient des analyses critiques formulées par les adultes. Les deux porte-parole prennent la parole et, dans un texte sublime mêlant réflexions personnelles et extraits du livre, ils expliquent les raisons du triomphe : « C’est un roman que nous avons aimé, adoré, lu et voté avec passion. Pour ses rebondissements inattendus, ce temps dilaté, cette incapacité du lecteur à ancrer l’intrigue à un lieu ou une époque. Nous nous sommes reconnus dans cette lutte contre l’injustice et la tyrannie des puissants. » Avant de conclure sur une note humoristique, qui semble être un début de fête : « Nous connaissions la Madeleine de Proust, merci de nous avoir offert Madeleine avant l’aube. »
A l’occasion de cette journée exceptionnelle, Le Pathfinder a eu l’occasion de s’entretenir avec l’écrivain lauréat pour revenir sur l’expérience unique que représente le prix Goncourt pour les lycéens.
Quelle a été votre réaction en apprenant la nouvelle ?
Une énorme surprise, sans fausse modestie. Moi aussi, j’étais resté chez moi, dans le Morvan. J’ai d’abord demandé si c’était vrai, si ce n’était pas une blague. C’est tellement énorme qu’on n’ose pas y croire ! Puis, quand on s’en rend compte, c’est un tourbillon d’émotions. D’autant que les lycéens vous l’annoncent directement au téléphone. C’était très fort, ils étaient presque aussi intimidés que moi.
Le prix des lycéens a-t-il une saveur particulière ?
Ce n’est pas aujourd’hui que je vous dirai le contraire. Vous savez, il y a quelques semaines, j’ai dit que les prix ne m’intéressaient pas, que c’était du superflu. Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ! D’autant que ce prix Goncourt destiné aux lycéens respire une sincérité et une liberté incroyables. Il semble que les choix se soient faits sans obstacles. Mais ce n’est pas toujours le cas.
C’est aussi le point d’exclamation d’une aventure humaine proche de la jeunesse. Quels souvenirs gardez-vous de votre tour de France avec des lycéens ?
En tant qu’écrivains, nous n’avons pas l’habitude de rencontrer un jeune public. Il y a de l’émotion, c’est déjà une fête en soi. C’est aussi particulièrement émouvant parce qu’ils ont des réflexions, ils posent des questions qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. Leur vision de votre travail donne matière à réflexion.
Quels aspects ont-ils particulièrement retenu de votre roman Madelaine Before Dawn ?
Ce qui ressortait beaucoup, c’était la force des liens familiaux, des liens maternels, fraternels, mais aussi de la relation avec l’animal. Ce que j’ai particulièrement aimé, c’est qu’ils se reconnaissent dans les personnages. C’est une histoire difficile à situer, mais qui pourrait facilement se dérouler il y a 300 ans. Ils ont parfaitement compris que cela leur était destiné. Ils ont également vu un message d’espoir : le monde n’est pas juste, mais nous pouvons faire quelque chose. Les voir embrasser cette aspiration à la liberté, à l’émancipation, voire à la désobéissance, donne de l’espoir pour l’avenir.
C’est une belle revanche pour un livre que vous avez commencé à écrire il y a longtemps et que vous avez failli abandonner…
J’y pensais à l’instant. Il arrive souvent, quand on écrit, qu’on ait l’impression d’avoir quelque chose de bien, mais que c’est mal ficelé, mal ficelé. Alors on se demande si ça vaut le coup. Ce texte apporte une réponse. Surtout, n’abandonnez pas. Les vilains canetons, les paroles faibles et fragiles peuvent avoir un grand destin.