Alep, la deuxième ville de Syrie, est tombée aux mains des islamistes de Hayat Tahrir al-Sham. Pour la première fois, le régime de Bachar al-Assad perd le contrôle de la capitale économique du pays. Ses alliés de longue date, russes et iraniens, ont cédé sans résistance. Mais pourquoi cette offensive jihadiste a-t-elle eu lieu maintenant ?
Un éclair redoutable. Lancée mercredi depuis Idlib, l’offensive Hayat Tahrir al-Sham a mis en échec les autorités syriennes. En trois jours, ces “rebelles”, constitués d’anciens membres d’Al-Nosra, déjà recomposés par la branche syrienne d’Al-Qaïda, “ont pris le contrôle de la majeure partie d’Alep, des centres gouvernementaux et des prisons”, lit-on dans un communiqué d’Alep. l’Observatoire syrien des droits de l’homme, une ONG basée au Royaume-Uni qui dispose d’un vaste réseau de sources en Syrie.
L’aéroport d’Alep a également été assiégé. Bilan humain de l’offensive éclair à ce jour : plus de 370 morts, principalement des combattants et des soldats. Après les attaques israéliennes contre ses infrastructures militaires, c’est un nouveau coup dur pour le régime qui n’a jamais perdu le contrôle de la deuxième ville du pays.
Mais l’autorité du président syrien n’est que superficielle : « Depuis 2020, Alep vit sous l’autorité commune des Pasdaran, [Corps des gardiens de la révolution islamique]et le Hezbollah libanais. Avec la guerre entre le Hezbollah et Israël, l’Iran a envoyé les Pasdaran d’Alep au sud Liban pour diriger le front, même chose pour le Hezbollah” explique Antoine Basbous, politologue, associé de Forward global et directeur de l’Observatoire des pays arabes.
Car après les émeutes qui ont éclaté dans le pays en 2011 – qui ont fait 400 000 morts – la ville a été, partiellement et pendant une certaine période, sous le joug de la rébellion, avant d’être récupérée en 2020 par la Russie et l’Iran. « L’armée russe a fait à Alep ce qu’elle a fait à Grozny [capitale de la Tchétchénie]donc destruction massive et terre brûlée. Détruisez tout ce qui pourrait l’être et terrorisez la population” décrypte encore Antoine Basbous. Ensuite, le pays tout entier est devenu un protectorat russo-iranien après un accord entre Moscou et Téhéran. Certaines poches du nord de la Syrie, notamment Idlib, ville où l’assaut a débuté mercredi, ont été récupérées par la Turquie.
“La ville n’était plus défendue”
Alep, mais aussi toute la région dans un rayon d’environ 100 kilomètres et ses 120 villages, ne sont plus aux mains des Russes et des Iraniens. « La ville n’était plus défendue. Alep est tombée en trente-six heures, sans combat, là où depuis quatre ou cinq ans elle faisait l’objet de nombreux bombardements très intenses”, souligne le directeur de l’Observatoire des pays arabes. Et pour lui, l’explication réside dans les tensions générales dans la région et dans la stratégie militaire adoptée, quoique choisie par défaut : « La chute d’Alep est le résultat de la guerre commencée le 7 octobre qui a réduit le Hamas et le Hezbollah au point que Le Hezbollah et les Pasdaran ont dû quitter le front d’Alep pour se rendre au Liban combattre Israël. » Parmi les captures, Saraqeb, le carrefour de deux autoroutes reliant Damas à Alep et Lattaquié.
Arrivés aux portes de Hama, les combattants veulent désormais conquérir cette nouvelle ville, mais le régime syrien veut garder la face : l’Observatoire syrien des droits de l’homme rapporte que l’armée y a été renforcée. Des attaques russes ont également été entendues près de l’université d’Alep et, selon l’ONG, à Idlib, une crèche turque. Des frappes aériennes russes ont déjà eu lieu sur Alep dans la nuit de vendredi à samedi, les premières depuis 2016. Selon Abbas Araghchi, ministre iranien des Affaires étrangères, une « coordination » est nécessaire entre Téhéran et Moscou pour « neutraliser cette situation ». conspiration dangereuse. » Le président syrien, de son côté, a promis de recourir à la « force » pour éradiquer le « terrorisme ».
Changement d’influence majeur
Héritier d’un régime très puissant, né d’un coup d’État et durement tenu par son père, Bachar Al Assad n’est aujourd’hui que l’ombre de ce qu’Hafez al Assad avait bâti. La situation est catastrophique : « La Syrie est divisée en différentes parties occupées : il y a la Turquie qui contrôle une zone, les États-Unis en contrôle une autre, la Russie une autre, les Iraniens sont partout et Israël occupe l’avion spatial. De ce fait, Bachar al-Assad est un petit baron qui ne contrôle que deux régions fortes : la capitale Damas et la côte méditerranéenne alaouite, à savoir Tartous et Lattaquié », explique le spécialiste de la région. Seule ressource du dictateur : la fabrication du captagon.
Cette chute d’Alep marque un tournant dans la région, car derrière ce grand événement se cache un changement d’influence en Syrie : « Avant il y avait une association rivale entre Iraniens et Russes, aujourd’hui, avec cette offensive, avec la perte du Hamas et Hezbollah, l’Iran vient de perdre son influence dans le nord de la Syrie. Le fief de son influence dans le nord de la Syrie était Alep, explique Antoine Basbous, le voisin turc, qui a colonisé la Syrie pendant plus de quatre siècles, est revenu. Pour le politologue, « les Syriens aspirent évidemment à la liberté de leur pays mais ils détestent Bachar al-Assad, ce dernier a échoué, son régime ne contrôle plus grand-chose, donc ils préfèrent l’influence turque à l’influence iranienne, car la Turquie est à l’intérieur ». leur portée. » porte alors que l’Iran est à 1 000 kilomètres.
Désormais, ce seront les Russes et les Turcs qui devront travailler ensemble pour diviser le territoire, laissant derrière eux l’ancien partenaire iranien déchu.
qu’en est-il des 3,7 millions de Syriens déplacés en Turquie ?
La Turquie, principal pays d’accueil des réfugiés syriens selon les dernières données du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, tente de se débarrasser de ces nouveaux arrivants. Victimes de diverses vagues de violence et visés par la haine environnementale, les près de 4 millions de Syriens aimeraient rentrer chez eux, et Erdogan est prêt à tout pour les renvoyer.
« Ce sont ces réfugiés syriens qui ont fait perdre à Erdogan les élections municipales. L’occasion pour le président turc était donc d’envoyer la rébellion syrienne dans une ville dont le front était affaibli. Il avait déjà proposé à Bachar al-Assad de normaliser les relations entre les deux pays pour que les Syriens puissent rentrer chez eux, mais Assad n’en a pas voulu », commente Antoine Basbous.
En effet, le retour de ces millions de sunnites ne fait pas partie de la stratégie du président syrien : ces Syriens sont des musulmans sunnites, déjà majoritaires dans le pays. Lui-même issu d’une minorité, les Alaouites, « Bachar al-Assad veut une majorité de minorités, dirigée par les Alaouites » confie le politologue. Comme Idlib est déjà un bastion turc, le président Erdogan a besoin d’une autre ville pour évacuer quelques Syriens supplémentaires : Alep, également au nord, est la proie idéale : « C’est une ville à majorité sunnite, avec des minorités chrétiennes, arméniennes et kurdes. . En conquérant Alep, Recep Tayyip Erdogan peut négocier en position de force et dire aux réfugiés syriens de rentrer chez eux en toute sécurité, car un accord de paix pourrait être signé. Comme la ville d’Idlib où circule la livre turque et où les services comme l’électricité sont fournis par les Turcs. » Pour eux, la certitude que « tout ira bien, comme à Idlib ».
Qui contrôle Alep désormais ?
Les identités de ceux qui ont pris le pouvoir à Alep sont multiples. Il s’agit d’une coalition de groupes rebelles et, pour Antoine Basbous, composée de deux branches : « Il y a une première branche islamiste, composée d’islamistes et de jihadistes, structurée, intégrée par des réfugiés en quête de travail – c’est la branche syrienne du groupe rebelle. Influence turque -, à laquelle se joignent des personnes désireuses de retrouver leur foyer. La deuxième branche est l’Armée syrienne libre, l’armée dissidente d’Assad, sous les ordres d’Erdogan. » Bref, deux influences turques, mais avec un objectif bien différent : « La mission de l’Armée syrienne libre est de conquérir les territoires détenus par les Kurdes, car un Kurdistan syrien émergent pourrait donner des idées aux Kurdes turcs, et ce » “Il est inconcevable que la Turquie laisse l’idée d’une éventuelle émancipation des Kurdes circuler”, poursuit le politologue.
Pour la population syrienne, qui a passé sa vie sous la terreur, l’oppression semble mieux commencer : Abou Mohammed al-Joulani, le leader de Hayat Tahrir al-Sham, ancien d’Al-Qaïda, a cette fois promis aux populations de ne pas les forcer. se convertir au sunnisme : « Aujourd’hui, il envoie le message inverse : il leur a dit de ne pas s’inquiéter et que rien ne leur arriverait. Je ne peux pas garantir cet engagement mais je constate qu’en quelques années ce débat a changé. Il a perfectionné sa gouvernance pour être accepté par ses électeurs et par la communauté internationale. » analyse Antoine Basbous.
Les Syriens pourront-ils un jour espérer un avenir meilleur qu’un avenir « moins pire » ?